Ref. Ares(2015)4641588 - 28/10/2015
COMMISSION EUROPÉENNE
Bruxelles, le 27 octobre 2015
sj.j(2015)4788063NR/DR/
Documents de
procédure juridictionnelle
Orig. : ES
À MONSIEUR LE PRÉSIDENT ET AUX MEMBRES
DE LA COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPÉENNE
OBSERVATIONS ÉCRITES
déposées conformément à l’article 23, deuxième alinéa, du protocole sur le statut de la
Cour de justice de l'Union européenne par la
COMMISSION EUROPÉENNE
représentée par MM. Deyan ROUSSANOV et Napoleón RUIZ GARCÍA, membres de
son service juridique, en qualité d'agents, et ayant élu domicile auprès de
Mme Merete CLAUSEN, également membre de son service juridique, bâtiment Bech,
5 rue A. Weicker, 2721 Luxembourg, et consentant à la signification de tous les actes de
procédure par e-Curia,
dans les affaires jointes C-307/15 et C-308/15
ayant pour objet deux ordonnances de renvoi devant la Cour de justice par la Audiencia
Provincial de Alicante (cour provinciale d’Alicante, Espagne), en vertu de l'article 267 du
traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), dans le but d’obtenir, dans le
cadre des litiges pendants devant cette dernière juridiction et opposant
Mme Ana María Palacios Martínez (C-307/15) et
M. Emilio Irles López et Mme Teresa Torres Andreu (C-308/15),
respectivement, aux établissements bancaires
Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, SA (BBVA) et
Banco Popular Español, SA,
une décision préjudicielle sur l'interprétation de l'article 6, paragraphe 1, de la
directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les
contrats conclus avec les consommateurs1 (ci-après la «directive»).
1 JO L 95 du 21.4.1993, p. 29.
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2
TABLE DES MATIÈRES
I.
INTRODUCTION ET FAITS..................................................................................... 3
1.1. Dans l'affaire C-307/15 ..................................................................................... 3
1.2. Dans l'affaire C-308/15 ..................................................................................... 5
II. QUESTIONS POSÉES DANS LE CADRE DES DEMANDES DE
DÉCISION PRÉJUDICIELLE.................................................................................... 6
III. LE DROIT DE L’UNION........................................................................................... 7
IV. LE DROIT NATIONAL ........................................................................................... 10
V. APPRÉCIATION JURIDIQUE ................................................................................ 12
V.1 Observations liminaires................................................................................... 13
V.2 Sur la question i).............................................................................................. 13
V.3 Sur les questions ii) à vii) ................................................................................ 22
V.3.1 Sur le critère de bonne foi des milieux intéressés ............................. 28
V.3.2 Sur le risque de troubles graves......................................................... 29
V.4 Sur la question viii) ......................................................................................... 31
VI. CONCLUSIONS ....................................................................................................... 36
3
La Commission a l’honneur de formuler les observations suivantes.
I. INTRODUCTION ET FAITS
1.1.
Dans l'affaire C-307/15
1. Le 6 mars 2014, Mme Ana María Palacios Martínez a introduit un recours contre
l'établissement bancaire BBVA devant le Juzgado de lo Mercantil nº 1 de Alicante
en vue de faire constater la nullité, en raison de son caractère abusif, d’une condition
contractuelle générale. La condition contractuelle générale concernée consistait en
une «clause plancher» figurant dans un contrat de prêt hypothécaire conclu entre les
deux parties le 28 juillet 2006.
2. Une clause plancher est une clause en vertu de laquelle l'établissement bancaire qui
accorde un prêt hypothécaire à taux variable applique une limite inférieure à la
variation du taux d’intérêt de sorte que, même si le taux d'intérêt applicable est
inférieur à un certain seuil (en pourcentage), le consommateur continue de payer des
intérêts minimaux, équivalents audit seuil. Dans l'affaire de référence, le taux
d'intérêt minimum avait été fixé à 2,25 %.
3. La requérante a fait valoir la nullité de ladite clause en raison de son caractère
déséquilibré et de son manque de transparence sur le coût du crédit, préjudiciables
au consommateur.
4. Outre la constatation de nullité de la clause précitée et sa suppression du contrat, la
requérante a demandé le remboursement des sommes indûment perçues par
l'établissement bancaire en application de la clause nulle précitée depuis la signature
du prêt hypothécaire, c'est-à-dire à compter de la prise d'effet de ladite clause.
5. BBVA s’est opposée au recours en invoquant l’exception de chose jugée, eu égard à
l’arrêt nº 241/2013 rendu par le Tribunal Supremo espagnol le 9 mai 2013, et a
demandé, à titre subsidiaire, le rejet du recours.
4
6. Par jugement du 3 novembre 2014, le Juzgado de lo Mercantil nº 1 de Alicante a
débouté la requérante pour disparition de l'objet du litige, sans préjudice de la
restitution à la requérante des sommes que BBVA avait perçues en vertu de ladite
clause, mais uniquement à partir du 9 mai 2013, c'est-à-dire à compter de la date de
l'arrêt du Tribunal Supremo. Par la suite, à titre d’éclaircissement, le Juzgado de lo
Mercantil nº 1 de Alicante a nuancé son propos en expliquant qu’on ne pouvait pas
considérer que l'objet du litige avait «disparu» entretemps, puisque son absence
trouvait son origine dans l'arrêt du Tribunal Supremo, rendu avant la procédure en
cours.
7. En effet, le 9 mai 2013, le Tribunal Supremo espagnol avait prononcé un arrêt dans
le cadre d’une action collective en cessation visant ce même type de clauses, dans
lequel (points 278 et suivants) il avait nuancé la portée de la nullité de ces clauses.
Dans cet arrêt (dont les éléments présentant un intérêt dans le cas d’espèce sont
reproduits dans chacune des ordonnances de renvoi, et notamment les points 277
à 294), le Tribunal Supremo avait déclaré que les effets de la nullité devaient être
limités aussi bien dans les cas où il existe des décisions ayant acquis l'autorité de la
chose jugée que dans ceux où des paiements ont été effectués avant la date de la
publication de l’arrêt. Plus concrètement, le point 294 dudit arrêt est ainsi rédigé:
«
Ainsi qu'il a été exposé, il y a lieu de déclarer que le présent arrêt n'a pas d'effet
rétroactif, de sorte que la nullité des clauses ne concerne pas les situations qui ont
fait l'objet d'une décision ayant acquis l'autorité de la chose jugée ni les sommes
déjà versées à la date de publication de cet arrêt»
.
8. La requérante a interjeté appel contre le jugement de première instance devant
l'Audiencia Provincial de Alicante, demandant la restitution de la totalité des
sommes payées en application de la clause dont la nullité avait été déclarée et
invoquant, à de tels effets, la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union
européenne (ci-après également la «Cour») relative à la directive.
9. Au vu des termes du débat et étant donné que l'affaire au principal a été mise en
délibéré, la juridiction de renvoi, après audition des parties, a décidé de surseoir à
statuer et de saisir la Cour de la question préjudicielle retranscrite dans les
développements qui suivent, en vertu de l'article 267 TFUE.
5
1.2.
Dans l'affaire C-308/15
10. Comme dans l'affaire précédente, le couple marié composé de M. Emilio Irles
López et de Mme Teresa Torres Andreu a introduit un recours contre l'établissement
bancaire Banco Popular devant le Juzgado de lo Mercantil nº 3 de Alicante en vue
de faire constater la nullité, en raison de son caractère abusif, d’une condition
contractuelle générale consistant en la «clause plancher» figurant dans le contrat de
prêt hypothécaire conclu par leurs soins avec ladite entité le 1er juin 2001. Le capital
dudit prêt avait fait l'objet de deux augmentations en 2007. Lors de chacune desdites
augmentations, le taux minimum des intérêts à payer par les consommateurs (qui
constitue la «clause plancher») avait lui aussi été modifié, pour être porté finalement
à 4,5 %.
11. Le couple marié requérant avait par ailleurs demandé à l'établissement financier la
restitution des montants indûment payés en application de la clause contestée depuis
la date de la signature du contrat.
12. Le 10 novembre 2014, le Juzgado de lo Mercantil a fait droit à la demande, a
déclaré la nullité de plein droit de la clause en raison de son caractère abusif et a
condamné l'établissement financier à restituer aux requérants les montants payés en
application de ladite clause.
13. Banco Popular a interjeté appel contre ce jugement, en demandant son annulation et,
en tout état de cause, la limitation des effets de la nullité afin de ne rembourser que
les montants perçus depuis le 9 mai 2013, date de l'arrêt du Tribunal Supremo
espagnol en la matière.
14. Au vu des termes du débat et étant donné que l'affaire au principal a été mise en
délibéré, la juridiction de renvoi, après audition des parties, a décidé de surseoir à
statuer et de saisir la Cour d’une question préjudicielle qui est, en substance, la
même que celle dont ladite Cour a été saisie dans l'affaire C-307-15, en vertu de
l’article 267 TFUE.
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II. QUESTIONS POSÉES DANS LE CADRE DES DEMANDES DE DÉCISION
PRÉJUDICIELLE
15. La juridiction de renvoi estime que les affaires au principal soulèvent des questions
d'interprétation au regard du droit de l’Union. Par conséquent, elle a décidé de poser
à la Cour les questions suivantes dans le cadre d’une demande de décision
préjudicielle:
i) Est-il conforme au principe de l’absence de caractère contraignant [des
clauses abusives] consacré à l’article 6, paragraphe 1, de la directive
93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans
les contrats conclus avec les consommateurs que les effets restitutoires
découlant de la constatation de la nullité, en raison de son caractère abusif,
d’une «clause plancher» figurant dans un contrat de prêt ne rétroagissent pas
à compter de la date de conclusion du contrat mais à compter d’une date
ultérieure?
ii) Le critère de bonne foi des milieux intéressés qui fonde la limitation de
l’effet rétroactif [de l’annulation] d’une clause abusive est-il une notion
autonome du droit de l’Union devant être interprétée de manière uniforme
par l’ensemble des États membres?
iii) En cas de réponse affirmative, quels éléments doivent être pris en
considération pour apprécier l’existence de la bonne foi des milieux
intéressés?
iv) En tout état de cause, le comportement du professionnel ayant conduit,
lors de l’élaboration du contrat, au manque de transparence à l’origine du
caractère abusif de la clause est-il conforme à la bonne foi des milieux
intéressés?
v) Le risque de troubles graves qui fonde la limitation de l’effet rétroactif [de
l’annulation] d’une clause abusive est-il une notion autonome du droit de
l’Union devant être interprétée de manière uniforme par l’ensemble des États
membres?
vi) En cas de réponse affirmative, quels critères doivent être pris en
considération?
vii) Le risque de troubles graves doit-il être apprécié en ne tenant compte que
du risque que le professionnel est susceptible de courir ou en prenant
également en considération le préjudice causé aux consommateurs par
l’absence de restitution intégrale des sommes versées au titre de cette «clause
plancher»?
16. Les questions qui précèdent sont communes aux deux affaires. Toutefois, dans
l'affaire C-308/15, la juridiction de renvoi pose la question additionnelle suivante:
7
viii) L’extension automatique de la limitation des effets restitutoires découlant
de la nullité d’une clause «plancher», limitation prononcée dans le cadre
d’une procédure engagée par une association de consommateurs contre des
établissements financiers, aux actions individuelles en nullité intentées contre
une clause «plancher» en raison de son caractère abusif par des clients
consommateurs ayant conclu un contrat de prêt hypothécaire avec d’autres
établissements financiers est-elle compatible avec le principe d’absence de
caractère contraignant envers le consommateur consacré à l’article 6,
paragraphe 1, de la directive 93/13 et avec le droit à une protection
juridictionnelle effective consacré à l’article 47 de la Charte des droits
fondamentaux de l’Union européenne?
III. LE DROIT DE L’UNION
17. En matière de clauses abusives, c'est la
directive 93/13/CEE du Conseil
du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec
les consommateurs qui s'applique. Cette directive énonce de manière claire et
inconditionnelle ce qui suit:
Article 6: «
1. Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant
dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient
pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux,
et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes
termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives.»
[…]
18. La directive prévoit la mise en place de mécanismes garantissant la cessation de
l’application de ces clauses, en particulier aux paragraphes 1 et 2 de l'article 7:
Article 7: «
1. Les États membres veillent à ce que, dans l'intérêt des
consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens
adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l'utilisation des clauses
abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un
professionnel.
2. Les moyens visés au paragraphe
1 comprennent des dispositions
permettant à des personnes ou à des organisations ayant, selon la législation
nationale, un intérêt légitime à protéger les consommateurs de saisir, selon le
droit national, les tribunaux ou les organes administratifs compétents afin
qu'ils déterminent si des clauses contractuelles, rédigées en vue d'une
utilisation généralisée, ont un caractère abusif et appliquent des moyens
adéquats et efficaces afin de faire cesser l'utilisation de telles clauses.»
19. En ce qui concerne la notion de «clause abusive», la directive définit cette notion
dans ses articles 2 et 3, à savoir:
Article 2: «
Aux fins de la présente directive, on entend par:
a)
"clauses abusives": les clauses d'un contrat telles qu'elles sont définies à
l'article 3; [...].»
8
Article 3: «
1. Une clause d'un contrat n'ayant pas fait l'objet d'une
négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de
l'exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un
déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant
du contrat.
2. Une clause est toujours considérée comme n'ayant pas fait l'objet d'une
négociation individuelle lorsqu'elle a été rédigée préalablement et que le
consommateur n'a, de ce fait, pas pu avoir d'influence sur son contenu,
notamment dans le cadre d'un contrat d'adhésion.
Le fait que certains éléments d'une clause ou qu'une clause isolée aient fait
l'objet d'une négociation individuelle n'exclut pas l'application du présent
article au reste d'un contrat si l'appréciation globale permet de conclure qu'il
s'agit malgré tout d'un contrat d'adhésion.
Si le professionnel prétend qu'une clause standardisée a fait l'objet d'une
négociation individuelle, la charge de la preuve lui incombe.
3. L’annexe contient une liste indicative et non exhaustive de clauses qui
peuvent être déclarées abusives.»
20. Aux fins de l’interprétation dans le cadre de la présente demande de décision
préjudicielle, il convient également de mettre en évidence les considérants suivants
de la directive:
«
[...] considérant qu'il est nécessaire de fixer de façon générale les critères
d'appréciation du caractère abusif des clauses contractuelles;
considérant que l'appréciation, selon les critères généraux fixés, du caractère
abusif des clauses notamment dans les activités professionnelles à caractère
public fournissant des services collectifs prenant en compte une solidarité
entre usagers, nécessite d'être complétée par un moyen d'évaluation globale
des différents intérêts impliqués; que ceci constitue l'exigence de bonne foi;
que, dans l'appréciation de la bonne foi, il faut prêter une attention
particulière à la force des positions respectives de négociation des parties, à
la question de savoir si le consommateur a été encouragé par quelque moyen
à donner son accord à la clause et si les biens ou services ont été vendus ou
fournis sur commande spéciale du consommateur; que l'exigence de bonne foi
peut être satisfaite par le professionnel en traitant de façon loyale et équitable
avec l'autre partie dont il doit prendre en compte les intérêts légitimes; [...]
considérant que les États membres doivent prendre les mesures nécessaires
afin d'éviter la présence de clauses abusives dans des contrats conclus avec
des consommateurs par un professionnel; que, si malgré tout, de telles
clauses venaient à y figurer, elles ne lieront pas le consommateur, et le
contrat continuera à lier les parties selon les mêmes termes s'il peut subsister
sans les clauses abusives; […].»
9
21. Aux effets de la question viii) posée par la juridiction de renvoi dans
l'affaire C-308/15, l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union
européenne, qui consacre le droit fondamental à un recours effectif, précise, quant à
lui, ce qui suit:
Article 47: «
Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit
de l'Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans
le respect des conditions prévues au présent article.
Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement,
publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et
impartial, établi préalablement par la loi. Toute personne a la possibilité de
se faire conseiller, défendre et représenter.
Une aide juridictionnelle est accordée à ceux qui ne disposent pas de
ressources suffisantes, dans la mesure où cette aide serait nécessaire pour
assurer l'effectivité de l'accès à la justice.»
10
IV. LE DROIT NATIONAL
22. Au niveau national, il y a lieu d'invoquer, en premier lieu, l’article 83 du décret
royal législatif nº 1/2007 du 16 novembre 2007 portant adoption du texte consolidé
de la loi générale relative à la protection des consommateurs et des usagers et
d’autres lois complémentaires (Real Decreto Legislativo 1/2007 por el que se
aprueba el Texto refundido de la Ley General para la Defensa de los Consumidores
y Usuarios y otras leyes complementarias), dans sa version modifiée par la loi
nº 3/2014 du 27 mars 2014:
Article 83: «
Les clauses abusives sont nulles de plein droit et sont réputées
non écrites. À cette fin, après avoir entendu les parties, le juge déclare la
nullité des clauses abusives figurant dans le contrat, celui-ci restant
néanmoins contraignant pour les parties selon les mêmes termes s'il peut
subsister sans les clauses abusives.»
23. Il convient de souligner, du fait de sa pertinence, le libellé du préambule de la loi
nº 3/2014 (laquelle établit la rédaction en vigueur de l’article 83 du décret royal
législatif nº 1/2007), où sont exposées les raisons du nouveau libellé de cet article:
«
Dans un autre ordre d’idées, la loi met en œuvre l’arrêt du 14 juin 2012
rendu dans l’affaire C-618/10, Banco Español de Crédito. La Cour de justice
de l’Union européenne a interprété la directive 93/13/CEE du Conseil
du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus
avec les consommateurs, en ce qui concerne l’article 83 du texte consolidé de
la loi générale relative à la protection des consommateurs et des usagers et
d'autres lois complémentaires, approuvé par le décret royal législatif
nº 1/2007 du 16 novembre 2007. Concrètement, la Cour estime que l'Espagne
n’a pas transposé correctement l’article
6, paragraphe
1, de la
directive 93/13/CEE dans son droit interne.
Le non-respect que la Cour de justice constate en ce qui concerne l'article 83
du texte consolidé est imputable à la faculté attribuée au juge national de
modifier le contenu des clauses abusives figurant dans les contrats, afin
d’intégrer la partie entachée de nullité conformément à l’article 1258 du code
civil et au principe de bonne foi objective. La Cour considère qu’une telle
faculté serait susceptible de porter atteinte à la réalisation de l’objectif à long
terme visé à l’article 7 de la directive, dès lors qu'elle contribuerait à
éliminer l’effet dissuasif exercé sur les professionnels par la non-application
pure et simple à l'égard du consommateur de telles clauses abusives, dans la
mesure où ceux-ci pourraient être tentés d'utiliser lesdites clauses en sachant
que, même si celles-ci devaient être invalidées, le contrat pourrait néanmoins
être complété, dans la mesure nécessaire, par le juge national de sorte à
garantir ainsi l'intérêt desdits professionnels.
11
À cet égard, le libellé de l’article 83 précité du texte consolidé est modifié
pour assurer la transposition correcte de l’article 6, paragraphe 1, de la
directive 93/13/CEE du 5 avril 1993.»
24. En outre, il y a également lieu d’invoquer les articles 8 et 9 de la loi nº 7/1998
du 13 avril 1998 relative aux conditions générales des contrats, qui est l’instrument
juridique transposant la directive 93/13/CEE dans l’ordre juridique espagnol:
Article 8: «
1. Sont nulles de plein droit les conditions générales qui, au
préjudice de l’adhérent, contreviennent aux dispositions de la loi ou de toute
autre règle impérative ou prohibitive, à moins que celles-ci ne sanctionnent
différemment leur violation.
2. En particulier, sont nulles les conditions générales abusives dans les
contrats conclus avec un consommateur, celles-ci s'entendant, dans tous les
cas, au sens de l’article 10 bis
et de la première disposition additionnelle de
la loi générale nº 26/1984 du 19 juillet 1984 relative à la protection des
consommateurs et des usagers.»
Article 9: «
1. La déclaration judiciaire de non-insertion dans le contrat ou de
nullité des clauses de conditions générales peut être demandée par l’adhérent
conformément aux règles générales encadrant la nullité des contrats.
2. Le jugement faisant droit aux prétentions du requérant, rendu dans le
cadre d'une procédure ouverte à la suite d’un recours individuel en nullité ou
en déclaration de non-insertion, prononce la nullité ou la non-insertion dans
le contrat des clauses générales concernées et statue sur les effets du contrat
conformément à l’article 10 de la présente loi, ou prononce la nullité du
contrat lui-même lorsque la nullité des clauses générales ou leur
non-insertion affecte un élément essentiel du contrat au sens de l’article 1261
du code civil.»
25. En ce qui concerne les conséquences de la nullité d’une clause contractuelle
particulière, il y a lieu d’invoquer la règle générale énoncée à l’article 1303 du code
civil espagnol:
Article 1303: «
Lorsqu’une obligation est déclarée nulle, les contractants
doivent se restituer réciproquement les choses ayant fait l'objet du contrat, les
fruits produits par ces choses et le prix assorti d’intérêts, sauf dans les cas
prévus par les articles suivants.»
26. Enfin, en ce qui concerne le présent débat relatif à la limitation de l’application
rétroactive de la nullité des clauses abusives, il s’avère essentiel de mentionner la
jurisprudence du Tribunal Supremo espagnol, notamment l'arrêt nº 241/2013 du
9 mai 2013, ultérieurement confirmé par le récent arrêt nº 139/2015 du 25 mars
2015, qui consolide cette jurisprudence.
12
V. APPRÉCIATION JURIDIQUE
27. La juridiction de renvoi pose sept questions (huit, si l'on tient compte de la question
additionnelle de l'affaire C-308/15) étroitement liées entre elles, dans la mesure où
leur finalité commune est d'examiner la portée de l'obligation d'absence de caractère
contraignant des clauses abusives prévue à l'article 6, paragraphe 1, de la
directive 93/13.
28. Par la première question, la juridiction de renvoi souhaite savoir, en substance, si
l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, qui oblige les États membres à
prévoir que les clauses abusives figurant dans un contrat «ne lient pas» les
consommateurs, s'oppose à une limitation des effets restitutoires découlant de la
déclaration de nullité par une autorité judiciaire à compter d’une date ultérieure à
celle de la conclusion du contrat (et en particulier, dans le cas exposé par la
juridiction de renvoi, à une limitation des effets de cette déclaration de nullité aux
paiements effectués à compter de la date de la décision judiciaire qui déclare la
nullité des clauses abusives).
29. Par les questions ii) à vii), la juridiction de renvoi souhaite connaître l'application et,
le cas échéant, la portée et le contenu des critères retenus par la Cour dans sa
jurisprudence pour limiter, à titre exceptionnel, les effets de ses décisions dans le
temps, à savoir la bonne foi des milieux intéressés et le risque de troubles graves2,
en vue de limiter les effets restitutoires de la nullité d'une clause abusive. Dans la
mesure où ces questions visent, dans l'ensemble, à analyser l’incidence de la
jurisprudence de la Cour, la Commission considère opportun d'y apporter une
réponse commune.
30. Enfin, par la question viii) posée dans l'affaire C-308/15, la juridiction de renvoi
demande en substance si l'application automatique de l'arrêt du 9 mai 2013 (rendu
dans le cadre d’une action collective intentée par l'association de consommateurs
«Ausbanc») et, notamment, la limitation des effets restitutoires de la nullité
2 Voir arrêt du 21 mars 2013, RWE Vertrieb AG/VerbraucherzentraleNordrhein-Westfalen eV, C-92/11,
ECLI:EU:C:2013:180, point 59.
13
constatée dans ledit arrêt aux actions individuelles en nullité ayant le même objet,
sont compatibles avec ledit article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 et avec
l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
V.1 Observations
liminaires
31. Avant d’aborder les questions formulées par la juridiction de renvoi, la Commission
estime utile de rappeler que, conformément à la jurisprudence de la Cour3, le
système de protection mis en œuvre par la directive repose sur l’idée que le
consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l'égard du professionnel,
en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information,
situation qui le conduit à adhérer aux conditions rédigées préalablement par le
professionnel, sans pouvoir exercer une influence sur le contenu de celles-ci.
32. De même, la Cour a déclaré que l'article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13
constitue une disposition impérative qui tend à substituer à l’équilibre formel que le
contrat établit entre les droits et les obligations des cocontractants un équilibre réel
de nature à rétablir l’égalité entre ces derniers4.
33. Ces deux éléments (infériorité du consommateur à l'égard du professionnel et
caractère impératif des obligations de la directive) constituent donc le contexte
juridique des débats en l’espèce.
V.2
Sur la question i)
34. Pour répondre à la première question, il importe tout d’abord de rappeler que
l’interprétation des dispositions de la directive (et cela d’autant que ladite
interprétation est susceptible d'en limiter les effets) ainsi que les critères que le juge
national peut ou doit appliquer lors de l’examen d’une clause contractuelle au regard
3 Voir, entre autres, arrêt du 26 octobre 2006, Elisa María Mostaza Claro/Centro Móvil Milenium SL,
C-168/05, ECLI:EU:C:2006:675, point 25.
4 Voir, entre autres, arrêt du 30 mai 2013,
Erika Jőrös/AegonMagyarországHitelZrt, C-397/11,
ECLI:EU:C:2013:340, point 25.
14
de celle-ci relèvent exclusivement de la compétence de la Cour5, en sa qualité
d'interprète ultime de la législation de l'Union, conformément à l'article 267 TFUE.
Ainsi qu'il sera expliqué ultérieurement, ladite compétence exclusive a été remise en
cause dans l'arrêt nº 241/2013 du Tribunal Supremo espagnol du 9 mai 2013 (auquel
il est largement fait référence dans nos observations), qui est, indirectement, à
l'origine des questions préjudicielles ici abordées.
35. Cela étant précisé et pour répondre à la question posée, il convient d'abord de
rappeler que le libellé de l’article 6, paragraphe 1, de la directive précise que les
clauses abusives ne lient pas les consommateurs, sans ajouter d'autre nuance ou de
limitation dans le temps en ce qui concerne l'absence de caractère contraignant. Par
conséquent, le libellé même de la directive ne permet pas une interprétation selon
laquelle les effets restitutoires de l'absence de caractère contraignant des clauses
abusives pourraient être limités. Ainsi, et à défaut d’inclusion de telles limites dans
la directive, les effets de l'obligation d'absence de caractère contraignant devront
être réputés
ex tunc, c'est-à-dire, à compter de la date de la conclusion du contrat.
Dans le cas contraire, les consommateurs seraient en partie liés par les clauses
abusives.
36. Cette interprétation est partagée par l'avocat général Trstenjak dans ses conclusions
présentées dans l'affaire l’affaire Invitel, dont le point 47 est particulièrement
explicite6:
«
Pour savoir quels effets juridiques doivent être attachés aux décisions
nationales afin de tenir dûment compte de l’objectif de protection des
consommateurs, il convient de se reporter avant tout à la disposition centrale
de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, aux termes de laquelle la
clause en question ne lie pas le consommateur. La directive impose ainsi aux
États membres la sanction qui s’attache impérativement au caractère abusif
d’une clause. Le fait que la clause ne lie pas le consommateur, selon les termes
de la directive, signifie que la clause est dépourvue d’effet juridique à son
égard. Celui-ci n’est d’emblée pas juridiquement lié par les charges qui lui
sont imposées dans une telle clause. L’absence d’effet existe donc de plein
5 Arrêt RWE, C-92/11, précité, point 48.
6 Conclusions de l’avocat général Trstenjak présentées le 6 décembre 2011 dans l’affaire Invitel,
précitée, ECLI:EU:C:2011:806.
15
droit, de sorte qu’elle ne dépend pas d’une décision de justice. Le juge se
borne en conséquence à constater que les stipulations en cause ne sont pas
susceptibles de lier le consommateur.» (soulignement ajouté)
37. La Cour a par ailleurs eu l'occasion d'expliquer quel est le rôle des juridictions
nationales dans le cadre de l'application de l'article 6, paragraphe 1, de la
directive au regard d'une clause jugée abusive. Par exemple, dans l'affaire Banco
Español de Crédito
7, la Cour a jugé ce qui suit:
«61
[...] concernant les conséquences à tirer de la déclaration du caractère
abusif d’une clause contractuelle, il convient de se référer tant à la lettre de
l’article
6, paragraphe
1, de la directive 93/13 qu'aux finalités et à
l’économie générale de cette dernière (voir, en ce sens, arrêts du
3 septembre 2009, AHP Manufacturing, C-482/07, Rec. p. I-7295, point 27, et
du 8 décembre 2011, Merck Sharp & Dohme, C-125/10, Rec. p. I-12987,
point 29).
62 En ce qui concerne le libellé dudit article 6, paragraphe 1, il convient de
constater, d’une part, que le premier membre de phrase de cette disposition,
tout en reconnaissant aux États membres une certaine marge d’autonomie en
ce qui concerne la définition des régimes juridiques applicables aux clauses
abusives, impose néanmoins expressément de prévoir que lesdites clauses “ne
lient pas les consommateurs”.
63 Dans ce contexte, la Cour a déjà eu l’occasion d’interpréter cette
disposition en ce sens qu’il incombe aux juridictions nationales constatant le
caractère abusif de clauses contractuelles de tirer toutes les conséquences qui
en découlent selon le droit national, afin que le consommateur ne soit pas lié
par lesdites clauses (voir arrêt Asturcom Telecomunicaciones, précité,
point 58; ordonnance du 16 novembre 2010 Pohotovosť, C‑
76/10, Rec.
p. I-11557, point 62, ainsi que arrêt Pereničová et Perenič, précité, point 30).
En effet, ainsi qu’il a été rappelé au point 40 du présent arrêt, il s’agit d’une
disposition impérative qui tend à substituer à l’équilibre formel que le contrat
établit entre les droits et obligations des cocontractants un équilibre réel de
nature à restaurer l’égalité entre ces derniers.»
38. Il ressort entre autres dudit arrêt que, même si les États membres disposent d'une
certaine marge au moment de définir les conséquences juridiques de la déclaration
du caractère abusif d'une clause donnée, ladite marge est limitée et, en tout cas, elle
doit être interprétée en ce sens que de telles clauses contractuelles ne lient pas le
consommateur, y compris lorsque celui-ci ne les a pas contestées avec succès8.
7 Arrêt du 14 juin 2012, Banco Español de Crédito SA/Joaquín Calderón Camino, C-618/10,
ECLI:EU:C:2012:349, points 61 à 63.
8 Voir en ce sens l’arrêt du 4 juin 2009, Pannon GSM Zrt/Erzsébet Sustikné Győrfi, C-243/08,
EU:C:2009:350, point 28.
16
39. La Cour a également reconnu que la sanction de nullité de plein droit d'une clause
abusive satisfait aux exigences de l’article 6, paragraphe 1, lu en combinaison avec
l’article 7, paragraphes 1 et 2, de la directive, dans la mesure où elle garantit que les
clauses ne sont assorties d'aucun effet juridique9.
40. La Commission déduit de ce qui précède que, dans son arrêt du 9 mai 2013, le
Tribunal Supremo espagnol a outrepassé la marge d’action dont il disposait au
moment de s'assurer que les clauses abusives «ne lient pas les consommateurs» sur
le fondement de l'article 6, paragraphe 1, de la directive. En limitant la portée dans
le temps des effets restitutoires de la nullité de la clause abusive, le Tribunal
Supremo espagnol a permis que la clause abusive en question soit assortie de
certains effets à caractère contraignant pour les consommateurs, ce qui est contraire
à l'obligation non équivoque d'absence de caractère contraignant prévue par la
directive et, partant, contraire à la
substance même
de l'article 6, paragraphe 1, de
ladite directive. La Commission souhaite insister sur le mot «substance», au motif
qu'il ne s'agit pas ici d'une question de simple «autonomie procédurale», mais de
respect des obligations matérielles dérivées du droit de l'Union.
41. La Commission estime également opportun de rappeler que, dans l'arrêt Banesto, la
Cour avait jugé que l’article 6, paragraphe 1, de la directive doit être interprété en ce
sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre qui permet au juge
national, lorsqu’il constate la nullité d’une clause abusive dans un contrat conclu
entre un professionnel et un consommateur,
de compléter ledit contrat en révisant le
contenu de cette clause. Selon la Cour,
«
cette faculté contribuerait à éliminer l’effet
dissuasif exercé sur les professionnels par la pure et simple non-application à
l’égard du consommateur de telles clauses abusives [...], dans la mesure où ceux-ci
demeureraient tentés d’utiliser lesdites clauses, en sachant que, même si celles-ci
devaient être invalidées, le contrat pourrait néanmoins être complété, dans la
mesure nécessaire, par le juge national de sorte à garantir ainsi l’intérêt desdits
9 Voir, en particulier, arrêt du 26 avril 2012, Nemzeti Fogyasztóvédelmi Hatóság/Invitel TávközlésiZrt
.,
C-472/10, ECLI:EU:C:2012:242, points 39 et 40.
17
professionnels»10. Partant, la clause abusive qui contient un taux d'intérêt moratoire
abusif doit être purement et simplement annulée, et non pas réduite à un niveau
acceptable.
42. On ne saurait toutefois nier le fait que la limitation de la portée dans le temps d'une
déclaration de nullité a des conséquences identiques, sur les plans économique et
juridique, que le fait de «compléter» le contrat et qu'elle constitue en réalité une
forme d'«insertion» ou de complément du cadre contractuel. Dans une mesure
analogue, comme la possibilité (écartée par la Cour) de réécrire la clause relative
aux intérêts moratoires, la limitation des effets de la nullité dans le temps vient
restreindre, avec des conséquences graves, l'effet dissuasif de l'absence de caractère
contraignant et revient à nier la finalité même de la directive.
43. La Commission ajoute, à titre subsidiaire, que, même si un État membre souhaitait
inscrire la limitation de la portée dans le temps des effets restitutoires de la nullité
d'une clause abusive dans la marge d'autonomie procédurale que lui reconnaît la
jurisprudence (bien que ce ne puisse être le cas, étant donné que l'obligation
matérielle d'absence de caractère contraignant s’en trouverait remise en cause), le
principe d'effectivité, qui fonctionne, à son tour, en tant que limite de l'autonomie
procédurale des États membres, s'opposerait à ladite limitation.
44. Ledit principe, confirmé par la jurisprudence constante de la Cour, prévoit que
l’ordre juridique interne de chaque État membre ne doit pas rendre impossible en
pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre
juridique de l'Union11. La Commission considère qu’il ne fait pas de doute qu'en
limitant dans le temps l'effet restitutoire de la nullité des clauses abusives, le
Tribunal Supremo espagnol empêche les consommateurs de demander le
remboursement intégral des montants indûment payés au professionnel, en ce qu'il
fixe comme limite temporelle absolue celle de la date de son arrêt, c'est-à-dire
le 9 mai 2013. Tout autre montant payé par le consommateur à l'établissement
10 Voir arrêt C-618/10, précité, dispositif et point 69.
11 Voir en ce sens l’arrêt Mostaza Claro
, précité, point 24.
18
financier avant la date dudit arrêt en application de la clause déclarée abusive est
considéré, à la lumière dudit arrêt, comme irrécouvrable par le consommateur, et ce
bien que le droit de récupérer lesdits montants découle précisément du principe clair
et inconditionnel d'absence de caractère contraignant des clauses abusives qui,
comme l'a indiqué l’avocat général Trstenjak, s'applique
ipso jure et
ex tunc.
45. Aussi, même dans l'hypothèse où il s'agirait d'une question relative au principe
d'autonomie procédurale des États membres, la limitation imposée par le Tribunal
Supremo espagnol outrepasserait manifestement la marge de manœuvre dont
disposent les États membres. En effet, s'agissant des paiements effectués avant
l'arrêt qui déclare la nullité, cette limitation dans le temps empêcherait l'exercice du
droit de se prévaloir de l'absence de caractère contraignant découlant de l'article 6,
paragraphe 1, de la directive (droit qui est le corollaire logique de l'obligation
imposée aux États membres de prévoir que les clauses abusives «ne lient» pas les
consommateurs).
46. La Commission considère par ailleurs que toute autre interprétation qui
déboucherait sur une limitation des effets de l'absence de caractère contraignant
dans le temps compromettrait la finalité de protection de la directive. En effet, si
l’article 6, paragraphe 1, de la directive était interprété comme ne s'opposant pas à
une limitation dans le temps des effets restitutoires découlant d’une déclaration de
nullité prononcée en vertu dudit article, l'efficacité de la directive et de son article 6
seraient profondément restreinte, car la limitation des effets dans le temps d'une
déclaration de nullité a pour conséquence que le consommateur reste lié par une
clause abusive pendant la période qui précède la date de la limitation.
47. Une telle situation serait tout simplement inacceptable du point de vue de la
directive.
48. En ce sens, ainsi que l'a justement exposé la juridiction de renvoi (voir le point 95 de
l'ordonnance de renvoi dans l'affaire C-307/15 et le point 77 de l'ordonnance de
renvoi dans l'affaire C-308/15), le fait d'accepter cette limitation des effets de la
nullité aurait pour conséquence d'accorder un avantage économique pervers aux
commerçants. Ces derniers, qui ne seraient alors pas tenus de rembourser
19
l'intégralité des montants perçus en application des clauses abusives (puisque la
clause ne cesserait d'être assortie d'effets qu'à compter d'une hypothétique
déclaration de son caractère abusif), n'auraient non seulement rien à perdre à utiliser
des clauses abusives, mais ils en tireraient en plus et en tout cas des bénéfices.
Ladite interprétation priverait la directive de son «effet utile» et de son caractère
dissuasif en portant atteinte à la finalité même de protection des consommateurs.
49. Par conséquent, la Commission considère que l'obligation d'absence de caractère
contraignant contenue à l'article 6, paragraphe 1, de la directive s’oppose à une
limitation dans le temps des effets de la déclaration de nullité.
50. Le fait que la Cour ait, dans des cas très exceptionnels, accepté la limitation des
droits dérivés de la directive lorsque la protection de ces droits impliquait la
violation du principe de l'autorité de la chose jugée (
res judicata), en tant que
corollaire du principe général de sécurité juridique, est une tout autre question qui
ne remet pas en cause les considérations précédentes.
51. Dans l'affaire Asturcom Telecomunicaciones12, la Cour avait permis la modération
des effets de la directive pour protéger le principe général de sécurité juridique et
avait jugé ce qui suit:
«
À cet égard, il importe de rappeler d’emblée l’importance que revêt, tant
dans l’ordre juridique communautaire que dans les ordres juridiques
nationaux, le principe de l’autorité de la chose jugée.
En effet, la Cour a déjà eu l’occasion de préciser que, en vue de garantir
aussi bien la stabilité du droit et des relations juridiques qu’une bonne
administration de la justice, il importe que les décisions juridictionnelles
devenues définitives après épuisement des voies de recours disponibles ou
après expiration des délais prévus pour l’exercice de ces recours ne puissent
plus être remises en cause (arrêts du 30 septembre 2003, Köbler, C-224/01,
Rec. p. I‑
10239, point 38; du 16 mars 2006, Kapferer, C‑
234/04, Rec. p.
I‑
2585, point 20, et du 3 septembre 2009, Fallimento Olimpiclub, C‑
2/08,
non encore publié au Recueil, point 22).
Par conséquent, selon la jurisprudence de la Cour, le droit communautaire
n’impose pas à une juridiction nationale d’écarter l’application des règles de
12 Arrêt du 6
octobre
2009, Asturcom Telecomunicaciones SL/Cristina Rodríguez Nogueira,
C-40/08, ECLI:EU:C:2009:615, points 35 à 38.
20
procédure internes conférant l’autorité de la chose jugée à une décision,
même si cela permettrait de remédier à une violation d’une disposition, quelle
qu’en soit la nature, du droit communautaire par la décision en cause (voir,
notamment, arrêts du 1er juin 1999, Eco Swiss, C-126/97, Rec. p. I‑
3055,
points 47 et 48; Kapferer, précité, point 21, ainsi que Fallimento Olimpiclub,
précité, point 23).
En l’absence de réglementation communautaire en la matière, les modalités
de mise en œuvre du principe de l’autorité de la chose jugée relèvent de
l’ordre juridique interne des États membres en vertu du principe de
l’autonomie procédurale de ces derniers. Cependant, ces modalités ne
doivent pas être moins favorables que celles régissant des situations
similaires de nature interne (principe d’équivalence) ni être aménagées de
manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice
des droits conférés par l’ordre juridique communautaire (principe
d’effectivité) (voir, notamment, arrêts précités Kapferer, point
22, et
Fallimento Olimpiclub, point 24).»
52. Or, d’autres limitations potentielles des effets restitutoires de la nullité des clauses
abusives, et notamment la limitation des sommes déjà payées en vertu des clauses
déclarées abusives auxquelles se référait le point 294 de l'arrêt du Tribunal Supremo
espagnol du 9 mai 2013, n'ont rien à voir avec le principe de l'autorité de la chose
jugée ni avec le principe de sécurité juridique et ne sont donc pas concernées par la
jurisprudence de la Cour. Partant, la Commission estime que l'article
6,
paragraphe 1, de la directive s'oppose également à ces autres limitations, qui ont trait
à des clauses contractuelles dont le caractère abusif n'a pas été apprécié dans une
décision définitive (qui n'a donc pas valeur de chose jugée).
53. En ce sens, il n'est pas à écarter que même les consommateurs qui auraient pris part
à l'action collective en cessation qui a donné lieu à l'arrêt du 9 mai 2013 pourraient,
le cas échéant, se prévaloir de la responsabilité extracontractuelle de l'État membre,
laquelle peut s’étendre aux décisions des juridictions statuant en dernier ressort
(sous réserve, bien entendu, qu’il ait été établi que lesdites décisions méconnaissent
de façon manifeste une disposition du droit de l'Union et ont causé un préjudice aux
personnes qui auraient dû bénéficier de cette disposition)13, en tant qu’outil pour
réclamer le remboursement des montants dont ils auraient été privés en application
dudit arrêt du Tribunal Supremo espagnol.
13 Voir sur ce point l’arrêt de la Cour du 30 septembre 2003, Köbler, C-224/01, EU:C:2003:513.
21
54. Enfin, dans un souci d'exhaustivité, il y a également lieu de mentionner que la Cour
a, dans des cas très exceptionnels, autorisé les juridictions nationales à maintenir les
effets d'un acte juridique national pendant une durée très limitée, bien que ledit acte
ait été jugé contraire au droit de l'Union. C’est notamment le cas dans l'affaire
Inter-Environnement Wallonie14, où
la Cour avait autorisé le Conseil d’État belge à
maintenir les effets d'un arrêté (qui transposait la directive 91/67615) annulé pour
absence d’évaluation environnementale préalable, ainsi que l'exigeait ladite
directive, pendant la période strictement nécessaire pour adopter un nouvel arrêté
conforme au droit de l'Union.
55. La Commission estime toutefois que la solution retenue dans ladite affaire ne
pourrait pas non plus être transposée au cas d'espèce, et ce pour plusieurs raisons
évidentes: premièrement, parce que la Cour a indiqué dans son arrêt que cette
solution n'était possible que compte tenu des particularités de l’affaire (voir
point 56) et, deuxièmement, parce que les éléments factuels et de droit ne peuvent
pas être extrapolés à ceux qui sont à l'origine de l'arrêt du Tribunal Supremo
espagnol dont il est ici question.
56. En effet, dans l'affaire Inter-Environnement Wallonie: i) il était question d'un acte
juridique administratif qui transposait une directive et non pas de contrats de droit
privé; ii) l'annulation de l'arrêté impliquait la non-transposition de la
directive 91/676 et créait une situation de manquement au droit de l'Union plus
grave que celle découlant du maintien temporaire de l'arrêté; iii) la Cour a accordé le
maintien comme «moindre mal» durant le laps de temps strictement nécessaire à
l’adoption d'un nouvel acte national; iv) la Cour a indiqué qu'il n'existait pas de
motifs de nature économique (point 57) et que le seul objectif du Conseil d'État était
la protection de l’environnement; enfin, et surtout, v) c'est la Cour qui a autorisé et
encadré de manière stricte cette exception, et pas le Conseil d'État belge de manière
unilatérale.
14 Arrêt du 28 février 2012, Inter-Environnement Wallonie ASBL, Terre wallonne ASBL/Région
wallonne, C-41/11, EU:C:2012:103.
15 Directive 91/676/CEE du Conseil, du 12 décembre 1991, concernant la protection des eaux contre la
pollution par les nitrates à partir de sources agricoles (JO L 375, p. 1).
22
57. Au contraire, dans l'affaire tranchée par le Tribunal Supremo espagnol: i) il
s'agissait d'une clause contractuelle déclarée abusive; ii) aucun vide réglementaire
n'était créé par la suppression d'une clause contractuelle abusive ni aucun
manquement dans l'application du droit de l'Union; iii) par son arrêt, le Tribunal
Supremo espagnol a permis le maintien dans le temps des effets liés à la clause
abusive avant la date de l'arrêt du 9 mai 2013; iv) une des limitations qu'impose le
Tribunal Supremo espagnol est précisément de nature économique (les paiements
déjà effectués avant ledit arrêt) et l’on vise la protection des intérêts économiques
des établissements financiers; et, enfin, v) la juridiction nationale a prononcé la
limitation de manière unilatérale, sans avoir saisi la Cour de la question préjudicielle
qu’elle aurait dû lui adresser en tant que juridiction statuant en dernier ressort.
58. Par conséquent, la Commission considère qu'il n'existe aucun précédent
jurisprudentiel susceptible de justifier la limitation des effets restitutoires de la
déclaration de nullité d'une clause abusive qu'entraîne l'arrêt du Tribunal Supremo
espagnol.
59. En vertu de ce qui précède, la Commission invite la Cour à répondre à la première
question en indiquant que l'obligation d'absence de caractère contraignant contenue
à l'article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE s'oppose à ce que les effets
restitutoires de la déclaration de nullité d'une clause abusive soient limités de telle
sorte qu’ils ne rétroagissent pas à la date de conclusion du contrat, sauf si cette
limitation est strictement nécessaire pour protéger le principe de l'autorité de la
chose jugée.
V.3
Sur les questions ii) à vii)
60. Il ressort du raisonnement contenu aux points 79 à 83 et 99 de l'ordonnance de
renvoi dans l'affaire C-307/15 et des points 64 à 68 et 81 de l'ordonnance de renvoi
dans l'affaire C-308/15 (presque identiques) que, par les questions ii) à vii), la
juridiction de renvoi souhaite savoir i) s’il est opportun d'appliquer la jurisprudence
de la Cour (notamment l'arrêt RWE) qui permet de moduler les effets de ses arrêts
dans le temps afin de limiter les effets de la nullité des clauses déclarées abusives et,
ii) dans l’affirmative, si la manière dont le Tribunal Supremo espagnol a interprété
23
les critères de «bonne foi» et de «risque de troubles graves» dans son arrêt du 9 mai
2013 est conforme à l'interprétation desdits critères par la Cour.
61. À cet effet, l'ordonnance de renvoi reproduit les points pertinents de l'arrêt du
Tribunal Supremo espagnol du 9 mai 2013, dans lequel ledit Tribunal avait examiné
si les critères mentionnés au point 59 de l'arrêt RWE16, en tant que fondement pour
limiter les effets de la nullité d'une clause abusive et, par conséquent, de la notion de
caractère non contraignant de l'article 6, paragraphe 1, de la directive, étaient
remplis.
62. Or, dans l'affaire au principal, la Commission considère que le Tribunal Supremo a
commis une erreur en invoquant l'arrêt RWE pour justifier la limitation des effets
rétroactifs de la déclaration de nullité d'une clause abusive, dans la mesure où ladite
limitation est contraire à la lettre et aux objectifs de la directive.
63. Pour expliquer sa position, la Commission estime qu'il importe de rappeler très
succinctement, tout d’abord, les antécédents de l'affaire RWE. Dans ladite affaire, la
Cour devait se prononcer sur la possible application de la directive à certaines
clauses contractuelles (essentiellement des barèmes tarifaires) figurant dans des
contrats de fourniture de gaz conclus entre l’entreprise allemande RWE et ses
«clients à contrat spécial». Le gouvernement allemand, dans ses observations
écrites, avait demandé à la Cour, en cas de réponse affirmative et dans l’hypothèse
où lesdites clauses seraient jugées incompatibles avec la directive, de limiter les
effets de son arrêt dans le temps, de sorte que l’interprétation retenue dans cet arrêt
ne s’applique pas aux modifications tarifaires survenues avant la date du prononcé
dudit arrêt.
64. Au point 58 de l'arrêt RWE, la Cour avait rappelé que, conformément à une
jurisprudence constante, l’interprétation que la Cour donne d’une règle du droit de
l’Union, dans l’exercice de ses compétences, éclaire et précise la signification et la
portée de cette règle, telle qu’elle doit ou aurait dû être comprise et appliquée depuis
le moment de sa mise en vigueur. En conséquence, l’interprétation donnée par la
16 Arrêt de la Cour du 21 mars 2013, précité.
24
Cour doit être également et naturellement appliquée avec effet rétroactif à des
rapports juridiques nés avant la décision de justice en question.
65. La Cour avait toutefois reconnu ensuite qu'à titre tout à fait exceptionnel et par
application du principe général de sécurité juridique, elle pouvait être amenée à
limiter la possibilité pour tout intéressé d’invoquer une disposition qu’elle a
interprétée en vue de mettre en cause des relations juridiques établies de bonne foi.
Pour qu’une telle limitation puisse être décidée, il est nécessaire que deux critères
essentiels soient réunis, à savoir la bonne foi des milieux intéressés et le risque de
troubles graves.
66. Enfin, aux points 60 à 64 de l’arrêt RWE, la Cour avait examiné si ces deux critères
étaient remplis dans l’affaire en question, et elle était parvenue à la conclusion que
tel n'était pas le cas. La Cour avait par conséquent rejeté la demande des autorités
allemandes.
67. Or, si nous revenons au cas d'espèce, il apparaît que la jurisprudence de la Cour
permettant de limiter (à titre exceptionnel) la portée dans le temps des effets des
arrêts de cette juridiction ne saurait servir de base, même par analogie, pour que les
juridictions nationales décident de limiter dans le temps les effets de l'application
d'une règle de droit de l'Union.
68. Il en est ainsi, premièrement, parce que, dans l'affaire RWE, la Cour se réfère à ses
propres arrêts et décisions, et pas à une limitation des effets restitutoires (décidée
unilatéralement par une juridiction nationale) de la déclaration de nullité d'une
clause abusive. Il n'existe donc aucun parallélisme entre la question juridique
abordée dans l'affaire RWE et celle tranchée par le Tribunal Supremo espagnol. La
Commission considère qu'il n’est pas possible d’extrapoler ou d’appliquer par
analogie la jurisprudence RWE à une affaire dans laquelle on examine non pas la
portée dans le temps d’une interprétation juridictionnelle particulière, mais les effets
restitutoires de la déclaration de nullité d'une clause abusive.
69. Deuxièmement, il en est ainsi parce que, même si la jurisprudence RWE pouvait
être appliquée par analogie (ce qui n'est pas le cas) pour limiter la portée des effets
restitutoires de la nullité de la clause abusive, la Commission estime qu'il n'était ni
25
nécessaire ni approprié de limiter les effets rétroactifs de la nullité d'une clause
abusive, au moins dans ce cas. Ladite limitation n'aurait de sens que pour protéger
les opérateurs de bonne foi qui auraient eu un comportement contraire au droit,
parce qu'ils y ont été incités ou encouragés par d'autres États membres ou par les
institutions elles-mêmes.
70. En fait, la Cour a délimité de manière stricte les quelques cas dans lesquels il est
possible de limiter la faculté pour les intéressés d'invoquer une disposition qu'elle a
interprétée, en vue de remettre en cause des rapports juridiques établis de bonne foi.
Dès lors, comme le précise la Cour dans son arrêt Balazs17:
«
Plus spécifiquement, la Cour n’a eu recours à cette solution que dans des
circonstances bien précises, notamment lorsqu’il existait un risque de
répercussions économiques graves dues en particulier au nombre élevé de
rapports juridiques constitués de bonne foi sur le fondement de la réglementation
considérée comme étant validement en vigueur et qu’il apparaissait que les
particuliers et les autorités nationales avaient été incités à adopter un
comportement non conforme au droit de l’Union en raison d’une incertitude
objective et importante quant à la portée des dispositions du droit de l’Union,
incertitude à laquelle avaient éventuellement contribué les comportements mêmes
adoptés par d’autres États membres ou par la Commission (voir arrêt Santander
Asset Management SGIIC e.a., EU:C:2012:286, point 60 ainsi que jurisprudence
citée).»
71. En fait, cette possibilité est à ce point exceptionnelle que la Cour elle-même a
reconnu dans sa jurisprudence18 que pas même les conséquences financières qui
pourraient découler pour un État membre d’un arrêt rendu à titre préjudiciel ne
justifient, par elles-mêmes, la limitation des effets de cet arrêt dans le temps.
72. Dès lors, les conséquences juridiques de l'obligation d'absence de caractère
contraignant des clauses abusives étaient claires et prévisibles, et la jurisprudence de
la Cour sur l'interprétation de l'article 6 de la directive était déjà constante: il
n'existait ni risque d'incertitude, ni risque de confusion. Il n'existait pas non plus de
17 Arrêt du 22 janvier 2015, Vasiliki Balazs/Casa Judeţeană de Pensii Cluj et Casa Judeţeană de Pensii
Cluj/Attila Balazs, affaires jointes C-401/13 et C-432/13, EU:C:2015:26, point 51.
18 Voir arrêt du 19 juillet 2012, AinārsRēdlihs/Valstsieņēmumudienests, C-263/11, EU:C:2012:497,
point 61 et jurisprudence citée.
26
risque de confusion sur la jurisprudence de la Cour au regard du contrôle
juridictionnel complet que pouvaient exercer les juridictions nationales sur le
caractère abusif des clauses, même dans les hypothèses où la clause en question a
été rédigée préalablement par le professionnel de façon claire et compréhensible19.
En tout cas, et même lorsque le cadre juridique sur le droit de l'Union est clair, la
bonne foi des opérateurs ne saurait dépendre du degré de certitude dans
l'interprétation de la réglementation de l'Union: la présence d'une clause abusive
exclut immédiatement la bonne foi du professionnel.
73. C'est aussi pour cela que la Commission considère que la jurisprudence RWE n'était
pas applicable au litige tranché par le Tribunal Supremo espagnol dans son arrêt
du 9 mai 2013.
74. Par ailleurs, si le Tribunal Supremo espagnol avait eu des doutes quant à la portée
de l'obligation d'absence de caractère contraignant, il n'aurait pas dû trancher la
question de manière unilatérale, mais il aurait dû saisir la Cour d'une question
préjudicielle, en application de l'article 267 TFUE et de la jurisprudence de la
Cour20. En décidant unilatéralement de restreindre, à titre exceptionnel, les effets de
son arrêt, et en limitant au territoire espagnol la portée de l'obligation d'absence de
caractère contraignant prévue par la directive, le Tribunal Supremo espagnol aurait
pu compromettre les principes fondamentaux de primauté, d'unité et d'effectivité du
droit de l’Union21. En effet, il est essentiel que des limitations aussi exceptionnelles
des effets dans le temps des décisions de justice relatives à l'interprétation du droit
de l'Union (qui limitent, en réalité, les effets dans le temps dudit droit) ne soient
adoptées que par la Cour. Qu'adviendrait-il si chaque juridiction nationale statuait de
manière unilatérale, sans recourir au renvoi préjudiciel, en imposant chacune une
19 Voir arrêt du 3 juin 2010, Caja de Ahorros y Monte de Piedad de Madrid/Asociación de Usuarios de
Servicios Bancarios (Ausbanc), C-484/08, EU:C:2010:309.
20 Voir, entre autres, arrêt du 6 octobre 1982, Srl CILFIT e.a./Ministerio della Sanitá, C-283/81,
EU:C:1982:335, point 21.
21 Avis 2/13 de la Cour (adhésion à la CEDH), ECLI:EU:C:2014:2454, point 188.
27
limitation dans le temps différente à l'application de la directive ou d'autres
instruments de droit de l'Union?
75. La nécessité de recourir à la procédure du renvoi préjudiciel revêt une importance
particulière dans ces affaires, en ce qu'elle est la clé de voûte pour assurer l’unité
d’interprétation du droit de l’Union22.
76. Troisièmement, enfin, la Commission estime qu'il ne devait pas non plus être fait
application de l'arrêt
RWE
à l’affaire alors tranchée par le Tribunal Supremo
espagnol, étant donné qu’il en a résulté une limitation indue de l'effet juridique de
l'obligation d'absence de caractère contraignant des clauses abusives contenue à
l'article 6, paragraphe 1, de la directive.
77. Ainsi qu'il a déjà été indiqué, les juridictions nationales ne sont pas compétentes
pour limiter, soit directement, soit indirectement, la portée et l'application du droit
de l'Union. Cette compétence est exclusivement réservée à la Cour en vertu de
l'article 267 TFUE. En vertu du principe de coopération loyale, les juridictions
nationales doivent s'abstenir de prononcer une quelconque décision qui porterait
atteinte à l'application du droit de l'Union et, en cas de doute, elles doivent saisir la
Cour de la question préjudicielle correspondante (a fortiori lorsqu'il s'agit de la
juridiction statuant en dernier ressort).
78. Il y a lieu d'insister sur le fait que, même lorsqu'un État membre considère que la
limitation de la portée dans le temps des effets restitutoires de la nullité relève de
son autonomie procédurale (ce qui n'est pas le cas), le principe d'effectivité s'oppose
également à ladite limitation, dès lors que celle-ci empêcherait les consommateurs
d'exercer leur droit au remboursement intégral des montants indûment payés en
application de la clause abusive.
79. Pour les raisons qui précèdent, la Commission estime que l'article 6, paragraphe 1,
de la directive s'oppose à toute référence à l'arrêt RWE pour limiter les effets
restitutoires de la nullité d'une clause déclarée abusive.
22 Voir en ce sens l'avis 2/13 de la Cour précité, points 173 à 176.
28
80. Par conséquent, il n'y a pas lieu de procéder à un examen des questions spécifiques
posées par la juridiction de renvoi en ce qui concerne chacun des critères indiqués
au point 59 dudit arrêt.
81. À titre subsidiaire et à des fins purement dialectiques, la Commission expliquera
tout de même brièvement pourquoi aucun des deux critères cumulatifs n’est rempli,
de sorte qu'il n'est pas utile d'examiner chacune des questions soulevées dans
l'ordonnance de renvoi.
V.3.1
Sur le critère de bonne foi des milieux intéressés
82. Premièrement, le critère de bonne foi des milieux intéressés n'est pas rempli en cas
de nullité d'une clause comme la «clause plancher», dont le caractère abusif ne fait
pas de doute (voir, par exemple, le point 61 de l'ordonnance de renvoi dans l'affaire
C-307/15, qui reproduit la déclaration de nullité de ladite clause par le Tribunal
Supremo espagnol et les raisons de ladite nullité).
83. Étant donné qu’il est incontestable que les «clauses plancher» sont abusives, la
notion même de clause abusive contenue dans la directive est indissociable de la
violation du principe de bonne foi. En d'autres termes, il ressort clairement de la
directive que les clauses abusives sont, en tant que telles, contraires à la bonne foi.
En effet, conformément aux dispositions de l'article 3, paragraphe 1, de la directive:
«
Une clause d'un contrat n'ayant pas fait l'objet d'une négociation individuelle
est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l'exigence de bonne foi, elle
crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et
obligations des parties découlant du contrat.»
84. Le dix-huitième considérant, précité, indique également que «
[...] l’exigence de
bonne foi peut être satisfaite par le professionnel en traitant de façon loyale et
équitable avec l’autre partie dont il doit prendre en compte les intérêts légitimes»
. Il
est donc évident que cette clause ne traite pas de façon «loyale et équitable» les
consommateurs, qui plus est, compte tenu du fait que le Tribunal Supremo espagnol
lui-même a énuméré au moins six raisons pour lesquelles les «clauses plancher»
sont clairement abusives pour les consommateurs (voir le point 61 de l'ordonnance
29
de renvoi dans l'affaire C-307/15, qui reproduit le contenu de l'arrêt du Tribunal
Supremo sur ce point).
85. Aussi, il semble contradictoire de soutenir en même temps qu'une clause est abusive
et donc contraire aux «exigences de bonne foi» et que le professionnel l'utilise de
«bonne foi».
86. De surcroît, dans des affaires relatives aux consommateurs, la Cour a eu l'occasion
de se prononcer sur la notion de bonne foi dans le cadre de la directive23 et a indiqué
que, pour savoir si une condition contractuelle générale pouvait être réputée de
bonne foi, il convenait de vérifier si le consommateur pouvait raisonnablement
accepter une telle clause à la suite d’une négociation individuelle. Dans le cas
d'espèce, la réponse est évidemment négative.
87. Partant, à la lumière du contenu de la directive et de la jurisprudence de la Cour, il
semble évident qu'il n'est pas possible d'apprécier la bonne foi des professionnels
qui ont inséré des clauses abusives dans leurs contrats avec des consommateurs.
88. Le non-respect de cette exigence supposerait, à lui seul, la non-application de la
limitation visée au point 59 de l’arrêt RWE. La Commission expliquera toutefois
ci-dessous pourquoi l'autre critère, celui afférent aux risques de troubles graves,
n'est pas non plus rempli.
V.3.2
Sur le risque de troubles graves
89. Sans préjudice de ce qui précède, le critère d'existence de risque de troubles graves
au sens du point 59 de l'arrêt RWE n'est pas non plus rempli, dans la mesure où ni
dans l'arrêt du Tribunal Supremo du 9 mai 2013, ni dans les présents cas, on ne
fournit un quelconque élément permettant d’établir la probabilité ou l'ampleur des
troubles dérivés des effets restitutoires de la nullité de la clause plancher.
90. Ainsi qu'il est clairement indiqué dans les ordonnances de renvoi, aux points 92 et
99 (affaire C-307/15) et aux points 74 et 81 (affaire C-308/15), le Tribunal Supremo
23 Arrêt du 14 mars 2013, Mohamed Aziz/Caixa d’Estalvis de Catalunya, Tarragona i Manresa,
C-415/11, EU:C:2013:164, point 69.
30
n'a apporté aucun élément de preuve et aucune donnée et il s'est contenté d'affirmer
que le bouleversement de l’ordre économique était «notoire». Au point 92 de
l'ordonnance de renvoi dans l'affaire C-307/15, il est indiqué ce qui suit: «
Pour cela,
le Tribunal Supremo a dégagé une sorte de “bonne foi“ des faits exposés et fondé le
risque de bouleversement de l’ordre économique sur la “notoriété“, sans la
moindre preuve à l’appui et sans expliquer les conditions ou les critères de
l’appréciation ou de la justification, au-delà de la notoriété proprement dite à
laquelle il fait allusion comme fondement de son affirmation»
. Le point 74 de
l'ordonnance de renvoi dans l'affaire C-308/15 est substantiellement identique.
91. Cette absence totale d'éléments pour justifier le risque de troubles graves est celle
qui alimente en fait les sérieux doutes soulevés par la juridiction de renvoi (voir les
points 99 et 81 de l'ordonnance de renvoi dans les affaires C-307/15 et C-30815,
respectivement) quant à la question de savoir si ce critère est rempli.
92. La Commission considère effectivement qu'en l'absence d'éléments concrets et
objectifs, il n'est pas possible d'apprécier l'existence desdits troubles graves,
notamment au vu du caractère exceptionnel de la limitation que l'on entend
appliquer. La position de Cour au moment d'exiger des éléments de preuve sur
l'existence de ce risque est très stricte. À titre d'exemple, au point 52 de l'arrêt
Balazs
, précité, la Cour avait jugé qu'il n'était pas possible d'apprécier l'existence
dudit critère car, même si l'État roumain avait fourni des débuts de preuve, ceux-ci
n'étaient toutefois pas suffisants.
93. Au point 61 de l'arrêt RWE, la Cour avait indiqué que ledit critère n'était pas rempli
au motif que les conséquences financières ne sauraient être déterminées uniquement
sur la base de l’interprétation donnée par la Cour.
94. Compte tenu de l'absence d'éléments sur la possibilité de troubles graves dans l'arrêt
du 9 mai 2013 du Tribunal Supremo espagnol, il y a lieu de conclure que le critère
de risque de troubles graves n'est pas non plus rempli.
95. Pour ces raisons, la Commission invite la Cour à répondre conjointement et à titre
subsidiaire aux questions ii) à vii) en indiquant que les critères de bonne foi des
milieux intéressés et de risque de troubles économiques graves ne sont pas
31
applicables et, partant, qu'ils ne peuvent pas être utilisés comme fondement pour
limiter dans le temps les effets restitutoires de la nullité d'une clause abusive.
V.4
Sur la question viii)
96. Il ressort de la réponse apportée aux questions précédentes que, dans la mesure où
l'article 6, paragraphe 1, de la directive s'oppose à la limitation des effets
restitutoires de la nullité déclarée dans l'arrêt du Tribunal Supremo espagnol du
9 mai 2013, ladite disposition s’oppose également à son application automatique
aux litiges concernant des actions individuelles de consommateurs engagées contre
ce type de clauses (y compris lorsque lesdites actions visent différents
établissements).
97. En conséquence, la réponse à cette question découle naturellement de la réponse aux
questions précédentes.
98. Nonobstant ce qui précède, la Commission formulera de brèves observations sur
l'interaction entre les actions collectives et celles individuelles dans le cadre de la
directive, ainsi que sur la raison pour laquelle, en tout cas, une décision de justice
adoptée dans le cadre des premières ne saurait être automatiquement étendue aux
secondes. Il importe par ailleurs de souligner que lesdites observations suivent la
position adoptée par la Commission dans les affaires jointes C-381/14 et C-385/14
pendantes devant la Cour, qui concernent une question similaire à celle faisant
l’objet de l’espèce.
99. L'article 7 de la directive précise que les États membres veillent à adopter des
moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l'utilisation des clauses abusives et
prévoient que lesdits moyens soient accessibles aux personnes ou aux organisations.
Cet article n'indique toutefois pas expressément le rapport qui doit exister entre les
actions collectives et celles individuelles.
100. Il ressort cependant du libellé de l'article 7 de la directive, ainsi que de la
jurisprudence de la Cour, que les actions collectives sont complémentaires des
32
actions individuelles et qu'elles ne peuvent pas remplacer ni priver d'effectivité les
actions individuelles engagées par les consommateurs.
101. Premièrement, s'agissant du libellé de la directive, l'obligation principale, à savoir le
mandat donné aux États membres d'adopter des moyens adéquats et efficaces afin de
faire cesser l'utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les
consommateurs par un professionnel, est contenue à l'article 7, paragraphe 1. Ledit
paragraphe ne précise pas quels moyens doivent être considérés comme adéquats et
efficaces (même si l'instrument «classique» est sans aucun doute l'action
individuelle du consommateur concerné), mais la nature impérative de l'obligation
implique nécessairement que les consommateurs européens puissent faire valoir
leurs droits, d'une façon ou d'une autre, devant les juridictions nationales.
102. Ensuite, l'article 7, paragraphe 2, dispose ce qui suit: «
Les moyens visés au
paragraphe 1 comprennent des dispositions permettant à des personnes ou à des
organisations ayant, selon la législation nationale, un intérêt légitime à protéger les
consommateurs de saisir, selon le droit national, les tribunaux ou les organes
administratifs compétents [...]» (soulignement ajouté).
103. Selon la Commission, le mot-clé du paragraphe 2 est «
comprennent». Il est clair que
le législateur a voulu compléter les moyens adéquats et efficaces visés au
paragraphe
1 par d'autres voies garantissant l'accès des personnes ou des
organisations aux juridictions judiciaires ou administratives qui sont compétentes
pour déterminer le caractère éventuellement abusif des conditions générales
contractuelles et ordonner la suppression desdites conditions, le cas échéant.
104. Partant, l'architecture du système de garanties des droits des consommateurs prévu
dans la directive définit une voie principale représentée par les actions individuelles
des consommateurs et une procédure complémentaire représentée par les actions
collectives engagées devant les juridictions administratives et/ou judiciaires
nationales24.
24 Les actions collectives en cessation sont régies, à l'échelle européenne, par la directive 2009/22/CE du
Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 relative aux actions en cessation en matière de
protection des intérêts des consommateurs (JO L 110 du 1.5.2009, p. 30).
33
105. La jurisprudence de la Cour a confirmé cette complémentarité entre les actions
individuelles et celles collectives dans le cadre de la directive, en leur attribuant par
ailleurs des objectifs et des fonctions différentes. La Cour a notamment jugé que «
la
nature préventive et l'objectif dissuasif des actions en cessation, ainsi que leur
indépendance à l'égard de tout conflit individuel concret, impliquent que de telles
actions puissent être exercées alors même que les clauses dont l'interdiction est
réclamée n'auraient pas été utilisées dans des contrats déterminés»25
.
106. La Cour reconnaît ainsi que les actions collectives en cessation sont indépendantes
des actions individuelles, qu'elles sont de nature préventive et qu'elles ont un
objectif dissuasif, contrairement aux actions individuelles des consommateurs dont
la finalité est la réparation d'un dommage et la protection. Les premières complètent
donc les secondes et ne peuvent ni les remplacer, ni en restreindre l’effectivité.
107. Par conséquent, l'extension automatique d'une limitation prononcée dans le cadre
d'une action collective, notamment lorsqu'elle porte atteinte aux intérêts des
consommateurs (comme dans le cas d'espèce) serait contraire à ladite
complémentarité et susceptible d'affaiblir ou d'entraver l'exercice des actions
individuelles des consommateurs au regard du principe d'effectivité, ainsi qu'il a
déjà été mentionné. Il y a par ailleurs lieu de considérer, même à des fins purement
dialectiques, qu'il serait en théorie possible qu'une clause ne soit pas abusive
in
abstracto ou qu'elle ne le soit pas pour un certain groupe de consommateurs, mais
qu'elle le soit au plan individuel, au regard des circonstances particulières du
consommateur.
108. Partant, l'article 6, paragraphe 1, de la directive, interprété à la lumière de l'article 47
de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, s'oppose, selon la
Commission, à une situation dans laquelle les décisions de justice adoptées dans le
cadre d'une action collective limitant dans le temps les effets restitutoires de la
déclaration de nullité d'une clause abusive seraient automatiquement extrapolées aux
litiges individuels engagés par les consommateurs, en ce que ladite situation
25 Voir arrêt Invitel, précité, point 37 et jurisprudence citée.
34
soulèverait de sérieux doutes au regard du droit individuel de toute personne à la
protection juridictionnelle effective.
109. Éviter une telle extrapolation automatique permettrait par ailleurs d'éviter une
éventuelle ingérence dudit article 47 de la Charte des droits fondamentaux de
l’Union européenne, la Commission nourrissant de sérieux doutes quant à la
conformité d’une situation telle que celle soulevée au regard du contenu du droit
prévu dans ledit article. Ces doutes trouvent leur source, entre autres, dans les
raisons suivantes: i) il pourrait exister une situation paradoxale dans laquelle une
décision administrative primerait sur, limiterait ou conditionnerait une décision
judiciaire (conformément à l'article 7, paragraphe 2, de la directive, les États
membres peuvent attribuer la compétence pour trancher les actions collectives en
cessation à un organe administratif); et ii) une décision judiciaire ou administrative
antérieure, dans laquelle, au regard de sa nature, une clause donnée a été examinée
in abstracto, pourrait empêcher ou entraver l'accès à la justice d'un consommateur
qui n'a pas participé à l'action collective, le privant ainsi de la possibilité de
soumettre sa situation particulière à un juge indépendant.
110. Les deux cas entraîneraient, selon la Commission, une situation de violation des
droits de la défense du consommateur qui souhaiterait engager une action
individuelle, et constitueraient une violation du principe d'effectivité dans la mesure
où, ainsi qu'il a déjà été expliqué, l'exercice des droits dérivés de la directive serait
impossible ou excessivement difficile.
111. Par conséquent, la Commission considère, sans qu'il ne soit nécessaire de poursuivre
l'analyse, que l'article 6, paragraphe 1, de la directive, interprété à la lumière de
l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, s'oppose à
une extension automatique de la limitation des effets restitutoires de la nullité d'une
clause abusive comme celle soulevée par la juridiction de renvoi.
112. Dès lors, la Commission propose de répondre à la question viii) dans l'affaire
C-308/15 que l'article 6, paragraphe 1, de la directive, interprété à la lumière de
l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, s'oppose,
en tout cas, à ce que la limitation des effets restitutoires dérivés de la nullité d'une
35
clause plancher déclarée dans le cadre d'une procédure engagée par une association
de consommateurs contre des établissements financiers soit automatiquement
étendue aux actions individuelles en nullité intentées contre une «clause plancher»
en raison de son caractère abusif par des clients consommateurs ayant conclu un
contrat de prêt hypothécaire avec d’autres établissements financiers.
Eu égard aux considérations qui précèdent, la Commission a l'honneur de présenter
à la Cour les conclusions qui suivent.
36
VI. CONCLUSIONS
113. La Commission a l'honneur de proposer à la Cour d'apporter les réponses suivantes
aux questions préjudicielles dont elle a été saisie par l'Audiencia Provincial de
Alicante:
1. L'obligation d'absence de caractère contraignant contenue à l'article 6,
paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE s'oppose à ce que les effets
restitutoires de la déclaration de nullité d'une clause abusive soient
limités de telle sorte qu’ils ne rétroagissent pas à la date de conclusion du
contrat, sauf si cette limitation est strictement nécessaire pour protéger le
principe de l'autorité de la chose jugée.
2. Les critères de bonne foi des milieux intéressés et de risque de troubles
économiques graves ne sont pas applicables et, partant, ils ne peuvent pas
être utilisés comme fondement pour limiter dans le temps les effets
restitutoires de la nullité d'une clause abusive.
3. L'article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, interprété à la lumière
de l'article
47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union
européenne, s'oppose à ce que la limitation des effets restitutoires dérivés
de la nullité d'une clause plancher constatée dans le cadre d'une
procédure engagée par une association de consommateurs contre des
établissements financiers soit automatiquement étendue aux actions
individuelles en nullité intentées contre une «clause plancher» en raison
de son caractère abusif par des clients consommateurs ayant conclu un
contrat de prêt hypothécaire avec d’autres établissements financiers.
Deyan
ROUSSANOV
Napoleón
RUIZ
GARCÍA
Agents de la Commission