Traduction
C-154/15 - 16
Observations de l’Espagne
Affaire C-154/15*
Pièce déposée par:
ROYAUME D’ESPAGNE
Nom usuel de l’affaire:
GUTIÉRREZ NARANJO
Date de dépôt:
23 juillet 2015 (original)
OBSERVATIONS DU ROYAUME D’ESPAGNE
DANS L’AFFAIRE C-154/15
GUTIÉRREZ NARANJO
À LA COUR DE JUSTICE
LE ROYAUME D’ESPAGNE,
représenté par Andrea Gavela Llopis et Miguel Sampol Pucurull, en qualité
d’agents, ayant élu domicile au Ministerio de Asuntos Exteriores y Cooperación,
planta 5a, calle Serrano Galvache, n° 26, 28033, Madrid (Espagne), ayant consenti
à recevoir les notifications par e-Curia, présente, conformément à l’article 23 du
protocole sur le statut de la Cour de justice de l’Union européenne, dans le délai
imparti par cette disposition, les
observations suivantes:
[Or. 2]
TABLE DES MATIÈRES
I. LES FAITS ..................................................................................................... 2
II. LES QUESTIONS PRÉJUDICIELLES ...................................................... 3
III.
LE CADRE JURIDIQUE ......................................................................... 4
III.1.
Le droit de l’Union ............................................................................. 4
III.2.
Le droit interne .................................................................................. 6
* Langue de procédure: l’espagnol.
FR
AFFAIRE C-154/15 – 16
IV.
OBSERVATIONS SUR LE FOND .......................................................... 8
IV.1. Considérations liminaires ...................................................................... 8
A) Sur l’arrêt de la formation plénière de la chambre civile
du Tribunal Supremo du 9 mai 2013 .......................................................... 8
B) Sur les arrêts de la formation plénière de la chambre
civile du Tribunal Supremo des 25 mars et 29 avril 2015 ....................... 11
IV.2. Reformulation des questions préjudicielles. Analyse
conjointe ............................................................................................................ 11
A) Sur la portée de l’expression «ne lient pas» figurant à
l’article 6 de la directive 93/13, lu à la lumière de l’article 7 de
cette directive, et l’autonomie procédurale des États membres.
La jurisprudence de la Cour à cet égard ................................................... 12
B) Sur la portée de l’expression «ne lient pas» figurant à
l’article 6 de la directive 93/13, lu à la lumière de l’article 7 de
cette directive, et celle du principe d’effectivité, selon la
jurisprudence de la Cour en la matière ..................................................... 14
a) Les actions collectives ...................................................................... 15
b) Les actions individuelles .................................................................. 15
C) La limitation de l’effet rétroactif est conforme au droit de
l’Union. Lorsqu’il a limité l’effet rétroactif de ses arrêts, le
Tribunal Supremo a tenu compte des mêmes exigences que
celles auxquelles la Cour se réfère .............................................................. 19
V. RÉPONSE AUX QUESTIONS PRÉJUDICIELLES ............................... 24
I.
LES FAITS
1
La procédure au principal trouve son origine dans une action individuelle en
cessation d’utilisation d’une condition contractuelle générale insérée dans un
contrat de prêt hypothécaire en raison de son caractère déséquilibré et
disproportionnel.
2
Plus précisément, le requérant au principal demande qu’il soit mis fin à
l’utilisation d’une clause contractuelle d’un contrat de prêt hypothécaire connue
sous le nom de «clause plancher», qui fixe une limite à la baisse du taux d’intérêt
variable stipulé dans le contrat.
3
À cette action en nullité, le requérant a joint une action en réclamation de sommes,
dans le cadre de laquelle il demande la restitution des excédents versés en
application de la clause prétendument abusive à compter du moment où cette
clause a commencé à être utilisée.
4
La juridiction de renvoi souligne que, lorsque la troisième chambre de l’Audiencia
Provincial de Granada, qui connaît des appels interjetés contre ses décisions
[Or. 3], accueille des demandes telles que les actions susvisées, elle applique un
2
GUTIÉRREZ NARANJO
critère limitant la restitution des sommes à celles versées à compter de la
présentation de la demande.
5
La demande de décision préjudicielle indique que cette appréciation est fondée sur
l’arrêt du Tribunal Supremo du 9 mai 2013 1. Par cet arrêt, sur le fondement des
raisonnements exposés aux points 278 à 294, que la juridiction de renvoi a
reproduits, le Tribunal a jugé, dans le cadre d’un pourvoi formé à la suite d’une
action collective en cessation, que la nullité des «clauses plancher» déclarées
abusives pour défaut de transparence réelle des informations fournies au
consommateur avant la conclusion du contrat n’affectait ni les situations
définitivement tranchées par des décisions judiciaires revêtues de la force de
chose jugée, ni les paiements effectués avant la date de publication de cet arrêt.
II.
LES QUESTIONS PRÉJUDICIELLES
6
La juridiction de renvoi, le Juzgado de lo Mercantil nº 1 de Granada, a saisi la
Cour des questions préjudicielles suivantes en vertu de l’article 267 TFUE:
«
1. Telle qu’elle est interprétée à l’article 6, paragraphe 1, de la directive
93/13/CEE, l’absence de caractère contraignant est-elle compatible dans
ces hypothèses avec une interprétation selon laquelle la déclaration de
nullité de la clause en question produit néanmoins des effets jusqu’au
prononcé de ladite déclaration, et partant, avec l’interprétation selon
laquelle même si la nullité est déclarée, on considérera que les effets
pendant l’application de la clause ne sont pas invalides ou privés d’effet.
2. Lorsqu’une clause est déclarée nulle dans le cadre d’une action individuelle
exercée par un consommateur, la cessation de l’usage qui pourrait être
déterminée pour une clause particulière (en vertu des paragraphes un des
articles 6 et 7) est-elle compatible avec une limitation des effets de cette
nullité? Les juridictions peuvent-elles modérer le remboursement des
sommes versées par le consommateur – auquel le professionnel est tenu – en
application de la [Or. 4] clause, ultérieurement déclarée nulle depuis le
départ, en raison d’un défaut d’information et/ou de transparence?»
1 Arrêt n° 241/2012 de la chambre civile du Tribunal Supremo du 9 mai 2013,
ECLI:ES:TS:2013:1916.
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AFFAIRE C-154/15 – 16
III. LE CADRE JURIDIQUE
III.1. Le droit de l’Union
7
Pour répondre aux questions préjudicielles, il convient de tenir compte du contenu
de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses
abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs 2.
8
L’article 3, paragraphe 1, de cette directive définit les clauses abusives en ces
termes:
«
Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle
est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle
crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et
obligations des parties découlant du contrat».
9
L’article 6, paragraphe 1, dispose:
«
Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat
conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les
consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le
contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut
subsister sans les clauses abusives».
10 Plus particulièrement, l’article 4, paragraphe 1, énonce les éléments qui doivent
être pris en compte pour apprécier le caractère abusif:
«
Sans préjudice de l’article 7, le caractère abusif d’une clause contractuelle est
apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l’objet du
contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les
circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses
du contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend».
11 Néanmoins, l’article 4, paragraphe 2, précise que:
[Or. 5]
«
L’appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de
l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation entre le prix et la rémunération,
d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part,
pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible».
12 En outre, l’article 5 dispose:
«
Dans le cas des contrats dont toutes ou certaines clauses proposées au
consommateur sont rédigées par écrit, ces clauses doivent toujours être rédigées
de façon claire et compréhensible. En cas de doute sur le sens d’une clause,
l’interprétation la plus favorable au consommateur prévaut. Cette règle
2 JO L 95, p. 29.
4
GUTIÉRREZ NARANJO
d’interprétation n’est pas applicable dans le cadre des procédures prévues à
l’article 7 paragraphe 2».
13 Pour donner effet aux dispositions qui précèdent, l’article 7, paragraphes 1 et 2,
dispose:
«
1. Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi
que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin
de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les
consommateurs par un professionnel.
2. Les moyens visés au paragraphe 1 comprennent des dispositions permettant à
des personnes ou à des organisations ayant, selon la législation nationale, un
intérêt légitime à protéger les consommateurs de saisir, selon le droit national, les
tribunaux ou les organes administratifs compétents afin qu’ils déterminent si des
clauses contractuelles, rédigées en vue d’une utilisation généralisée, ont un
caractère abusif et appliquent des moyens adéquats et efficaces afin de faire
cesser l’utilisation de telles clauses».
14 Par ailleurs, l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2009/22/CE du Parlement
européen et du Conseil du 23 avril 2009 relative aux actions en cessation en
matière de protection des intérêts des consommateurs 3 dispose, sous l’intitulé
«Actions en cessation»:
[Or. 6]
«
1. Les États membres désignent les tribunaux ou autorités administratives
compétents pour statuer sur les recours formés par les entités qualifiées au sens
de l’article 3 visant:
a) à faire cesser ou interdire toute infraction, avec toute la diligence requise et,
le cas échéant, dans le cadre d’une procédure d’urgence;
b) le cas échéant, à obtenir la prise de mesures telles que la publication de la
décision, en tout ou en partie, sous une forme réputée convenir et/ou la
publication d’une déclaration rectificative, en vue d’éliminer les effets
persistants de l’infraction;
c) dans la mesure où le système juridique de l’État membre concerné le
permet, à faire condamner le défendeur qui succombe à verser au trésor
public ou à tout bénéficiaire désigné ou prévu par la législation nationale,
en cas de non-exécution de la décision au terme du délai fixé par les
tribunaux ou les autorités administratives, une somme déterminée par jour
de retard ou toute autre somme prévue par la législation nationale aux fins
de garantir l’exécution des décisions».
3 JO L 110, p. 30.
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AFFAIRE C-154/15 – 16
III.2. Le droit interne
15 La loi 7/1998, du 13 avril 1998, relatives aux conditions contractuelles générales
[ley de condiciones generales de la contratación] (ci-après la «LCGC») 4 dispose:
«
Article 7. Non-insertion
Les conditions générales suivantes sont réputées ne pas figurer dans le contrat:
a) celles dont le consommateur n’a pas eu réellement l’occasion de prendre
connaissance avant la conclusion du contrat ou qui n’ont pas été signées, le
cas échéant, aux termes de l’article 5.
b) les conditions illisibles, ambigües, obscures et incompréhensibles, sauf, dans
le cas de ces dernières, lorsque l’adhérent les a expressément acceptées par
écrit et lorsqu’elles respectent la réglementation spécifique relative à la
transparence des clauses contractuelles dans ce domaine.
Article 8. Nullité.
1. Sont nulles de plein droit les conditions générales qui, au préjudice de
l’adhérent, contreviennent aux dispositions de la loi ou de toute autre règle
impérative ou prohibitive, [Or. 7] à moins que celles-ci ne sanctionnent
différemment leur violation.
2. En particulier, sont nulles les conditions générales abusives dans les contrats
conclus avec un consommateur, telles qu’elles sont définies, en tout état de cause,
par l’article 10 bis et la première disposition additionnelle de la loi générale
26/1984 du 19 juillet 1984 relative à la protection des consommateurs et des
utilisateurs.
Article 9. Régime applicable.
1. La déclaration judiciaire de non-insertion dans le contrat ou de nullité des
clauses de conditions générales peut être demandée par l’adhérent conformément
aux règles générales encadrant la nullité des contrats.
2. Le jugement faisant droit aux prétentions du requérant, rendu dans le cadre
d’une procédure ouverte à la suite d’un recours individuel en nullité ou en
déclaration de non-insertion, prononce la nullité ou la non-insertion dans le
contrat des clauses générales concernées et statue sur les effets du contrat
conformément à l’article 10 de la présente loi, ou prononce la nullité du contrat
lui-même lorsque la nullité des clauses générales ou leur non-insertion affecte un
élément essentiel du contrat au sens de l’article 1261 du code civil.
Article 10. Effets.
4 Modifiée, en dernier lieu, par la loi 3/2014 du 27 mars 2014.
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GUTIÉRREZ NARANJO
1. La non-insertion dans le contrat des clauses de conditions générales ou la
déclaration de nullité desdites clauses n’entraîne pas l’absence totale d’effets du
contrat, si celui-ci peut subsister sans ces clauses, point qui doit être tranché dans
l’arrêt.
2. La partie du contrat affectée par la non-insertion ou la nullité est révisée
conformément à l’article 1258 du code civil et aux dispositions en matière
d’interprétation contenues dans cet article».
16 Par ailleurs, le texte portant refonte de la loi générale pour la défense des
consommateurs et des utilisateurs et d’autres lois complémentaires, approuvé par
le décret royal législatif 1/2007, du 16 novembre 2007 [texto refundido de la Ley
General para la Defensa de los Consumidores y Usuarios y otras leyes
complementarias] (ci-après la «LGDCU») 5 dispose:
«
Article 80. Exigences à l’égard des clauses n’ayant pas fait l’objet d’une
négociation individuelle
1. Dans les contrats conclus avec des consommateurs et des utilisateurs qui
comprennent des clauses n’ayant pas fait l’objet d’une négociation [Or. 8]
individuelle, y compris les contrats conclus par l’administration publique et les
entités et entreprises qui en dépendent, ces clauses doivent respecter les exigences
suivantes:
a) la rédaction doit être précise, claire et simple, pouvoir être directement
comprise, sans renvoyer à des textes ou à des documents qui ne seraient pas
fournis préalablement ou au moment de la conclusion du contrat et qu’il
faudrait, en tout état de cause, mentionner expressément dans le document
contractuel;
b) accessibilité et lisibilité, afin de permettre au consommateur et à
l’utilisateur de connaître leur existence et leur contenu avant la conclusion
du contrat. En aucun cas cette exigence ne sera considérée comme respectée
si la taille de la police du contrat est inférieure à un millimètre et demi ou si
le contraste avec le fond est insuffisant et rend la lecture difficile;
c) bonne foi et juste équilibre entre les obligations des parties, ce qui exclut, en
tout état de cause, l’utilisation de clauses abusives.
2. Dans le cadre d’une action individuelle, en cas de doute sur le sens d’une
clause, l’interprétation la plus favorable au consommateur prévaut.
Article 82. Notion de clauses abusives.
5 Modifiée, en dernier lieu, par la loi 15/2015 du 2 juillet 2015.
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AFFAIRE C-154/15 – 16
1. Sont considérées comme des clauses abusives toutes les stipulations n’ayant
pas fait l’objet d’une négociation individuelle et toutes les pratiques non
consenties expressément qui, en dépit de l’exigence de bonne foi, créent au
détriment du consommateur et de l’utilisateur un déséquilibre significatif entre les
droits et obligations des parties découlant du contrat.
[…]
3. Le caractère abusif d’une clause est apprécié en tenant compte de la nature des
biens ou services qui font l’objet du contrat et en se référant à toutes les
circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses
du contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend.
[…]
Article 83. Nullité des clauses abusives et subsistance du contrat.
Les clauses abusives sont nulles de plein droit et sont réputées non écrites. À cette
fin, après avoir entendu les parties, le juge déclare la nullité des clauses [Or. 9]
abusives figurant dans le contrat, celui-ci restant néanmoins contraignant pour
les parties selon les mêmes termes s’il peut subsister sans les clauses abusives».
IV. OBSERVATIONS SUR LE FOND
IV.1. Considérations liminaires
17 Avant d’analyser les questions préjudicielles et afin de fournir à la Cour tous les
éléments nécessaires pour y répondre de manière adéquate, il y a lieu d’exposer le
contexte dans lequel l’arrêt du Tribunal Supremo du 9 mai 2013 a été rendu, ainsi
que la jurisprudence que celui-ci a élaboré dans trois arrêts ultérieurs, tous trois
relatifs à l’examen du caractère abusif des «clauses plancher» insérées dans des
contrats de prêt hypothécaire et aux effets de l’arrêt constatant ce caractère abusif.
18 Compte tenu de l’importance de cette affaire et de ses implications pour un grand
nombre de procédures juridictionnelles pendantes, ainsi que pour faciliter le
travail de la Cour, les présentes observations doivent être plus longues et
détaillées que les recommandations de la Cour ne le prescrivent.
A)
Sur l’arrêt de la formation plénière de la chambre civile du Tribunal
Supremo du 9 mai 2013 6
19 Cet arrêt trouve son origine dans une action collective intentée par Asociación de
Usuarios de Servicios Bancarios (association d’utilisateurs de services bancaires,
ci-après l’«AUSB») contre trois établissements de crédit concernant les «clauses
6 Arrêt n° 241/2012 de la chambre civile du Tribunal Supremo du 9 mai 2013,
ECLI:ES:TS:2013:1916.
8
GUTIÉRREZ NARANJO
plancher» que ces établissements avaient insérées dans des contrats de prêt
hypothécaire. Cette action collective a été accueillie en première instance.
20 Dans le cadre de l’appel interjeté contre ce jugement, le ministère public est
intervenu dans la procédure (dans la mesure où le droit espagnol lui confère la
qualité pour intervenir dans le cadre des actions collectives en cessation dans
l’intérêt de la loi). L’appel
[Or. 10] a été accueilli au motif que les clauses
litigieuses portaient sur un élément essentiel du contrat, à savoir la rémunération
du prêt, de sorte que le consommateur devait nécessairement en avoir
connaissance 7.
21 Le ministère public et l’AUSB ont respectivement formé un pourvoi contre l’arrêt
d’appel. Ces pourvois ont été résolus par l’arrêt du 9 mai 2013 précité.
22 Dans cet arrêt, le Tribunal Supremo a tout d’abord analysé le régime de contrôle
des clauses abusives en vigueur, en partant de la situation d’infériorité du
consommateur, a reconnu la nécessité de rétablir l’équilibre réel en déclarant que
le consommateur n’est pas lié par les clauses abusives et a rappelé que cette
appréciation peut et doit être effectuée d’office, aussi bien dans le cas d’action
individuelles que d’actions collectives en cessation.
23 Ensuite, après avoir constaté qu’il s’agissait de clauses n’ayant pas fait l’objet
d’une négociation individuelle, le Tribunal Supremo a analysé la nature des
«clauses plancher» et conclu que, dès lors qu’elles sont indissociables du prix,
elles relèvent de l’objet principal du contrat.
24 En partant de cette prémisse, le Tribunal Supremo a analysé la nature du contrôle
auquel les clauses relevant de l’objet principal du contrat peuvent être soumises et
conclu que, bien qu’il n’y ait pas lieu d’en examiner le caractère abusif, ces
clauses demeurent soumises à un double contrôle de transparence.
25 Le premier, relatif à l’insertion de la clause dans le contrat, consiste à apprécier le
respect de l’exigence positive d’avoir donné à l’adhérent l’occasion de prendre
connaissance de la clause au moment de la conclusion du contrat, ainsi que de
l’exigence négative que la clause ne soit pas illisible, ambigüe, obscure ou
incompréhensible. Le Tribunal Supremo a estimé que ces exigences étaient
respectées.
26 Le deuxième contrôle de transparence va bien au-delà de la transparence de la
clause dans les documents et suppose, selon le Tribunal Supremo, que les
informations fournies aient permis au consommateur de s’apercevoir qu’il
s’agissait d’une clause définissant l’objet principal du contrat, ayant une incidence
éventuelle sur son obligation de paiement, et d’avoir une connaissance réelle et
raisonnablement complète de la manière dont cette clause joue ou est susceptible
de jouer
[Or. 11] dans l’économie du contrat. Le Tribunal Supremo a jugé que
7 Arrêt du Tribunal Supremo du 9 mai 2013, point 134.
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AFFAIRE C-154/15 – 16
cette exigence n’avait pas été respectée, notamment parce que les établissements
n’avaient ni simulé les divers scénarios liés à l’évolution raisonnablement
prévisible du taux d’intérêt lors de la conclusion du contrat, ni fourni, au
préalable, suffisamment d’informations claires et compréhensibles au sujet du
coût par rapport à d’autres modalités de prêt qu’ils étaient susceptibles de
proposer, ni encore averti les clients que ces modalités ne leur étaient pas
proposées en raison de leur profil particulier.
27 Partant, le Tribunal Supremo a conclu que ces clauses étaient licites s’agissant de
leur contenu, mais que le manque de transparence causait un déséquilibre au
détriment du consommateur.
28 Pour cette raison, le Tribunal Supremo a constaté le caractère abusif des «clauses
plancher» en cause pour manque de transparence et a conclu que ces clauses
devaient être considérées comme nulles, sans que cette nullité n’affecte le contrat.
Bien que ces clauses relèvent de l’objet principal du contrat, elles ne constituent
pas un élément essentiel de celui-ci. Par conséquent, le Tribunal Supremo a annulé
ces clauses, sans possibilité de les réviser ou de les compléter, et constaté que les
contrats subsistaient en l’absence de ces clauses.
29 Enfin, à la demande du ministère public, le Tribunal Supremo a précisé quels
seraient les effets de son arrêt dans le temps et déclaré que, bien que, en règle
générale, en vertu de l’article 1303 du code civil espagnol, la nullité radicale ou
absolue entraîne l’obligation de restituer les choses reçues en application de
l’obligation annulée, il n’en demeure pas moins que cette règle doit être
interprétée conformément aux principes généraux du droit et, plus
particulièrement, au principe de sécurité juridique, compte tenu de la finalité
ultime de ladite règle, qui vise à éviter l’enrichissement sans cause. À titre
exceptionnel, cette considération peut justifier la limitation dans le temps des
effets de l’arrêt constatant la nullité.
30 Sur la base de ces constatations, le Tribunal Supremo a limité les effets de son
arrêt à compter de la date de publication de celui-ci. À cette fin, eu égard aux
circonstances du litige dont elle était saisie, cette juridiction s’est fondée sur deux
raisons essentielles: i) la bonne foi des milieux intéressés, puisqu’il était prouvé
que les «clauses plancher» n’étaient pas abusives en raison des obligations
qu’elles prévoyaient, mais que ce caractère abusif avait été constaté pour la
première fois au regard de l’exigence d’assurer la plus grande transparence
effective (bien que la législation sectorielle relative à la transparence des
conditions financières
[Or. 12] des prêts hypothécaires eût été respectée) et ii) le
risque de troubles graves pour l’ordre public économique, sur lequel le ministère
public a insisté alors qu’il avait soutenu qu’il convenait d’accueillir l’action en
cessation.
10
GUTIÉRREZ NARANJO
B)
Sur les arrêts de la formation plénière de la chambre civile du
Tribunal Supremo des 25 mars 8 et 29 avril 2015 9
31 Dans ces arrêts, le Tribunal Supremo s’est prononcé sur des pourvois relatifs à
plusieurs actions individuelles tendant à la nullité de «clauses plancher» insérées
dans des contrats de prêt hypothécaire conclus par l’un des établissements
bancaires défendeurs de la procédure collective qui s’était achevée par l’arrêt du
9 mai 2013. Dans les deux cas, les requérants demandaient la restitution des
sommes versées en application de la clause considérée comme nulle.
32 Dans l’arrêt du 25 mars 2013, le Tribunal Supremo a jugé que les circonstances de
fait étaient identiques par rapport aux «clauses plancher» examinées dans l’arrêt
du 9 mai 2013. L’arrêt du 29 avril 2015 a constaté que les circonstances de fait
étaient identiques à celles examinées dans l’arrêt du 9 mai 2013, de sorte que,
conformément aux raisonnements exposés dans cet arrêt et à l’arrêt du
25 mars 2015, ainsi qu’aux arrêts Kásler et Káslerné Rábai (C‑26/13,
EU:C:2014:282) et Van Hove (C‑96/14, EU:C:2015:262), le Tribunal Supremo a
confirmé le caractère abusif de ces clauses. En outre, le Tribunal Supremo a relevé
que, étant donné qu’il avait jugé, dans plusieurs arrêts, que l’obligation de
transparence devait être respectée dans les termes indiqués, il s’agissait d’une
jurisprudence constante qui devait être appliquée pour apprécier le caractère
abusif des «clauses plancher» rédigées par les établissements de crédit, si les
circonstances de fait étaient identiques.
33 En ce qui concerne la restitution des sommes versées en application de la clause
déclarée nulle, le Tribunal Supremo a constaté que, conformément à l’arrêt du
9 mai 2013, les mêmes exigences de sécurité juridique, de bonne foi et de risque
de bouleversement de l’ordre public économique existaient. Partant, les arrêts des
25 mars et 29 avril 2015 ont limité l’obligation de restituer les sommes versées en
application des «clauses plancher» à celles versées après
[Or. 13] la publication
de l’arrêt du 9 mars 2013, date à partir de laquelle la bonne foi des milieux
intéressés que le Tribunal avait prise en compte pour limiter les effets de cet arrêt
faisait défaut.
IV.2. Reformulation des questions préjudicielles. Analyse conjointe
34 Compte tenu des considérations qui précèdent et pour passer dès maintenant à
l’analyse des questions préjudicielles, selon une jurisprudence constante, dans le
cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour
8 Arrêt n° 139/2015 de la chambre civile du Tribunal Supremo du 25 mars 2015,
ECLI:ES:TS:2015:1280.
9
Arrêt n° 222/2015 de la chambre civile du Tribunal Supremo du 29 avril 2015,
ECLI:ES:TS:2015:2207.
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instituée par l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge de
renvoi une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi 10.
35 À cet égard, le Royaume d’Espagne considère que les deux questions de la
juridiction de renvoi doivent être examinées conjointement et reformulées de la
manière suivante:
L’article 6, paragraphe 1 de la directive 93/13/CEE (dans la mesure où il dispose
que les États membres prévoient que les clauses abusives ne lient pas les
consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux), et
l’article 7, paragraphe 1, de cette directive (dans la mesure où il exige que les
États membres veillent à ce que des moyens adéquats et efficaces existent afin de
faire cesser l’utilisation des clauses abusives) doivent-ils être interprétés en ce
sens qu’ils s’opposent à une jurisprudence d’une juridiction suprême d’un État
membre selon laquelle, lorsqu’une clause est déclarée abusive pour défaut de
transparence en vertu de l’article 4, paragraphe 2, de cette directive, le juge, afin
de préserver l’équilibre contractuel, compte tenu des circonstances de l’espèce,
limite les effets économiques susceptibles de découler de la nullité à compter de la
date de l’arrêt?
A)
Sur la portée de l’expression «ne lient pas» figurant à l’article 6 de la
directive 93/13, lu à la lumière de l’article 7 de cette directive, et l’autonomie
procédurale des États membres. La jurisprudence de la Cour à cet égard
[Or. 14]
36 Pour apporter une réponse adéquate aux questions préjudicielles, il convient
d’analyser l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 et l’interprétation que la
Cour a donnée à cette disposition eu égard au principe d’autonomie procédurale.
37 Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, «
[l]es États
membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec
un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les
conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant
pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses
abusives».
38 Il y a lieu de garder à l’esprit que la directive 93/13 renvoie aux droits nationaux
en ce qui concerne les modalités et la portée de ce caractère non contraignant.
Ainsi, cette notion d’absence de caractère contraignant ne doit pas être définie au
niveau du droit de l’Union, sans préjudice de ce que les États membres doivent en
tout état de cause respecter les principes d’effectivité, c’est-à-dire ne pas
compromettre l’effet utile de la directive, et d’équivalence, qui exige que
l’application du droit de l’Union conformément aux mécanismes de droit interne
10
Arrêts Krüger (C‑334/95, EU:C:1997:378), point 22, et Roquette Frères (C‑88/99,
EU:C:2000:652), point 18.
12
GUTIÉRREZ NARANJO
ne fasse pas l’objet d’un traitement moins favorable que l’application du droit
interne des États membres.
39 À cet égard, la Cour a itérativement jugé que les expressions renvoyant
expressément au droit des États membres pour déterminer leur sens et leur portée
ne constituent pas des notions harmonisées 11.
40 En outre, plus précisément, en ce qui concerne l’expression «ne lient pas», dans
ses conclusions présentées dans l’affaire Invitel, l’avocat général Trstenjak a
signalé que cette notion elle-même n’est pas univoque et tient compte de ce que
les conséquences qui découlent de la constatation du caractère abusif d’une clause
sont en fin de compte celles prévues par le droit national. Celles-ci peuvent varier
d’un ordre juridique à l’autre. C’est notamment pour cela que l’article 6,
paragraphe 1, de la directive 93/13 emploie une notion neutre. Cette disposition de
la directive se borne à fixer un objectif qu’il appartient aux États membres
d’atteindre sans pour autant préciser si la clause en question doit être considérée
comme nulle ou dépourvue d’effet.
[Or. 15] Ladite disposition renvoie au droit
national le soin de prévoir la sanction juridique précise attachée au caractère
abusif d’une clause. L’utilisation par le législateur de l’Union de termes neutres se
fonde sur la reconnaissance de la diversité des systèmes de droit civil et des
traditions civilistes au sein de l’Union 12. Cela confirme l’absence d’harmonisation
des effets juridiques concrets de l’absence de caractère contraignant.
41 La Cour a signalé que le douzième considérant de la directive 93/13 reconnaît que
cette dernière n’a procédé qu’à une harmonisation partielle et minimale des
législations nationales relatives aux clauses abusives 13.
42 De même, le rapport de la Commission européenne sur l’application de la
directive 93/13 14 reconnaît que celle-ci constitue une réglementation minimale.
Plus particulièrement, s’agissant de la sanction liée à la constatation du caractère
abusif, ce rapport relève que, en raison de la diversité des traditions légales
existantes, l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 a été intégré de façon
différente, de sorte que les sanctions civiles varient entre l’inexistence, la nullité,
l’annulabilité, l’inefficacité ou l’inapplicabilité des clauses abusives.
43 Eu égard aux considérations qui précèdent, il n’y a, en aucun cas, lieu d’estimer
que la directive 93/13 a harmonisé les conséquences juridiques du caractère non
contraignant prévu à l’article 6 de la directive 93/13, sans préjudice de la nécessité
que les États membres respectent les principes d’effectivité et d’équivalence.
11
Arrêt Kásler et Káslerné Rábai (C‑26/13, EU:C:2014:282), point 37.
12
Conclusions de l’avocat général Trstenjak dans l’affaire Invitel (C‑472/10,
EU:C:2011:806), point 48.
13
Arrêt Caja de Ahorros y Monte de Piedad de Madrid (C‑484/08, EU:C:2010:309), point 28.
14
Rapport de la Commission sur l’application de la directive 93/13/CEE du Conseil du
5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les
consommateurs, Bruxelles, 27 avril 2000 [COM(2000) 248 final].
13
AFFAIRE C-154/15 – 16
B)
Sur la portée de l’expression «ne lient pas» figurant à l’article 6 de la
directive 93/13, lu à la lumière de l’article 7 de cette directive, et celle du
principe d’effectivité, selon la jurisprudence de la Cour en la matière
44 Compte tenu de la conclusion que nous avons tirée dans la partie qui précède, il
convient d’analyser si la jurisprudence découlant de l’arrêt du Tribunal Supremo
du 9 mai 2013 peut
[Or. 16] être considérée comme contraire au principe
d’effectivité, tel qu’interprété par la Cour, à la lumière des articles 6 et 7 de la
directive 93/13.
45 Certes, la Cour a interprété l’expression «ne lient pas» en fixant certaines limites
dans le but précis de protéger le principe d’effectivité. En l’occurrence, la Cour a
jugé que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 s’oppose à une
réglementation d’un État membre qui permet au juge national, lorsqu’il constate la
nullité d’une clause abusive dans un contrat conclu entre un professionnel et un
consommateur, de compléter ledit contrat en révisant le contenu de cette clause 15.
46 Pour fonder cette conclusion, la Cour a souligné que, s’il était loisible au juge
national de réviser le contenu des clauses abusives figurant dans de tels contrats,
une telle faculté serait susceptible de porter atteinte à la réalisation de l’objectif à
long terme visé à l’article 7 de la directive 93/13, puisque cela contribuerait à
éliminer l’effet dissuasif exercé sur les professionnels par la pure et simple non-
application à l’égard du consommateur de telles clauses abusives, dans la mesure
où ceux-ci demeureraient tentés d’utiliser lesdites clauses, en sachant que, même
si celles-ci devaient être invalidées, le contrat pourrait néanmoins être complété,
dans la mesure nécessaire, par le juge national de sorte à garantir ainsi l’intérêt
desdits professionnels 16.
47 Il est essentiel de préciser que la jurisprudence dont, en dernière analyse, les
présentes questions préjudicielles remettent en cause le contenu ne modifie ni ne
complète le contenu de la clause déclarée abusive pour défaut de transparence.
[Or. 17]
48 Au contraire, conformément aux prescriptions de la directive transposée en droit
interne et à l’interprétation que la Cour a donnée à celles-ci, cette jurisprudence a
ordonné de cesser d’utiliser cette clause et de l’éliminer définitivement des
contrats, qui demeurent en vigueur sans le contenu de ladite clause. Cela permet
d’éviter que les professionnels puissent être tentés de continuer à utiliser ces
clauses et respecte l’objectif de dissuasion poursuivi par la directive 93/13.
49 Afin d’approfondir cette analyse, il convient de distinguer les actions collectives
des actions individuelles.
15
Arrêts Banco Español de Crédito (C‑618/10, EU:C:2012:349), point 73, et Kásler et
Káslerné Rábai (C‑26/13, EU:C:2014:282), point 77.
16
Arrêts Banco Español de Crédito (C‑618/10, EU:C:2012:349), point 69, et Kásler et
Káslerné Rábai (C‑26/13, EU:C:2014:282), point 79.
14
GUTIÉRREZ NARANJO
a)
Les actions collectives
50 Il faut garder à l’esprit que l’arrêt du 9 mai 2013 a été rendu à la suite d’une action
collective en cessation dont l’objet n’est autre, conformément à l’article 7,
paragraphe 2, de la directive 93/13, que de «faire cesser l’utilisation» des clauses.
De même, l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive 2009/2[2], qui se
projette clairement vers l’avenir, dispose que les États membres doivent assurer
que ces actions tendent à faire cesser ou interdire toute infraction.
51 Compte tenu, précisément, de ces circonstances, la Cour a jugé, dans l’arrêt
Invitel, que, en ce qui concerne des actions en cessation, la directive ne vise pas à
harmoniser les sanctions applicables dans l’hypothèse d’une reconnaissance du
caractère abusif d’une clause dans le cadre desdites actions, mais à veiller à ce que
des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des
clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs 17.
52 Ainsi, la solution adoptée par le Tribunal Supremo dans son arrêt du 9 mai 2013
précité garantit pleinement l’effet dissuasif poursuivi par les articles 6 et 7 de la
directive 93/13 en constatant la nullité des «clauses plancher» précitées, insérées
dans les conditions générales de contrats conclus avec des consommateurs, et en
condamnant les établissements de crédit parties à la procédure à éliminer ces
[Or. 18] clauses et à cesser de les utiliser et en constatant la subsistance des
contrats de prêt conclus par ces établissements. Dans le cas des actions collectives,
l’absence d’effet rétroactif de l’arrêt du 9 mai 2013, qui ne remet en cause ni les
situations définitivement établies par une décision juridictionnelle ayant force de
chose jugée, ni les paiements déjà effectués lors de la publication de cet arrêt, ne
porte pas atteinte à l’effet dissuasif poursuivi par la directive 93/13.
b)
Les actions individuelles
53 Sur le fondement de l’arrêt précité, lorsqu’il a ensuite statué sur des actions
individuelles, le Tribunal Supremo a jugé que, s’agissant de «clauses planchers»
insérées dans des contrats de prêt hypothécaire à intérêt variable entachés du
manque de transparence constaté dans l’arrêt du 9 mai 2013, il y avait également
lieu d’ordonner la restitution aux emprunteurs des intérêts versés en application de
ces clauses à compter de la publication de cet arrêt.
54 Comme nous le démontrerons plus avant, cette jurisprudence, établie dans le cadre
d’une procédure individuelle, est pleinement conforme aux articles 6, paragraphe
1, et 7, paragraphe 1, de la directive 93/13.
55 Cette jurisprudence est également conforme à l’arrêt Invitel (C‑472/10,
EU:C:2011:806). En effet, l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 dispose
que, lorsqu’une clause est déclarée abusive dans le cadre d’une action en cessation
telle que celle qui fait l’objet du litige au principal, les juridictions nationales sont
17
Arrêt Invitel (C‑472/10, EU:C:2012:242), point 35.
15
AFFAIRE C-154/15 – 16
tenues, également dans le futur, d’en tirer d’office toutes les conséquences qui
sont prévues par le droit national afin que les consommateurs ayant conclu un
contrat soumis à une telle clause ne soient pas liés par celle-ci 18.
56 Cette jurisprudence est conforme aux articles 6, paragraphe 1, et 7, paragraphe 1,
de la directive 93/13 parce que, dans toutes les affaires dans lesquelles le Tribunal
Supremo a constaté le caractère abusif des «clauses plancher» et limité l’effet de
cette constatation dans le temps, deux éléments
[Or. 19] étaient réunis.
Premièrement, le caractère abusif ne découlait pas du contenu intrinsèque de la
«clause plancher» ou de ses conséquences sur le contrat de prêt, dont le Tribunal
Supremo a constaté la licéité. Deuxièmement, le Tribunal Supremo a constaté le
caractère abusif au regard de l’obligation de clarté et de transparence, sous son
aspect matériel et non formel. Le caractère abusif a été apprécié sur le fondement
des articles 4, paragraphe 2, et 5 de la directive 93/13.
57 Le Royaume d’Espagne estime que, lorsque le caractère abusif est constaté sur le
fondement des articles 4, paragraphe 2, et 5 de la directive 93/13, l’expression «ne
lient pas» et l’obligation qui incombe aux États membres en vertu de l’article 7 de
cette directive n’imposent pas d’éliminer rétroactivement la clause déclarée
abusive pour manque de transparence, mais laissent aux États membres le soin
d’arrêter les modalités de l’absence de caractère contraignant, pour autant que
celles-ci assurent le rétablissement de l’équilibre contractuel et l’effet dissuasif.
58 Cela ressort du propre rapport sur l’application de la directive 93/13/CEE, du
27 avril 2000, dans lequel la Commission a reconnu que, eu égard au libellé de
l’article 5 de la directive 93/13, la violation du principe de transparence n’entraîne
pas de sanctions proprement dites, de sorte que les clauses contractuelles qui ne
respectent pas les critères de clarté et de compréhensibilité ne sont ni écartées du
contrat ni considérées comme abusives, mais donnent uniquement naissance à une
obligation d’interprétation favorable au consommateur.
59 Dans ce contexte, il convient de tenir compte du fait que la jurisprudence de la
Cour est des juridictions nationales des États membres a évolué en ce qui
concerne aussi bien la définition de l’effet utile poursuivi par l’exigence de clarté
et de compréhensibilité des clauses, jusqu’à exiger de garantir que celles-ci soient
réellement connues, sur le fondement de l’article 20 de la directive 93/13, que la
sanction concrète qui doit être appliquée lorsque le manque de transparence
affecte l’objet principal du contrat. Dans ces hypothèses, en vertu des articles 5
et 4, paragraphes 2, de la directive 93/13, interprétés conjointement, il y a
effectivement lieu de constater le caractère abusif.
[Or. 20]
60 Cela ressort des récents arrêts Kásler et Káslerné Rábai 19 et Unicaja Banco et
Caixabank 20 et de l’ordonnance Banco Bilbao Vizcaya Argentaria 21. Dans ces
18
Arrêt Invitel (C‑472/10, EU:C:2012:242), point 38.
19
Arrêt Kásler et Káslerné Rábai (C‑26/13, EU:C:2014:282).
16
GUTIÉRREZ NARANJO
affaires, la Cour a souligné que l’exigence de clarté et de compréhensibilité des
clauses ne suppose pas simplement que celles-ci soient grammaticalement
intelligibles, mais que le contrat expose de manière transparente le
fonctionnement de la clause. Cela suppose que le consommateur puisse évaluer,
sur la base de critères précis et compréhensibles, les conséquences économiques
que la clause entraîne à son égard.
61 De même, la jurisprudence citée au point précédent tient compte des nuances qui
découlent de l’hypothèse visée à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13,
telles que l’affectation de l’objet principal du contrat et l’impossibilité d’apprécier
le caractère abusif de la clause en elle-même, sans préjudice du respect des
principes de clarté et de transparence.
62 Dans l’arrêt Kásler et Káslerné Rábai, la Cour a jugé que, dans une telle
hypothèse, la substitution d’une disposition nationale à caractère supplétif à une
clause abusive est conforme à l’objectif de l’article 6, paragraphe 1, de la directive
93/13, dès lors que, selon une jurisprudence constante, cette disposition tend à
substituer à l’équilibre formel que le contrat établit entre les droits et obligations
des cocontractants un équilibre réel de nature à rétablir l’égalité entre ces derniers
et non pas à annuler tous les contrats contenant des clauses abusives 22.
63 C’est précisément cette clarification de l’effet utile de l’expression «ne lient pas»
figurant à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 dans l’hypothèse du
manque de transparence d’une clause relative à l’objet principal du contrat qu’il
convient de prendre en compte pour apprécier si la non rétroactivité des effets
pécuniaires de la constatation de la nullité des «clauses plancher» est contraire à la
directive.
64 En l’espèce, il y a lieu de tenir compte du fait que, dans son arrêt du 9 mai 2013,
le Tribunal Supremo a jugé, dans les mêmes termes que dans l’arrêt du
25 mars 2015, que les «clauses plancher» portent sur l’objet principal du
[Or. 21]
contrat 23, dès lors qu’elles remplissent la fonction essentielle de définir le prix et,
conformément à la jurisprudence que la Cour a ensuite établie dans son arrêt
Kásler et Káslerné Rábai (C‑26/13, EU:C:2014:282), le Tribunal Supremo a
soumis ces clauses à un contrôle de transparence non seulement formel, mais
également matériel, et jugé qu’elles ne respectaient pas l’aspect matériel de ce
contrôle 24.
20
Arrêt Unicaja Banco et Caixabank (C‑482/13, C‑484/13, C‑485/13 et C‑487/13,
EU:C:2015:21).
21
Ordonnance Banco Bilbao Vizcaya Argentaria (C‑602/13, EU:C:2015:397).
22
Arrêt Kásler et Káslerné Rábai (C‑26/13, EU:C:2014:282), point 82, et la jurisprudence
citée.
23
Arrêt du Tribunal Supremo du 9 mai 2013, points 189 et 190.
24
Arrêt du Tribunal Supremo du 9 mai 2013, point 225.
17
AFFAIRE C-154/15 – 16
65 Néanmoins, eu égard à la jurisprudence que la Cour a par la suite établie dans
l’arrêt Kásler et Káslerné Rábai (C‑26/13, EU:C:2014:282), ainsi qu’à l’intérêt du
consommateur, le Tribunal Supremo a interprété strictement l’article 4,
paragraphe 2, de la directive 93/13 et considéré que, compte tenu de la nature des
«clauses plancher» et de la manière dont les établissements défendeurs les ont
traitées, ces clauses ne sont pas indissociables de la définition contractuelle du
taux d’intérêt applicable au contrat de prêt et, partant, de son objet et de sa cause.
Par conséquent, bien que les «clauses plancher» portent sur l’objet principal du
contrat, leur nullité n’emporte pas celle des contrats dans lesquels elles figurent 25,
contrairement à la situation dans l’arrêt Kásler et Káslerné Rábai.
66 Ainsi, le Tribunal Supremo, dans l’exercice de sa compétence exclusive quant à
l’appréciation des faits, a jugé que, bien qu’elles portent sur l’objet principal du
contrat, les «clauses plancher» ne constituent pas un élément indissociable du
prix. Il a donc conclu que le caractère abusif n’empêchait pas le lien contractuel
de subsister.
67 Dans ce contexte, à titre exceptionnel, le Tribunal Supremo a considéré qu’il
convenait de limiter l’effet dans le temps de la constatation de nullité, de telle
sorte que celle-ci ne produise ses effets qu’à partir de l’arrêt du 9 mai 2013, dans
lequel, sur le fondement de l’exigence de la plus grande transparence effective, le
Tribunal Supremo a constaté, pour la première fois, avant même la Cour, la nullité
d’une «clause plancher» qui, bien qu’elle portât sur l’objet principal du contrat,
n’a pas été considérée comme un élément essentiel ayant une incidence sur la
subsistance de celui-ci.
68 Dans cette affaire, il n’y avait pas lieu de constater la nullité ex tunc pour une
raison analogue à celle relevée dans l’arrêt Kásler et Káslerné Rábai (C‑26/13,
EU:C:2014:282), qui n’est autre que le fait que
[Or. 22] l’équilibre réel est atteint
à partir du moment où l’absence de caractère contraignant est constatée, sans qu’il
ne soit besoin de reconnaître un effet rétroactif à cette constatation, dès lors que,
comme le Tribunal Supremo l’a relevé dans cet arrêt et comme nous le verrons
dans la partie C) ci-dessous, la «clause plancher» en tant que condition générale
n’est pas, en soi, abusive. Au contraire, elle répond à une raison objective et son
insertion dans le contrat a eu une influence sur la décision de l’établissement de
crédit de concéder le prêt hypothécaire. Par conséquent, reconnaître l’effet
rétroactif irait au-delà du rétablissement de l’équilibre réel entre le professionnel
et le consommateur.
69 En définitive, en appliquant les articles 4, paragraphe 2, et 5 de la directive 93/13,
le Tribunal Supremo a pleinement garanti le respect des articles 6 et 7 de la
directive 93/13 et, partant, du principe d’effectivité, dès lors qu’il a condamné les
défenderesses à éliminer de leurs contrats les clauses examinées dans le cadre du
recours et à s’abstenir de les utiliser à l’avenir, et constaté la subsistance des
25 Arrêt du Tribunal Supremo du 9 mai 2013, points 274 et 275.
18
GUTIÉRREZ NARANJO
contrats en l’absence des clauses déclarées abusives, ainsi que le droit d’obtenir
un remboursement à partir de la date du premier arrêt qui a constaté l’illicéité de
ces clauses.
70 Tel est le cas parce que, conformément aux arguments exprimés ci-dessus, le
principe d’effectivité ne s’oppose pas à la limitation de l’effet rétroactif des arrêts
constatant le caractère abusif d’une clause contractuelle dans le cadre d’actions
individuelles à partir de la date du premier arrêt qui a constaté le caractère abusif,
pour manque de transparence, de clauses réunissant les mêmes caractéristiques
que celles qui font l’objet de la procédure au principal.
C)
La limitation de l’effet rétroactif est conforme au droit de l’Union.
Lorsqu’il a limité l’effet rétroactif de ses arrêts, le Tribunal Supremo a tenu
compte des mêmes exigences que celles auxquelles la Cour se réfère
71 Conformément aux considérations exprimées dans la partie précédente, la
jurisprudence remise en cause par les présentes questions préjudicielles respecte
pleinement l’absence de caractère contraignant prévue à l’article 6 de la directive
93/13, puisque l’arrêt en question garantit le rétablissement complet de l’équilibre
contractuel. Par conséquent, il nous faut insister sur le fait que la jurisprudence
établie dans l’arrêt du 9 mai 2013 et l’application de cette jurisprudence dans les
arrêts ultérieurs sont conformes aux prescriptions de la directive 93/13 et à la
législation interne, dans la mesure où cette jurisprudence prévoit
[Or. 23]
l’absence de caractère contraignant et l’interdiction d’utiliser ces clauses à
l’avenir, dans les termes de cet arrêt.
72 En Espagne, le Tribunal Supremo est l’interprète le plus autorisé de la légalité
ordinaire. Aux termes de l’article 1er, paragraphe 6, du code civil, «
la
jurisprudence complète l’ordre juridique par le biais des principes énoncés de
manière constante par le Tribunal Supremo dans son interprétation et son
application de la loi, de la coutume et des principes généraux du droit». Dans le
cadre de cette interprétation, le Tribunal peut, à titre exceptionnel, moduler et
compléter l’ordre juridique. Le fait que, dans le cadre de cette compétence et, à la
demande du ministère public, le Tribunal Supremo ait jugé que l’arrêt constatant
la nullité de la clause abusive n’aurait pas un effet rétroactif à compter de la
conclusion des contrats relève de la marge d’appréciation dont les États membres
disposent en vertu du principe d’autonomie procédurale 26 et opère en marge du
droit de l’Union.
73 En outre, sans préjudice de ce qu’il appartient au juge national d’apprécier les
faits, nous ne saurions manquer de souligner que les motifs pour lesquels le
Tribunal Supremo a limité l’effet rétroactif de son arrêt ont suivi pas à pas les
principes que la Cour applique pour limiter l’effet rétroactif de ses arrêts.
26
Ordonnance Sánchez Morcillo et Abril García (C‑539/14, EU:C:2015:508), point 33, et la
jurisprudence citée.
19
AFFAIRE C-154/15 – 16
74 À cet égard, l’arrêt du Tribunal Supremo du 9 mai 2013 cite expressément l’arrêt
RWE Vertrieb 27, qui porte précisément sur les droits des consommateurs et
utilisateurs, et dans lequel la Cour a jugé qu’elle était compétente pour appliquer
le principe de sécurité juridique inhérent à l’ordre juridique de l’Union et limiter
la possibilité, pour tout intéressé, d’invoquer une disposition qu’elle a interprétée
en vue de mettre en cause des relations juridiques établies de bonne foi, pour
autant que deux critères essentiels soient réunis:
–
la bonne foi des milieux intéressés;
–
le risque de troubles graves.
[Or. 24]
75 En l’espèce, le Tribunal Supremo, après avoir constaté le caractère abusif parce
que les informations fournies au consommateur lors de la conclusion du contrat
manquaient de transparence, a néanmoins considéré que les conditions de bonne
foi et de risque de troubles graves pour l’économie nationale étaient réunies et a,
conformément aux considérations qui précèdent, limité dans le temps les effets de
la constatation de nullité de son arrêt.
76 En ce qui concerne l’exigence de bonne foi, comme l’indique le point 293 de
l’arrêt du Tribunal Supremo du [9] mai 2013, cette exigence était réunie, eu égard
aux éléments suivants:
–
les «clauses plancher» sont, en soi, licites. La condamnation à cesser
d’utiliser les clauses et à les supprimer en raison de leur caractère abusif ne
se fonde pas sur le caractère intrinsèquement illicite de leurs effets, mais sur
le manque de transparence. Ce manque de transparence ne résulte pas du fait
qu’elles soient obscures en soi, mais de l’insuffisance d’informations au
moment de conclure le contrat;
–
néanmoins, le Tribunal Supremo a constaté que les établissements de crédit
avaient respecté les exigences réglementaires en matière d’information
imposées par l’arrêté ministériel du 5 mai 1994 relatif à la transparence des
conditions financières des prêts hypothécaires 28;
–
le Tribunal Supremo a relevé que leur insertion dans les contrats à intérêt
variable répondait à des raisons objectives. Un rapport de la Banque
d’Espagne «relatif à certaines clauses figurant dans les contrats de prêt
hypothécaire» 29, présenté au Sénat le 27 avril 2010, qui indiquait que
l’utilisation de ces clauses correspondait au loyer de l’argent, constitué pour
la plus grande partie par des ressources de clients individuels, très peu
élastiques à la baisse à partir d’un certain niveau de loyer de l’argent, et aux
27
Arrêt RWE Vertrieb (C‑92/11, EU:C:2013:180), point 59.
28
BOE n° 112 du 11 mai 1994. Abrogé, à compter du 29 avril 2012, par l’arrêté
EHA/2899/2011 du 28 octobre 2011.
29
Publié au BOCG, Senado, série 1, n° 457, du 7 mai 2010, p. 11 à 26.
20
GUTIÉRREZ NARANJO
frais structurels nécessaires pour produire et administrer les prêts, qui sont
indépendants du loyer de l’argent, a été produit;
–
comme l’indique le rapport de la Banque d’Espagne, la finalité de la
détermination du taux d’intérêt minimal répond au besoin de maintenir un
rendement minimal de ces actifs (des prêts hypothécaires) qui permette aux
établissements d’obtenir compensation pour les coûts de production et le
maintien de ces financements;
[Or. 25]
–
de même, selon ledit rapport, les clauses étaient calculées de manière à ne
pas entraîner de changements significatifs sur les échéances fixées
initialement, prises en compte par les emprunteurs pour prendre leurs
décisions économiques;
–
la législation espagnole et, plus précisément, la loi 2/1994, du 30 mars, sur la
subrogation et la modification des prêts hypothécaires permet la substitution
du créancier sans son consentement, de sorte que le consommateur
mécontent pouvait et peut à tout moment renégocier les conditions du prêt
hypothécaire avec un autre établissement;
–
il ne s’agit pas de clauses inhabituelles ou extravagantes. Le rapport de la
Banque d’Espagne susmentionné indique, au point 2, relatif à la couverture
du risque de taux d’intérêt en Espagne, que «
[…] près de 97 % des prêts
assortis d’une hypothèque sur le logement ont un taux d’intérêt variable»;
–
leur utilisation a longtemps été tolérée par le marché. Selon le rapport de la
Banque d’Espagne, avant 2004, elles étaient déjà utilisées dans près de 30 %
du portefeuille de prêts.
77 En définitive, le Tribunal Supremo a conclu à la bonne foi des établissements de
crédit, puisque, bien que les informations fournies ne couvrissent pas toutes celles
qui ont ensuite été requises à partir de l’arrêt du 9 mai 2013, il n’en demeurait pas
moins que ces établissements avaient respecté les exigences édictées par l’arrêté
ministériel du 5 mai 2004, relatif à la transparence des conditions financières des
prêts hypothécaires, en vigueur à l’époque des faits 30.
78 Comme l’indiquait le préambule de cet arrêté, sa finalité essentielle était de
garantir que les personnes concluant des contrats de prêt hypothécaire soient
dûment informées et protégées, tout particulièrement au moment du choix de
l’établissement de crédit, lequel devait obligatoirement remettre une brochure
explicative initiale précisant clairement, de la manière la plus standardisée
possible, les conditions financières du prêt. Par ailleurs, ce préambule indiquait
que cet arrêté non seulement aidait l’emprunteur à choisir l’offre de prêt qui lui
convenait le mieux, mais visait également à l’aider à comprendre parfaitement les
implications financières du contrat de prêt hypothécaire qu’il conclurait en fin de
30 BOE n° 112 du 11 mai 1994.
21
AFFAIRE C-154/15 – 16
compte. C’est pour cette raison qu’il était exigé que ces contrats, nonobstant la
liberté contractuelle, contiennent des clauses financières standardisées quant à leur
fonctionnement et leur contenu, de telle sorte que
[Or. 26] l’emprunteur puisse les
comprendre. En outre, cet arrêté indiquait que le notaire authentifiant le prêt
hypothécaire devait contribuer à cette bonne compréhension en indiquant
expressément à l’emprunteur la signification des clauses qui, de par leur nature
technique intrinsèque, auraient pu passer inaperçues.
79 Bien que les établissements de crédit aient respecté les exigences posées par
l’arrêté ministériel susvisé, qui semblaient, en vertu de la législation applicable,
constituer les critères nécessaires pour apprécier le respect de l’aspect informatif
de l’obligation de transparence, le Tribunal Supremo, pour protéger autant que
possible les consommateurs, est allé plus loin dans la définition de la notion de
transparence réelle. Ainsi, il a ajouté l’exigence d’assurer une compréhension
réelle en tous les cas et considéré que, à cette fin, le respect des conditions posées
par la réglementation nationale sur la transparence des conditions financières des
prêts hypothécaires pouvait s’avérer insuffisant.
80 Pour la première fois, le Tribunal Supremo a donné une interprétation de
l’exigence de transparence effective consacrée à l’article 4, paragraphe 2, de la
directive 93/13 et à l’article 80 de la LGDCU qui va au-delà de l’exigence
d’informer le consommateur prévue par la réglementation sectorielle et tend à
assurer que, en tout état de cause, le consommateur a pris connaissance et compris
les conséquences juridiques et économiques des conditions générales figurant
dans le contrat et portant sur l’objet principal de celui-ci.
81 Eu égard à cette interprétation innovante du cadre juridique jusqu’alors applicable,
dont le respect avait donné naissance à la confiance légitime dans le fait que
l’obligation de transparence était respectée, ainsi qu’à la licéité intrinsèque des
clauses en question, le Tribunal Supremo a conclu que les milieux intéressés, à
savoir les établissements bancaires, avaient agi de bonne foi lorsqu’ils avaient
inséré et rédigé ces clauses en pensant avoir fourni suffisamment d’informations
au consommateur. À cette fin, le Tribunal Supremo a tenu compte des mêmes
exigences que celles que la Cour prend en considération pour apprécier la bonne
foi susvisée 31.
[Or. 27]
82 En outre, l’interprétation du Tribunal Supremo est la plus conforme au principe de
sécurité juridique. Dans plusieurs affaires, la Cour a d’ailleurs jugé qu’il convient
de choisir l’interprétation qui garantit au mieux le respect des principes de sécurité
juridique et de confiance légitime. En vertu de ces principes, la législation de
l’Union doit être claire et prévisible pour les justiciables 32. À cet égard, il y a lieu
de garder à l’esprit que l’objectif de la sécurité juridique des règles de l’Union est
d’assurer que les situations et les liens juridiques soient prévisibles 33. Par
31 Arrêt Blaizot e.a. (24/86, EU:C:1988:43), points 29 et 31 à 33.
32
Arrêt Meridionale Industria Salumi e.a. (212/80 à 217/80, EU:C:1981:270), point 10.
33
Arrêt Duff e.a. (C‑63/93, EU:C:1996:51), point 20.
22
GUTIÉRREZ NARANJO
conséquent, cela suppose que toute interprétation innovante d’un cadre juridique
existant doit tenir compte des situations et liens juridiques existants, comme le
Tribunal Supremo l’a relevé dans sa jurisprudence.
83 De manière analogue, dans les affaires dans lesquelles elle a justifié les
hypothèses dans lesquelles elle a choisi de limiter les effets [de ses arrêts], la Cour
a pris en compte des considérations impérieuses de sécurité juridique 34 ou
l’application du principe de sécurité juridique inhérent à l’ordre juridique de
l’Union 35. Les arrêts du Tribunal Supremo répondent également à ces
considérations et à la nécessité de sauvegarder ce principe. Autrement,
l’interprétation jurisprudentielle évolutive, qui incombe à toute juridiction
suprême d’un État membre, poserait un risque.
84 De plus, le Tribunal Supremo a déjà appliqué ce principe de limitation des effets
dans le temps dans ses arrêts du 13 mars 2012 36 et du 16 mai 2000 37, s’agissant
de la limitation des effets d’un arrêt constatant la nullité de plein droit sur le seul
fondement du droit interne.
85 En ce qui concerne le risque avéré de troubles graves pour l’ordre public
économique, dans son arrêt du 9 [mai] 2013, le Tribunal Supremo a considéré que
ce risque était notoire, étant donné qu’il était habituel que les prêts hypothécaires
octroyés par les établissements de crédit
[Or. 28] prévoient ce type de clauses,
comme l’indiquait le rapport de la Banque d’Espagne de 2010.
86 En outre, par la suite, dans son arrêt du 25 mars 2015, le Tribunal Supremo a
souligné que la thèse selon laquelle le risque avéré ne se produirait pas dans le
cadre d’une action individuelle ne concordait pas avec la motivation de son arrêt
[du 9 mai 2013], puisque les litiges individuels ne sont pas étrangers à l’ensemble
des procédures relatives à la nullité des «clauses plancher» insérées dans les
innombrables contrats à l’origine de ces procédures, comme il ressort notoirement
des nombreux arrêts en la matière cités dans cette affaire. C’est la raison pour
laquelle le Tribunal Supremo s’est référée à son arrêt antérieur. L’atteinte à l’ordre
public économique n’est pas causée par le montant devant être restitué dans le
cadre d’une seule procédure, qui peut s’avérer risible sous l’angle
macroéconomique, mais par la somme des milliers de procédures clôturées et
engagées dont l’objet est analogue.
87 Cette manière d’apprécier ce type de contrats n’est pas étrangère à la manière dont
le législateur de l’Union a analysé et règlementé certains contrats de prêt
hypothécaire. Plus particulièrement, l’article 1er de la récente directive
2014/17/UE du Parlement européen et du Conseil, du 4 février 2014, sur les
contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage
34 Arrêt Defrenne (43/75, EU:C:1976:56), point 70.
35
Arrêt Denkavit italiana (61/79, EU:C:1980:100), point 17.
36
ES:TS:2012:2453.
37
ES:TS:2000:3952.
23
AFFAIRE C-154/15 – 16
résidentiel et modifiant les directives 2008/48/CE et 2013/36/UE et le règlement
(UE) n° 1093/2010, qui définit l’objet de cette directive, énonce que celle-ci vise à
fixer un cadre commun relatif à certains aspects des dispositions législatives,
réglementaires et administratives des États membres concernant les contrats
couvrant le crédit aux consommateurs garanti par une hypothèque ou autre crédit
relatif à des biens immobiliers à usage résidentiel, notamment l’obligation de
procéder à une évaluation de la solvabilité avant d’accorder un crédit, qui
constitue la base de l’élaboration de normes de souscription effectives en ce qui
concerne les biens immobiliers à usage résidentiel dans les États membres, ainsi
qu’à certaines exigences prudentielles et de surveillance, notamment en matière
d’établissement et de surveillance applicables aux intermédiaires de crédits, aux
représentants désignés et aux prêteurs autres que les établissements de crédit.
Nous ferons observer que le législateur de l’Union a non seulement tenu compte
de l’aspect individuel des contrats, mais plus particulièrement de leur effet cumulé
ou macroéconomique. Le troisième considérant de la directive 2014/17 mentionne
expressément la nécessité de garantir la stabilité financière.
[Or. 29]
88 Il y a lieu de garder à l’esprit que, pour corroborer l’interprétation correcte d’une
disposition du droit de l’Union, la Cour a elle-même tenu compte de dispositions
d’un autre instrument présentant un lien particulier avec cette disposition 38.
89 Par ailleurs, la Cour n’ignore pas non plus les effets économiques cumulés de
cette question, qui sont bien connus, étant donné que, en marge du présent renvoi
préjudiciel, d’autres juridictions nationales ont saisi la Cour ou ont l’intention de
la saisir de questions préjudicielles similaires concernant la jurisprudence du
Tribunal Supremo.
90 De surcroît, la limitation des effets est équitable et proportionnée, étant donné que,
aux termes des arrêts rendus après celui du 9 mai 2013, la nullité a un effet
rétroactif à compter de ce dernier arrêt, qui a pour la première fois constaté la
nullité des «clauses plancher» pour manque de transparence. Cette limitation est
équitable et proportionnée parce qu’elle tient compte du moment où les
établissements de crédit ne pouvaient plus croire de bonne foi que les informations
fournies aux consommateurs respectaient l’obligation de transparence, suivant la
propre jurisprudence de la Cour.
91 Eu égard à l’ensemble des arguments qui précèdent, le Royaume d’Espagne
propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles de la manière suivante.
V.
RÉPONSE AUX QUESTIONS PRÉJUDICIELLES
92 Eu égard à toutes les considérations qui précèdent, le Royaume d’Espagne
propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles en ces termes:
38
Arrêt Bacardi (C‑253/99, EU:C:2001:490), point 50.
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GUTIÉRREZ NARANJO
Les articles 6, paragraphe 1 et 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE doivent
être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une jurisprudence d’une
juridiction d’un État membre selon laquelle, lorsqu’une clause est déclarée
abusive pour défaut de transparence en vertu de l’article 4, paragraphe 2, de cette
directive, le juge, afin de préserver l’équilibre contractuel et la sécurité
[Or. 30]
juridique, compte tenu des circonstances de l’espèce, limite les effets
économiques susceptibles de découler de la nullité à compter de la date de l’arrêt
ayant constaté pour la première fois le caractère abusif des clauses de ce type.
Madrid, le 23 juillet 2015
LES AGENTS DU ROYAUME D’ESPAGNE
(sé) Andrea Gavela Llopis (sé) Miguel Sampol Pucurull
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