Ref. Ares(2015)5247746 - 20/11/2015
COMMISSION EUROPÉENNE
Bruxelles, le 19 novembre 2015
sj.a(2015)5749723 ORIG : ES
Document de procédure juridictionnelle
À MONSIEUR LE PRÉSIDENT
ET AUX MEMBRES DE LA COUR DE JUSTICE DE L'UNION EUROPÉENNE
OBSERVATIONS ÉCRITES
déposées, conformément à l’article 23, deuxième alinéa, du protocole sur le
statut de la Cour de justice de l'Union européenne, par la
COMMISSION EUROPÉENNE
représentée par M.
Éric GIPPINI FOURNIER, expert principal du service
juridique, Mme
Helene TSEREPA-LACOMBE, Mme Joanna HOTTIAUX et
M. Folkert WILMAN, membres de son service juridique, en qualité d’agents,
ayant élu domicile auprès de Mme Merete CLAUSEN, également membre de son
service juridique, bâtiment BECH, 5 rue A. Weicker, 2721 Luxembourg, et
consentant à la signification de tous les actes de procédure par e-Curia,
dans l’affaire C-434/15
ayant pour objet une demande adressée à la Cour par le Juzgado Mercantil n° 3
de Barcelona (Espagne), en vertu de l'article 267 du traité sur le fonctionnement
de l'Union européenne (TFUE), en vue d’obtenir, dans le litige pendant devant
cette juridiction et opposant
Asociación profesional Élite Taxi
et
UBER Systems Spain, S.L.
une décision préjudicielle sur l'interprétation de l'article 56 TFUE et de certaines
dispositions des directives 2006/123/CE, 98/34/CE et 2000/31/CE.
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2
Table des matières
I.
L'AFFAIRE AU PRINCIPAL ET LES QUESTIONS PREJUDICIELLES........................................................ 3
II.
LE DROIT APPLICABLE................................................................................................................... 5
1.
LE DROIT NATIONAL.................................................................................................................................5
2.
LE DROIT DE L’UNION ..............................................................................................................................6
a)
Les traités ......................................................................................................................................6
b)
La directive «commerce électronique»..........................................................................................8
c)
Directive 98/34/CE, modifiée par la directive 98/48/CE, [aujourd'hui remplacée par la
directive 2015/1535/UE]. ............................................................................................................10
d)
La directive «services».................................................................................................................11
III. ANALYSE .....................................................................................................................................12
3.
AVERTISSEMENTS PREALABLES.................................................................................................................12
a)
La portée des questions du droit de l’Union Les imprécisions et inconnues d'ordre factuel .......12
b)
L'élément transfrontalier.............................................................................................................13
c)
Formulation des questions préjudicielles ....................................................................................17
4.
LA DIRECTIVE «COMMERCE ELECTRONIQUE» ..............................................................................................18
a)
Les «services de la société de l'information»...............................................................................18
b)
La clause de marché intérieur et le principe de non-autorisation préalable ...............................21
5.
LA DIRECTIVE «SERVICES» ......................................................................................................................23
6.
LE DROIT PRIMAIRE ............................................................................................................................... 29
IV.
CONCLUSIONS.........................................................................................................................30
3
La Commission a l'honneur de présenter les observations qui suivent.
I.
L'AFFAIRE AU PRINCIPAL ET LES QUESTIONS PRÉJUDICIELLES
1. L'affaire au principal devant la juridiction de renvoi a pour origine une action
en concurrence déloyale intentée par l'Asociación profesional Élite Taxi
devant le Juzgado de lo Mercantil n° 3 de Barcelona (tribunal de commerce
n°
3 de Barcelone). La requérante est une association de taxis de
Barcelone, créée le 25 juillet 2014. La partie défenderesse est UBER
Systems Spain, S.L. («UBER»), une société constituée le 13 mars 2014,
dont la totalité du capital est détenue par la société néerlandaise, UBER
International Holding BV.
2. La requérante invoque, entre autres, l'article 15 de la loi relative à la
concurrence déloyale (Ley de Competencia Desleal)1. En vertu du premier
paragraphe de cet article, l'acte de concurrence déloyale consiste à «se
prévaloir, sur le marché, d'un avantage concurrentiel obtenu en violation des
lois. L'avantage doit être significatif». L'article 15, paragraphe 2, dispose
qu'est «également considérée comme déloyale la simple violation des
règles gouvernant l'activité concurrentielle». La requérante invoque
également d'autres articles de la loi relative à la concurrence déloyale
(articles 4 et 5).
3. Selon la requérante, UBER fournit un service de taxi qui consiste dans le
transport urbain et interurbain de personnes sans disposer des
autorisations, des licences ou agréments nécessaires pour l'exercice de
ladite activité. La requérante soutient que ni UBER, ni les propriétaires et
conducteurs des véhicules affectés au transport ne disposent des licences
nécessaires.
4. La défenderesse affirme quant à elle qu'elle ne fournit pas de service de
transport et que ses services consistent à mettre à la disposition des
utilisateurs des informations et un moyen d'obtenir un service de transport
fourni par un tiers. Selon UBER, sa plateforme informatique, à laquelle on
1 Loi 3/1991 du 10 janvier 1991 relative à la concurrence déloyale, BOE n° 10 du 11.1.1991. Texte
consolidé consultable à cette ad
resse: http://www.boe.es/buscar/pdf/1991/BOE-A-1991-628-
consolidado.pdf.
4
accède depuis une application installée sur des téléphones intelligents, met
en contact deux particuliers et établit une connexion entre eux, et ce sont
ces derniers qui conviennent ensemble de la prestation d'un service de
transport. La défenderesse renvoie aux conditions d'utilisation de son
service où ces points sont mentionnés avec précision. Il s’agit là de
conditions d'utilisation que tout utilisateur du service doit accepter avant de
pouvoir se servir de l'application.
5. Au vu de ce qui précède, le 28 juillet 2015, le Juzgado de lo Mercantil a
décidé de surseoir à statuer et de soumettre à la Cour de justice les
questions préjudicielles suivantes en application de l'article 267 TFUE:
«1) Dans la mesure où l’article 2, paragraphe 2, sous d), de la
directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du
12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur
exclut les activités de transport du champ d’application de cette
directive, l’activité d’intermédiaire entre les propriétaires de
véhicules et les personnes qui ont besoin d’effectuer des
déplacements dans une ville que la défenderesse exerce à titre
lucratif et dans le cadre de laquelle cette dernière gère les moyens
informatiques – interface et application de logiciels («téléphones
intelligents et plateformes technologiques», selon les termes de la
défenderesse) – permettant à ces personnes d’entrer en relation,
doit-elle être considérée comme une activité de transport, comme
un service électronique d’intermédiaire ou comme un service
propre à la société de l’information au sens de l’article
1er,
paragraphe 2, de la directive 98/34/CE du Parlement européen et
du Conseil, du 22 juin 1998, prévoyant une procédure d’information
dans le domaine des normes et réglementations techniques et des
règles relatives aux services de la société de l’information?
2) Aux fins de la détermination de la nature juridique de cette
activité, celle-ci peut-elle être en partie considérée comme un
service de la société d’information et, si tel est le cas, le service
électronique d’intermédiaire doit-il bénéficier du principe de libre
prestation des services garanti par le droit de l’Union et, plus
précisément, par l'article 56 TFUE et les directives 2006/123/CE
et 2000/31/CE?
3) Si la Cour considérait que le service fourni par UBER SYSTEMS
SPAIN SL n’est pas un service de transport et relève donc des
hypothèses visées par la directive 2006/123, le contenu de
l’article 15 de la loi relative à la concurrence déloyale – relatif à la
5
violation des règles gouvernant l’activité concurrentielle – est-il
contraire à cette directive et, plus précisément, à l’article 9 de
celle-ci, relatif à la liberté d’établissement et aux régimes
d’autorisation, en ce qu’il renvoie à des lois ou dispositions
juridiques internes sans tenir compte du fait que le régime
d’obtention des licences, autorisations ou agréments ne saurait en
aucune façon être restrictif ou disproportionné, en ce sens qu’il ne
saurait entraver de manière déraisonnable le principe de liberté
d’établissement?
4) S’il est confirmé que la directive 2000/31/CE est applicable au
service fourni par UBER SYSTEMS SPAIN SL, les restrictions
auxquelles un État membre soumet la libre prestation du service
électronique d’intermédiaire fourni depuis un autre État membre en
exigeant l’obtention d’une autorisation ou d’une licence ou sous la
forme d’une injonction judiciaire de cesser de fournir le service
électronique d’intermédiaire prononcée sur le fondement de la
législation nationale en matière de concurrence déloyale
constituent-elles des mesures valides dérogeant à l’article
3,
paragraphe 2, de la directive 2000/31/CE en vertu de l’article 3,
paragraphe 4, de cette directive?»
6. L'ordonnance
de
renvoi a été présentée et inscrite au greffe de la Cour le
7 août 2015. La Commission a reçu la notification prévue à l'article 23, premier
alinéa, du statut de la Cour le 9 septembre 2015. Le délai pour déposer les
présentes observations, augmenté d'un délai de distance forfaitaire de dix
jours (article 51 du règlement de procédure), expire le 19 novembre 2015.
II. LE DROIT APPLICABLE
1. Le droit national
7. À titre non exhaustif, les dispositions du droit national auxquelles fait
référence l'ordonnance de renvoi sont essentiellement les suivantes:
a. L'article 15 de la loi relative à la concurrence déloyale:
«Article 15. Violation des règles
1. Est considéré comme déloyal le fait de se prévaloir, sur le
marché, d'un avantage concurrentiel obtenu en violation des lois.
L'avantage doit être significatif.
6
2.
Est également considérée comme déloyale la simple violation des
règles gouvernant l'activité concurrentielle. […]».
b. Le «règlement métropolitain du taxi» approuvé par le Consell
Metropolitá de l'Entitat Metropolitana de Transport de Barcelona le
22 juin 2004. Son chapitre I («
La licence comme titre permettant
d'exercer l'activité») et, dans ce chapitre, l'article
11 («
Licence
préalable obligatoire»). La version espagnole du règlement
métropolitain du taxi est jointe en tant qu’
annexe I2.
2. Le droit de l’Union
a) Les traités
8. L'article
90
TFUE
établit une politique commune des transports. Le titre VI
du TFUE ne contient aucune liste détaillée des services auxquels il
s’applique. L'article 100 TFUE indique uniquement que les dispositions du
titre VI s'appliquent aux transports par chemin de fer, par route et par voie
navigable, tandis que le Parlement européen et le Conseil peuvent établir
les dispositions appropriées pour la navigation maritime et aérienne.
9. Concernant le transport par route notamment, l'article
91 TFUE
(ex-article 71 TCE) prévoit l'adoption de dispositions de droit dérivé pour
garantir la mise en œuvre de la politique commune des transports.
L'article 95 TFUE (ex-article 75 TCE) contient une base juridique spécifique
pour les mesures destinées à supprimer certaines discriminations en
matière de transport de marchandises.
10. Il n'existe aucune réglementation sectorielle applicable aux activités de
transport urbain, de taxis ou d'opérateurs qui organisent des services de
transport ou qui agissent comme intermédiaires entre l'offre et la demande
de services de transport. En l'absence d'harmonisation, les libertés
fondamentales garanties par le traité s’appliquent.
2
Source: http://www.bcn.cat/taxi/normativacast/Reglamentocastellano.pdf.
7
11. En matière de libre prestation des services, l'article 56 TFUE dispose:
«
Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la libre
prestation des services à l'intérieur de l'Union sont interdites à l'égard des
ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que
celui du destinataire de la prestation.
[…]»
12. Selon l'article 57 TFUE:
«
Au sens des traités, sont considérées comme services les prestations
fournies normalement contre rémunération, dans la mesure où elles ne
sont pas régies par les dispositions relatives à la libre circulation des
marchandises, des capitaux et des personnes.
[…]»
13. L’article 58 TFUE prévoit:
«1. La libre circulation des services, en matière de transports, est régie par
les dispositions du titre relatif aux transports.
[…]»
14. Selon l’article 49 TFUE, relatif à la liberté d'établissement:
«Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la liberté
d'établissement des ressortissants d'un État membre dans le territoire d'un
autre État membre sont interdites.
Cette interdiction s'étend également aux restrictions à la création d'agences,
de succursales ou de filiales, par les ressortissants d'un État membre établis
sur le territoire d'un État membre.
La liberté d'établissement comporte l'accès aux activités non salariées et leur
exercice, ainsi que la constitution et la gestion d'entreprises, et notamment de
sociétés au sens de l'article 54, deuxième alinéa, dans les conditions définies
par la législation du pays d'établissement pour ses propres ressortissants,
sous réserve des dispositions du chapitre relatif aux capitaux».
8
b) La directive sur le commerce électronique3
15. L’article 2 contient les définitions des notions juridiques utilisées dans la
directive:
«Aux fins de la présente directive, on entend par:
a)
"services de la société de l'information": les services au sens de
l'article 1er, paragraphe 2, de la directive 98/34/CE, telle que modifiée par
la directive 98/48/CE;
b) "prestataire": toute personne physique ou morale qui fournit un service de
la société de l'information;
[…]
h) "domaine coordonné": les exigences prévues par les systèmes juridiques
des États membres et applicables aux prestataires des services de la
société de l'information ou aux services de la société de l'information,
qu'elles revêtent un caractère général ou qu'elles aient été spécifiquement
conçues pour eux.
i)
Le domaine coordonné a trait à des exigences que le prestataire
doit satisfaire et qui concernent:
-
l'accès à l'activité d'un service de la société de l'information,
telles que les exigences en matière de qualification, d'autorisation
ou de notification,
-
l'exercice de l'activité d'un service de la société de l'information,
telles que les exigences portant sur le comportement du prestataire, la
qualité ou le contenu du service, y compris en matière de publicité et
de contrat, ou sur la responsabilité du prestataire.
ii)
Le domaine coordonné ne couvre pas les exigences telles que:
-
les exigences applicables aux biens en tant que tels,
-
les exigences applicables à la livraison de biens,
-
les exigences applicables aux services qui ne sont pas
fournis par voie électronique.»
16. L'article 3 de la directive sur le commerce électronique contient la «clause
de marché intérieur» applicable aux services de la société de l'information:
3 Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects
juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le
marché intérieur («directive sur le commerce électronique»), JO L 178 du 17.7.2000, p. 1.
9
«Article 3
Marché intérieur
1. Chaque État membre veille à ce que les services de la société de
l'information fournis par un prestataire établi sur son territoire respectent
les dispositions nationales applicables dans cet État membre relevant du
domaine coordonné.
2. Les État membres ne peuvent, pour des raisons relevant du domaine
coordonné, restreindre la libre circulation des services de la société de
l'information en provenance d'un autre État membre.
3. Les paragraphes 1 et 2 ne sont pas applicables aux domaines visés à
l'annexe.
4. Les États membres peuvent prendre, à l'égard d'un service donné de la
société de l'information, des mesures qui dérogent au paragraphe 2 si les
conditions suivantes sont remplies:
a)
les mesures doivent être:
i) nécessaires pour une des raisons suivantes:
−
l'ordre public, en particulier la prévention, les investigations, la
détection et les poursuites en matière pénale, notamment la
protection des mineurs et la lutte contre l'incitation à la haine
pour des raisons de race, de sexe, de religion ou de nationalité
et contre les atteintes à la dignité de la personne humaine,
−
la protection de la santé publique,
−
la sécurité publique, y compris la protection de la sécurité et
de la défense nationales,
−
la protection des consommateurs, y compris des investisseurs;
ii) prises à l'encontre d'un service de la société de l'information qui
porte atteinte aux objectifs visés au point i) ou qui constitue un
risque sérieux et grave d'atteinte à ces objectifs;
iii) proportionnelles à ces objectifs;
b) l'État membre a préalablement et sans préjudice de la procédure
judiciaire, y compris la procédure préliminaire et les actes accomplis dans
le cadre d'une enquête pénale:
−
demandé à l'État membre visé au paragraphe 1 de prendre
des mesures et ce dernier n'en a pas pris ou elles n'ont pas
été suffisantes,
−
notifié à la Commission et à l'État membre visé au
paragraphe 1 son intention de prendre de telles mesures.
5. Les États membres peuvent, en cas d'urgence, déroger aux conditions
prévues au paragraphe 4, point b). Dans ce cas, les mesures sont
10
notifiées dans les plus brefs délais à la Commission et à l'État membre
visé au paragraphe 1, en indiquant les raisons pour lesquelles l'État
membre estime qu'il y a urgence.
6. Sans préjudice de la faculté pour l'État membre de prendre et d'appliquer
les mesures en question, la Commission doit examiner dans les plus brefs
délais la compatibilité des mesures notifiées avec le droit communautaire;
lorsqu'elle parvient à la conclusion que la mesure est incompatible avec le
droit communautaire, la Commission demande à l'État membre concerné
de s'abstenir de prendre les mesures envisagées ou de mettre fin
d'urgence aux mesures en question.»
17. L'article 4 de la directive établit le principe d’interdiction d’exiger une
autorisation préalable:
«Principe de non-autorisation préalable
1. Les États membres veillent à ce que l'accès à l'activité d'un prestataire de
services de la société de l'information et l'exercice de celle-ci ne puissent
pas être soumis à un régime d'autorisation préalable ou à toute autre
exigence ayant un effet équivalent.
2. Le paragraphe 1 est sans préjudice des régimes d'autorisation qui ne
visent pas spécifiquement et exclusivement les services de la société de
l'information ou qui sont couverts par la directive 97/13/CE du Parlement
européen et du Conseil du 10 avril 1997 relative à un cadre commun pour
les autorisations générales et les licences individuelles dans le secteur
des services des télécommunications.»
c) La directive 98/34/CE, modifiée par la directive 98/48/CE, [aujourd'hui
remplacée par la directive 2015/1535/UE]4
18. L'article 1er, paragraphe 1, point b), de la directive (UE) 2015/1535 définit ce
que l'on entend par services de la société de l'information:
«b) «service», tout service de la société de l'information, c'est-à-dire tout
service presté normalement contre rémunération, à distance, par voie
électronique et à la demande individuelle d'un destinataire de services.
Aux fins de la présente définition, on entend par:
i)
«à distance», un service fourni sans que les parties soient
simultanément présentes;
4 Directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil du 9 juin 2015 prévoyant une procédure
d'information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la
société de l'information, JO L 241 du 17.9.2015, p. 1.
11
ii)
«par voie électronique», un service envoyé à l'origine et reçu à
destination au moyen d'équipements électroniques de traitement (y
compris la compression numérique) et de stockage de données, et qui
est entièrement transmis, acheminé et reçu par fils, par radio, par
moyens optiques ou par d'autres moyens électromagnétiques;
iii) «à la demande individuelle d'un destinataire de services», un service
fourni par transmission de données sur demande individuelle.
Une liste indicative des services non visés par cette définition figure à
l'annexe I;»
d) La directive «services»5
19. Les services dans le domaine du transport qui entrent dans le champ
d'application du titre V du traité sont exclus du champ d'application de la
directive «services» conformément aux dispositions de l'article
2,
paragraphe 2, point d):6
«Champ d'application
1. La présente directive s'applique aux services fournis par les prestataires
ayant leur établissement dans un État membre.
2. La présente directive ne s'applique pas aux activités suivantes:
[…]
d) les services dans le domaine des transports, y compris les services
portuaires, qui entrent dans le champ d'application du titre V du traité;
[…]»
20. La directive «services» a un caractère général. Son article 3, paragraphe 1,
prévoit une relation de
lex specialis de sorte qu'en cas de conflit, d'autres
actes de droit dérivé relatifs à des secteurs ou activités concrètes prévalent:
«
1. Si les dispositions de la présente directive sont en conflit avec une
disposition d'un autre acte communautaire régissant des aspects
spécifiques de l'accès à une activité de services ou à son exercice dans
des secteurs spécifiques ou pour des professions spécifiques, la
5 Directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services
dans le marché intérieur, JO L 376 du 27.12.2006, p. 36.
6 Voir également le considérant 21 («Les services de transport, y compris les transports urbains, les taxis et
les ambulances, ainsi que les services portuaires, devraient être exclus du champ d'application de la
présente directive»).
12
disposition de l'autre acte communautaire prévaut et s'applique à ces
secteurs ou professions spécifiques.
[…]»
21. Au chapitre
III («Liberté d'établissement des prestataires»), section
1
(«Autorisations»), l'article 9 relatif aux régimes d'autorisation dispose ce qui
suit:
«1. Les
États
membres
ne peuvent subordonner l'accès à une activité
de service et son exercice à un régime d'autorisation que si les conditions
suivantes sont réunies:
a)
le régime d'autorisation n'est pas discriminatoire à l'égard du
prestataire visé;
b)
la nécessité d'un régime d'autorisation est justifiée par une raison
impérieuse d'intérêt général;
c)
l'objectif poursuivi ne peut pas être réalisé par une mesure moins
contraignante, notamment parce qu'un contrôle a posteriori
interviendrait trop tardivement pour avoir une efficacité réelle.
2.
Dans le rapport prévu à l'article 39, paragraphe 1, les États membres
indiquent leurs régimes d'autorisation et en motivent la compatibilité avec
le paragraphe 1 du présent article.
3. La présente section ne s'applique pas aux aspects des régimes
d'autorisation qui sont régis directement ou indirectement par d'autres
instruments communautaires».
III. ANALYSE
3. Avertissements préalables
a) La portée des questions d’interprétation du droit de l’Union. Imprécisions
et inconnues d'ordre factuel
22. La Commission formule les présentes observations exclusivement sur la
base des questions formulées dans l'ordonnance de renvoi et des éléments
factuels et de droit qui y figurent. Les informations sont parfois limitées ou
confuses. Par exemple, l'ordonnance de renvoi se réfère à des exigences
d'autorisation ou de licence sans qu'il ne soit vraiment précisé si, en droit
espagnol (ou dans la réglementation applicable à Barcelone), une licence
est exigée uniquement pour les activités de taxi ou si une exigence
13
spécifique d'autorisation existe également pour la prestation des services
d'intermédiaire et de réservation de taxis ou d'autres services de transport
urbain. Cette distinction est importante car, ainsi qu'il sera exposé
ci-dessous, la Commission considère qu'il existe deux services consécutifs,
l'un entrant dans le champ d'application de la directive 2000/31/CE et
l'autre pas.
23. Les questions posées par la juridiction de renvoi se réfèrent uniquement à
une activité d'intermédiaire électronique et à la possibilité que ladite activité
bénéficie du principe de la libre prestation des services. La Commission
souhaite rappeler que la libre prestation des services d'intermédiaire
n'implique pas nécessairement l'illégalité de toute restriction imposée aux
services prestés en aval suite à l’activité de l’intermédiaire. En d'autres
termes, les présentes observations ne se prononcent pas sur les exigences
applicables à Barcelone à l'activité de taxi, ni n'analysent leur légalité à la
lumière du droit de l'Union.
b) L'élément transfrontalier
24. Dans le présent cas d'espèce, il serait possible de s'interroger sur
l'existence d'un élément transfrontalier. Il s’agit là d’une question qui pourrait
se révéler pertinente aux effets de la recevabilité de la question préjudicielle,
voire aux effets de déterminer le régime juridique applicable au service
d'intermédiaire décrit par la juridiction de renvoi.
25. En effet, le litige dont a été saisi le Juzgado de lo Mercantil n° 3 de
Barcelona porte sur des activités réalisées dans la ville de Barcelone.
L'ordonnance de renvoi se réfère aux activités de la société commerciale
défenderesse, UBER Systems Spain S.L., et aux services d'intermédiaire
électronique d'UBER qui mettent en relation les utilisateurs situés à
Barcelone.
26. Si ces éléments factuels sont les seuls importants, il pourrait s'avérer que
l’article 3, paragraphe 2, de la directive «commerce électronique» n'est pas
susceptible de s'appliquer car, selon son libellé, il ne s'applique que lorsque
14
le service provient d’un autre État membre.7
27. L'article 4 de la directive sur le commerce électronique ne contient toutefois
aucune exigence d'élément transfrontalier et établit le «principe de
non-autorisation préalable» en tant que règle harmonisée et, partant,
applicable également à des situations purement internes.
28. Si la directive «services» était applicable, son chapitre III relatif à la liberté
d'établissement des prestataires serait également applicable aux situations
purement internes. La Commission renvoie au raisonnement de l'avocat
général, M. Szpunar, dans les affaires jointes Trijber et Harmsen8, ainsi qu'à
ses observations dans l'affaire C-360/15, actuellement pendante, où cette
question est posée.
29. À l'inverse, si la situation devait être examinée directement à la lumière des
dispositions du traité, une réglementation nationale indistinctement applicable
aux ressortissants espagnols et aux ressortissants des autres États membres
n’est, en règle générale, susceptible de relever des dispositions relatives aux
libertés fondamentales garanties par le traité sur le fonctionnement de l'Union
européenne que dans la mesure où elle s’applique à des situations ayant un
lien avec les échanges entre les États membres.9
30. Il y a toutefois lieu de rappeler la jurisprudence constante de la Cour selon
laquelle, bien que l'affaire ne comporte aucun élément transfrontalier, il peut
parfois y avoir un intérêt à ce que la Cour réponde à la question posée.10
31. En l'espèce, la présence ou l'absence d'un élément transfrontalier ne ressort
pas clairement de l'ordonnance de renvoi. D'après le contexte toutefois, ledit
élément transfrontalier est susceptible d'être présent:
7 Voir, entre autres, arrêt du 11 septembre 2014, Papasavvas, C-291/13, ECLI:EU:C:2014:2209, points 34
et 35.
8 Points 49 à 57 des conclusions présentées dans les affaires jointes Trijber et Harmsen (C-340/14 et
C-341/14, ECLI:EU:C:2015:505).
9 Voir, entre autres, arrêts du 15 octobre 2015, Itevelesa, C-168/14, ECLI:EU:C:2015:685, point 35, et du
13 février 2014, Sokoll-Seebacher, C-367/12, ECLI:EU:C:2014:68, point 10 et jurisprudence citée.
10 Voir les conclusions de l'avocat général M. Wahl dans les affaires jointes Venturini (C‑159/12 à
C‑161/12, ECLI:EU:C:2013:529), points 26 à 53.
15
⎯ la quatrième question préjudicielle porte expressément sur la
compatibilité avec le droit de l'Union des «restrictions auxquelles un
État membre soumet la libre prestation du service électronique
d’intermédiaire fourni depuis un autre État membre». La juridiction de
renvoi souligne la dimension «internationale» des activités de la
défenderesse et précise que, de son point de vue, «elle ne doit pas
être appréciée dans le contexte de la ville de Barcelone ou dans le
contexte du territoire espagnol mais dans celui de l'Union
européenne» (points 3.1 et 3.2 de l'ordonnance de renvoi);
⎯ dans leurs mémoires produits dans l'affaire au principal, les parties
décrivent la défenderesse, UBER Systems Spain S.L., comme une
filiale dont le capital est détenu à 100 % par une société établie aux
Pays-Bas, l'activité de la filiale espagnole consistant à apporter «un
soutien à d'autres sociétés du groupe». Il ressort des conditions
d'utilisation d'UBER que la société prestataire du service est
UBER BV, une société à responsabilité limitée établie aux Pays-
Bas.11 Si tel est le cas, il conviendrait de considérer que les services
d'UBER sont fournis depuis un autre État membre;
⎯ UBER a suspendu ses activités en Espagne à la suite de
l'ordonnance rendue le 9 décembre 2014 par une juridiction de
Madrid portant adoption de mesures conservatoires.12 Les mesures
conservatoires (demandées et accordées avant le dépôt de la
11 Le siège social d'UBER BV se trouve à Vijzelstraat 68, 1017 HL, Amsterdam, Pays-Bas, et la société est
inscrite à la Chambre de commerce d'Amsterdam sous le numéro 56317441. Les conditions d'utilisation
pour la quasi-totalité des pays où UBER est présente (à l'exception des États-Unis d’Amérique et du
Royaume-Uni) indiquent qu'UBER BV est le prestataire du service. Il n'est actuellement pas possible de
trouver les conditions d'utilisation pour l'Espagne, étant donné qu'UBER a cessé d'y exercer. La version
française des conditio
ns d'utilisation est disponible à cette adresse: http://www.uber.com/fr/legal/fra/terms.
12 Juzgado de lo Mercantil n° 2 de Madrid, mesures conservatoires préalables 707/2014, 9 décembre 2014
(dont la version espagnole est disponible à cette adresse:
http://cija-uam.org/wp-
content/uploads/2014/12/JM-2-Madrid-09.12.14-707-14.pdf).
16
requête au fond, ce qui est autorisé en droit espagnol13, et
prononcées sans que l'autre partie soit entendue) s'appliquent sur
l'ensemble du territoire espagnol au motif que la nature du service
fourni par UBER a une «vocation transfrontalière»14;
⎯ en outre, il est possible qu'une proportion non négligeable
d'utilisateurs de l'application UBER à Barcelone soit des touristes ou
des visiteurs en provenance d'autres États membres.15 Il y a par
ailleurs lieu de ne pas écarter le fait que des entreprises établies
dans d'autres États membres que le Royaume d'Espagne aient
souhaité ou souhaitent proposer dans ledit État membre des services
tels que ceux décrits dans l'ordonnance de renvoi.16
32. De surcroît, il semble évident que le service de transport consécutif, qui a
lieu une fois qu'un utilisateur et un conducteur ont été mis en relation grâce
à la plateforme informatique d'UBER, n'a pas de caractère transfrontalier
(dans l'affaire soumise par la juridiction de renvoi, il est question de trajets
locaux dans la ville de Barcelone).
33. Selon la Commission, il n'y a pas lieu de s'interroger sur la recevabilité du
présent renvoi à titre préjudiciel. Le fait de déterminer s'il existe un élément
transfrontalier dans les activités en cause relève de la compétence de la
juridiction de renvoi.
13 L'article 730, paragraphe 2, du Code espagnol de procédure civile (Ley de Enjuiciamiento Civil ou LEC)
dispose ce qui suit: «Des mesures conservatoires peuvent également être demandées avant la requête, dès
lors que la personne qui les demande allègue et apporte la preuve de la situation d'urgence ou de la
nécessité». Dans l'arrêt 38/2012 du 9 mars, l'Audiencia Provincial de Madrid a jugé qu'il doit exister, pour
faire droit à la demande de mesures conservatoires préalables à la requête, des «obstacles» qui posent des
difficultés au futur «requérant» ou l’empêchent de demander l'adoption de mesures conservatoires en
même temps que la requête (point de droit 3).
14 Voir le point de droit 7 de l'ordonnance citée dans la note 12 des présentes observations. La (future)
défenderesse dans l'affaire qui a conduit à l'adoption de l'ordonnance du 9 décembre 2014 portant mesures
conservatoires est Uber Technologies Inc., une société nord-américaine constituée dans l'État du Delaware.
15 La liberté de prestation des services inclut la liberté des destinataires des services de se rendre dans un
autre État membre pour y bénéficier d'un service. Voir arrêt du 31 décembre 1984, Luisi et Carbone,
affaires jointes 286/82 et 26/83, point 16.
16 Arrêt du 15 octobre 2015, Itevelesa, C-168/14, ECLI:EU:C:2015:685, point 35.
17
34. La Commission constate toutefois que les questions préjudicielles posées
portent sur le droit de l'Union et bénéficient d’une présomption de
pertinence17 et que lesdites questions n'auraient pas de sens en l'absence
d'élément transfrontalier. Sur ce point et considérant que le juge national a
posé les questions qu'il considère opportunes pour statuer à bon droit, les
présentes observations présumeront de l'existence d'un élément
transfrontalier dans le service en cause.
c) La formulation des questions préjudicielles
35. Dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions
nationales et la Cour, instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à la Cour
de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le
litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la
Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises. La circonstance
qu’une juridiction nationale a, sur un plan formel, formulé une question
préjudicielle en se référant à certaines dispositions du droit de l’Union ne fait
pas obstacle à ce que la Cour fournisse à cette juridiction tous les éléments
d’interprétation qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elle est
saisie, qu’elle y ait fait ou non référence dans l’énoncé de ses questions. Il
appartient, à cet égard, à la Cour d’extraire de l’ensemble des éléments
fournis par la juridiction nationale, et notamment de la motivation de la
décision de renvoi, les éléments du droit de l’Union qui appellent une
interprétation compte tenu de l’objet du litige.18
36. La Commission considère qu'une réponse utile pour la juridiction de renvoi
exige, en substance, d'indiquer quelles dispositions du droit de l'Union
pourraient être éventuellement applicables aux services décrits dans
l'ordonnance de renvoi. Il n'est en outre pas nécessaire de suivre
rigoureusement l'ordre des questions posées.
17 Voir, entre autres, arrêt du 1er juillet 2010, Sbarigia, C-393/08, ECLI:EU:C:2010:388, points 19 et 20 et
jurisprudence citée.
18 Voir arrêts du 15 octobre 2015, Biovet, C-306/14, ECLI:EU:C:2015:689, point 17; du 4 juin 2015,
Brasserie Bouquet, C-285/14, ECLI:EU:C:2015:353, point 15; et du 11 septembre 2014, Essent Energie
Productie, C-91/13, ECLI:EU:C:2014:2206, point 36.
18
37. La Commission examinera d'abord l'applicabilité de la directive sur le
commerce électronique en raison de son caractère de
lex specialis par
rapport à la directive «services». Ensuite, la Commission exposera certaines
considérations sur la directive «services» et, notamment, sur la possible
mise en œuvre de l'exclusion de son champ d'application prévue à
l'article 2, paragraphe 2, point d). La Commission abordera enfin brièvement
l'applicabilité résiduelle des dispositions pertinentes du traité.
4. La directive sur le commerce électronique
a) Les «services de la société de l'information»
38. La principale question qui est posée au regard de la directive sur le
commerce électronique est celle de savoir si les activités d'UBER en
Espagne, telles que celles-ci sont décrites dans l'ordonnance de renvoi,
correspondent à la définition des «services de la société de l'information»
contenue à l'article 2, point a), de la directive 2000/31, qui renvoie à
l'article 1er, paragraphe 2, de la directive 98/34/CE [remplacée par la
directive (UE) 2015/1535].
39. Cette question appelle une réponse affirmative pour les raisons exposées
ci-après.
40. Le Juzgado de Barcelona décrit l'activité à laquelle il est fait référence
comme suit, dans l'énoncé de la première question préjudicielle:
«[une activité]
d’intermédiaire entre les propriétaires de véhicules et les
personnes qui ont besoin d’effectuer des déplacements dans une ville que
la défenderesse exerce à titre lucratif et dans le cadre de laquelle cette
dernière gère les moyens informatiques – interface et application de
logiciels («téléphones intelligents et plateformes technologiques», selon
les termes de la défenderesse) – permettant à ces personnes d’entrer en
relation».
41. Le point 6.1 de l'ordonnance de renvoi détaille largement cette description
en indiquant que les caractéristiques du service fourni par UBER ont fait
l'objet «
d'une analyse des faits, qui a été réalisée, en l’espèce, en
examinant des preuves matérielles», et il ressort que:
«(...) la société défenderesse contacte ou entre en relation avec des
personnes propriétaires de véhicules à moteur – essentiellement des
19
voitures – auxquelles elle fournit une série d’outils informatiques – une
interface – qui leur permet d’entrer en relation avec des personnes qui ont
besoin d’effectuer des trajets urbains et qui accèdent au service au moyen
d’une application informatique également gérée par la défenderesse ou
par des sociétés liées à celle-ci. Ces considérations de fait prouvent
également que la société défenderesse fournit ces services dans un but
lucratif».
42. Si l’on suit la logique de l'arrêt Ker-Optika19, il importe de distinguer entre
deux services liés l'un à l'autre et fournis de manière consécutive mais dont
la nature est différente. Dans cet arrêt, la Cour avait distingué, d'une part,
l'activité de vente de lentilles de contact et d'autre part, la livraison desdites
lentilles au client final. Selon la Cour, les deux services ne doivent pas être
soumis aux mêmes règles en ce qui concerne leur qualification en tant que
service de la société de l'information. La Cour a jugé que le service de vente
en ligne de lentilles de contact sur Internet constitue un service de la société
de l'information entrant dans le champ d'application de la directive sur le
commerce électronique, alors que les règles nationales relatives à la
livraison de lentilles de contact doivent être appréciées à la lumière des
règles relatives à la circulation des marchandises.20
43. De manière similaire, l'activité d'intermédiaire entre le propriétaire d'un
véhicule et la personne qui a besoin d'effectuer un déplacement, qui met à
la disposition de ces deux personnes une application informatique qui
permet d'accéder en temps réel à des informations sur la géolocalisation et
qui permet à ces deux personnes d'entrer en contact, est analysée comme
un service de la société de l'information.
44. Lesdits services d'intermédiaire sont conformes à la définition de l'article 1er,
paragraphe 2, point a), de la directive (UE) 2015/1535 («tout service presté
normalement contre rémunération, à distance, par voie électronique et à la
demande individuelle d'un destinataire de services»):
19 Arrêt du 2 décembre 2010, Ker-Optika, C-108/09, ECLI:EU:C:2010:725.
20 Points 33 à 40 de l'arrêt Ker-Optika, précité.
20
− «presté normalement contre rémunération»: la juridiction de renvoi
considère qu'il a été apporté la preuve que «
la société défenderesse
fournit ces services dans un but lucratif» (point 6.1 de l'ordonnance
de renvoi).
− «à distance»: UBER, en tant que prestataire de services
d'intermédiaire, n'est pas présent en même temps que les clients à
l'endroit même où ils utilisent son service. Un des exemples cités à
l'annexe I de la directive (UE) 2015/1535, de services non fournis «à
distance» (la réservation d’un billet d'avion via un réseau
d'ordinateurs dans une agence de voyage en présence physique du
client) est particulièrement intéressant dans la mesure où il indique
que la même activité de réservation de billets d'avion sans la
présence physique du prestataire et du destinataire est bien un
service de la société de l'information;
− «par voie électronique»: le service d'intermédiaire d'UBER est envoyé
et reçu entièrement au moyen d'équipements électroniques de
traitement et de stockage de données (serveurs et téléphones
intelligents, PC ou tablettes); il est entièrement transmis, acheminé et
reçu par moyens électromagnétiques;
− «à la demande individuelle d'un destinataire de services»: les
utilisateurs d'UBER doivent envoyer une demande depuis leur
terminal pour obtenir les informations souhaitées sur la
géolocalisation, l'identité, les caractéristiques du véhicule et du
conducteur, le coût estimé du prix du trajet, etc. Aussi bien le
passager que le conducteur doivent activer l'application pour être mis
en contact via l'envoi de données.
45. Il ressort de ce qui précède que les services d'intermédiaire décrits dans
l'ordonnance de renvoi sont des services de la société de l'information
entrant dans le champ d'application des directives 98/34 et 2000/31. Cette
21
conclusion est encore renforcée par la lecture des considérants 18 et 21 de
la directive 2000/31.21
46. L'arrêt Ker-Optika, précité, indique qu'une activité qui constitue un service
de la société de l'information (vente en ligne de lentilles de contact) ne
cesse pas de l'être lorsqu'elle est liée, même très étroitement, à une autre
activité consécutive (livraison effective desdites lentilles de contact). Il
apparaît donc que les services d'intermédiaire électronique d'UBER,
qualifiés de services de la société de l'information, sont régis par la directive
2000/31, indépendamment du fait que la finalité dudit service d'intermédiaire
électronique soit la prestation (comme c'était le cas dans l'affaire Ker-
Optika), consécutivement, d’un service connexe, celui du transport, qui ne
peut pas être qualifié de service de la société de l'information (comme c'est
le cas en l'espèce au sens où le service de transport urbain en voiture est
une activité qui, par sa nature, ne peut pas être réalisée à distance ou par
voie électronique).22
b) La clause de marché intérieur et le principe de non-autorisation préalable
47. Conformément à l'article 3, paragraphe 2, de la directive 2000/31/CE, les
États membres ne peuvent, pour des raisons relevant du domaine
coordonné, restreindre la libre circulation des services de la société de
l'information en provenance d'un autre État membre. Selon les définitions de
21 Le considérant 18 de la directive 2000/31/CE précise que «
Les services de la société de l'information
englobent un large éventail d'activités économiques qui ont lieu en ligne; […]
Les services de la société de
l'information ne se limitent pas exclusivement aux services donnant lieu à la conclusion de contrats en
ligne, mais, dans la mesure où ils représentent une activité économique, ils s'étendent à des services qui ne
sont pas rémunérés par ceux qui les reçoivent, tels que les services qui fournissent des informations en
ligne ou des communications commerciales, ou ceux qui fournissent des outils permettant la recherche,
l'accès et la récupération des données. Les services de la société de l'information comportent également
des services qui consistent à transmettre des informations par le biais d'un réseau de communication, à
fournir un accès à un réseau de communication ou à héberger des informations fournies par un
destinataire de services». Le considérant 21 explique que le domaine coordonné par la directive «
ne couvre
que les exigences relatives aux activités en ligne, telles que l'information en ligne, la publicité en ligne, les
achats en ligne, la conclusion de contrats en ligne et ne concerne pas les exigences juridiques des États
membres relatives aux biens […]
ni les exigences des États membres relatives à la livraison ou au
transport de biens, y compris la distribution de médicaments». Voir également l'exposé des motifs de la
proposition de directive, dans lequel la Commission indiquait que les services de la société de l'information
comprennent des services de vente de biens et de services en ligne [Explanatory memorandum to the
Proposal for a European Parliament and Council Directive on certain legal aspects of electronic commerce
in the internal market, 18 November 1998, COM(1998) 586 final. Commentary to the individual articles,
Annex to the Commission proposal].
22 Voir le dix-huitième considérant de la directive 2000/31 et le point 33 de l'arrêt Ker-Optika.
22
l'article
2, point
h), le «domaine coordonné» par la directive inclut les
exigences relatives au début de l'activité comme celles «en matière de
qualification, d'autorisation ou de notification» mais n'inclut pas les
«exigences applicables aux services qui ne sont pas fournis par voie
électronique».
48. Si une exigence ou condition d'autorisation ou de licence préalable avait été
applicable à l'activité d'intermédiaire électronique décrite dans l'ordonnance
de renvoi, il ne fait aucun doute que nous serions dans le «domaine
coordonné» de la directive sur le commerce électronique. La directive n'est
en revanche pas applicable aux exigences de licence ou d'autorisation
préalable susceptibles d'exister pour le service de transport urbain
consécutif au service d'intermédiaire électronique. En effet, un service de
transport urbain ne constitue pas un service de la société de l'information et,
partant, il n'entre pas dans le champ d'application de ladite directive.
49. Une exigence de licence ou d'autorisation préalable pour le service
d'intermédiaire électronique serait contraire à l'article 3, paragraphe 2, de la
directive 2000/31/CE, sauf si la restriction remplit les conditions de l'article 3,
paragraphe 4. La juridiction nationale devrait examiner si une exigence de
licence pour un service d'intermédiaire est justifiée pour des raisons d'ordre
public, de protection de la santé publique, de sécurité publique ou de
protection des consommateurs; si le service de la société de l’information
porte atteinte auxdits objectifs ou présente un risque sérieux et grave
d'atteinte à ces objectifs; et si l'exigence ou l'autorisation préalable est une
mesure proportionnée.
50. Il y a par ailleurs lieu de rappeler que l'article 3, paragraphe 4, point b), de la
directive 2000/31/CE prévoit un mécanisme de notification (entre États
membres et à la Commission) en cas d’intention de prendre des mesures
qui restreignent la prestation de services de la société de l'information à
partir d’un autre État membre.
51. L'article 4 de la directive (principe de non-autorisation préalable) s'applique
également à l'activité d'intermédiaire électronique décrite dans l'ordonnance
de renvoi, indépendamment du fait que ladite activité ait un caractère
23
transfrontalier ou pas. Comme l'article 3, paragraphe 2, l'article 4 ne
concerne pas le service consécutif de transport urbain qui n'est pas, en soi,
un service de la société de l'information.23
5. La directive «services»
52. Si la Cour partage l'analyse présentée par la Commission dans la section
précédente, l'examen de la directive «services» présente peu d'intérêt dans
le cas d'espèce.
53. En effet, conformément à l'article
3, paragraphe
1, de la directive
«services», en cas de conflit entre les dispositions de la directive et une
disposition d'un autre acte du droit de l’Union régissant des aspects
spécifiques de l'accès à une activité de services ou à son exercice dans des
secteurs spécifiques ou pour des professions spécifiques, la disposition de
l'autre acte du droit de l’Union prévaut sur la directive «services» et
s'applique à ces secteurs ou professions spécifiques. Ainsi, l'article 9,
paragraphe 3, de la directive «services», précise que la section I du
chapitre III relative aux régimes d'autorisation préalable «ne s'applique pas
aux aspects des régimes d'autorisation qui sont régis directement ou
indirectement par d'autres instruments communautaires».
54. Par conséquent, s'agissant des activités d'UBER qui doivent être qualifiées
de prestation de services de la société de l'information, elles sont soumises
aux dispositions de la directive sur le commerce électronique.
55. Toutefois, dans le cas où certains des aspects des activités d'UBER ne
seraient pas régis par la directive sur le commerce électronique et sous
réserve qu'elles ne soient pas en conflit, les dispositions de la directive
«services» devraient en principe s'appliquer.
56. Il y a cependant lieu de rappeler qu'au sens de l'article 2, paragraphe 2,
point d), de la directive «services», «les services dans le domaine des
23 L'article 4, paragraphe 2, précise que «Le paragraphe 1 est sans préjudice des régimes d'autorisation qui
ne visent pas spécifiquement et exclusivement les services de la société de l'information […]».
24
transports, y compris les services portuaires, qui entrent dans le champ
d'application du titre [VI du TFUE]» sont exclus de son champ d'application.24
57. Dès lors, dans le cas où une partie de l'activité d'UBER ne serait pas
couverte par la directive sur le commerce électronique, il y aurait lieu de
s'interroger sur le fait de savoir si cette partie correspond à la notion de
«services dans le domaine du transport». Si tel était le cas, elle serait exclue
du champ d'application de la directive «services».
58. La Cour a interprété la notion de «services dans le domaine du transport»
dans deux arrêts récents.
59. D'une part, il ressort de l'arrêt Trijber 25 que l'exclusion ne concerne pas
nécessairement tout service qui consiste dans une prestation de transport
(«assurer un déplacement»). Selon la Cour, un service de ce type «pourrait
en effet comprendre, outre le déplacement, un ou plusieurs autres éléments
qui relèvent d’un domaine économique que le législateur de l’Union a inclus
dans le champ d’application de la directive 2006/123». La Cour indique qu'il
convient de vérifier quel est l'objet principal du service contesté et elle
fournit quelques indications à la juridiction de renvoi.
60. La Cour a estimé que le service en cause dans l'affaire
Trijber n'avait pas
pour objet principal celui du transport d'un point à un autre au sens de
l'article 100, paragraphe 1, TFUE26, même s’il constituait, à première vue, un
cas de «navigation intérieure». La Cour observe également que le service
en cause ne relève d’aucune des règles communes spécifiques adoptées
par le législateur de l’Union en vertu de l’article 100, paragraphe 2, TFUE.
Puisque l'objet principal n'est pas la prestation d'un service de transport au
sens de l'article 2, paragraphe 2, point d), de la directive 2006/123 et qu'il ne
peut pas être fait application d'une quelconque autre des exclusions prévues
24 Le considérant 21 confirme que l'exclusion du champ d'application de la directive concerne les «services
de transport, y compris les transports urbains, les taxis et les ambulances, ainsi que les services portuaires».
25 Arrêt du 1er
octobre
2015, Trijber et Harmsen, affaires jointes C-340/14 et C-341/14,
ECLI:EU:C:2015:641, voir notamment les points 50, 51 et 58.
26 Dans l'affaire Trijber, C-340/14, l'activité en cause consistait en des visites d'Amsterdam par les voies
navigables, à bord d'un bateau (chaloupe ouverte propulsée par un moteur électrique) adapté au transport
d’un maximum de 34 personnes.
25
audit article 2, paragraphe 2, la Cour conclut que l'activité entre dans le
champ d'application de ladite directive.27
61. L'arrêt du 15 octobre 2015, rendu dans l’affaire
Itevelesa (C-168/14) semble,
quant à lui, soutenir une interprétation large de la notion de «services dans le
domaine du transport», en considérant que le service de contrôle technique
obligatoire des véhicules entre dans cette catégorie. Selon la Cour, l'exclusion
visée à l'article 2, paragraphe 2, point d), de la directive «services» ne se
limite pas aux moyens de transport pris en tant que tels.28 La Cour cite et
partage l'opinion de l'avocat général, qui a considéré que les expressions
«services dans le domaine du transport» comprennent non seulement tout
acte physique de déplacement de personnes ou de biens d’un endroit à un
autre au moyen d’un véhicule, d’un aéronef ou d’un vaisseau aquatique, mais
aussi tout service «intrinsèquement lié à un tel acte» (point 46).
62. Dans le cas d'espèce, il ne fait aucun doute que le service d'intermédiaire
électronique est lié à une activité de transport. Il partage toutefois cette
caractéristique avec tout autre service d'intermédiaire: ce type de service est
par définition toujours lié à un autre service. Une interprétation de l'article 2,
paragraphe
2, point d), qui conduirait à conclure que tout service
d'intermédiaire lié à des services de transport est exclu des dispositions de la
directive semblerait excessive (puisqu’elle étendrait l'exclusion à une multitude
de services d'intermédiaire comme les agences de voyages, les groupeurs et
autres intermédiaires de logistiques, voire à une multitude d'entreprises
intermédiaires et de réservation de taxis comme ByTaxi, Hailo, Micocar,
MyTaxi et Radio-taxi29, qui exercent en Espagne et précisément à Barcelone).
63. L'arrêt Itevelesa prend en compte plusieurs facteurs pour étayer sa
conclusion selon laquelle le service de contrôle technique des véhicules
27 Arrêt Trijber et Harmsen précité, points 56, 57 et 58.
28 Arrêt du 15 octobre 2015, Itevelesa, C-168/14, ECLI:EU:C:2015:685, point 45.
29
http://www.by-taxi.com/en/taxi_barcelona/;
https://www.hailoapp.com/es/; http://www.micocar.com/;
https://ess.mytaxi.com; http://www.radiotaxibarcelona.com/. S'agissant de cette dernière, voir la
description de son objet social («l'organisation, la gestion et l'intermédiation d'un service de radio taxi pour
répondre à la demande de service de taxi par les utilisateurs et sa prestation par les chauffeurs de taxi») et
son classement dans la catégorie (code CNAE) «461 - Intermédiaires de commerce» (source:
http://www.infocif.es/ficha-empresa/radio-taxi-barcelona-sl).
26
constitue un «service dans le domaine du transport» au sens de l'article 2,
paragraphe 2, point d), de la directive.
⎯ Premièrement, la Cour estime que l'activité de contrôle technique «revêt
un caractère accessoire» au service de transport. La Cour semble ainsi
indiquer qu'il s'agit d'un autre service. Malgré cela, elle conclut (point 47)
en jugeant qu'un «tel contrôle intervient en tant que condition préalable
et indispensable à l’exercice de l’activité principale que constitue le
transport».
⎯ Deuxièmement, la Cour souligne que les directives 2009/40 et 2014/45
régissent le contenu de l'activité de contrôle technique des véhicules et
ont pour objet de garantir la sécurité routière. Lesdites directives ont été
adoptées sur le fondement des articles 71 CE et 91 TFUE, l’une et
l’autre de ces dispositions figurant, au sein respectivement du traité CE
et du TFUE, dans le titre intitulé «Les transports».30 La Cour considère
qu'il ressort des travaux préparatoires à l’adoption de la directive sur les
services «que le législateur de l’Union a entendu que les services régis
par les dispositions prises sur la base de l’article 71 CE soient exclus du
champ d’application de [la directive sur les services]».
64. Les critères examinés par la Cour aux points 47 à 49 de l'arrêt Itevelesa ne
sont pas remplis s'agissant de l'activité d'intermédiaire décrite par la
juridiction de renvoi dans la présente affaire. Le service d'intermédiaire
d'UBER ne fait pas l'objet de dispositions adoptées sur le fondement des
articles
71 CE et 91 TFUE, et il n'est pas une condition préalable
indispensable à l'exercice de l'activité de transport.31 La Commission
considère donc que les services d'UBER qui constituent le service
d'intermédiaire électronique ne doivent pas être considérés comme des
«services dans le domaine du transport».
30 Arrêt Itevelesa précité, note 28, points 48 et 49.
31 L'inverse peut être vrai (c'est-à-dire que l'existence d'un service de transport est une condition
indispensable à l'activité d'UBER décrite par la juridiction de renvoi) mais il s'agit là d'une caractéristique
commune à tout service d'intermédiaire: courtiers, intermédiaires de services bancaires, agents d'artistes ou
de sportifs professionnels... toutes ces activités d'intermédiaire sont intrinsèquement liées à une autre
activité et elles n'existeraient pas sans elle (celle des compagnies d'assurance, banques, artistes, sportifs…)
mais elles se sont pas assimilables à celle-ci.
27
65. Il conviendrait de déterminer si une partie des services d'UBER dépasse
l'activité d'intermédiaire électronique et peut être pleinement qualifiée de
service «de transport».
66. Il ne fait aucun doute en effet que grâce aux services d'UBER les utilisateurs
contactent une personne qui leur fournit un service de transport urbain (un
déplacement en voiture). Il existe donc réellement deux services
consécutifs. La question est de savoir si ledit service de transport urbain est
fourni par UBER ou si UBER propose uniquement le premier service (celui
d'intermédiaire électronique) qui facilite la fourniture d'un second service
consécutif, fourni par un tiers. En d'autres termes, il importe de savoir si, en
plus du service de la société de l'information que constitue le service
d'intermédiaire électronique entre utilisateurs de sa plateforme, UBER est
un prestataire de services de transport.
67. Plusieurs considérations peuvent s’avérer pertinentes sur ce point et
notamment, une connaissance approfondie des relations entre UBER et les
conducteurs qui assurent le transport. Si, par exemple, les conducteurs
étaient employés d'UBER et si UBER était propriétaire des véhicules, UBER
serait de toute évidence le prestataire du service de transport urbain. Il y a
lieu de tenir compte de facteurs tels que la propriété du véhicule, le titulaire
des éventuelles licences d'activité,32 la personne qui supporte les dépenses
et qui assume les risques liés à l'activité de transport, celle qui détermine les
conditions de la prestation (prix), celle qui assume le coût des réparations et
les frais d'entretien du véhicule, la relation relevant du droit du travail ou
contractuelle entre UBER et les conducteurs, l'identité des parties au contrat
de service de transport, les critères de sélection des conducteurs ou les
conditions qui leur sont exigées, le fait de savoir si ces derniers sont soumis
à des instructions obligatoires d'UBER dans le cadre de l'exercice de
l'activité de transport, etc.
32 Il ressort des pièces versées au dossier national dans l'affaire pendante devant la juridiction de renvoi que
la défenderesse soutient que les services de transport peuvent être fournis avec d'autres autorisations ou
agréments qu'une licence de taxi. Elle fait notamment allusion à la notion de «location de véhicule avec
chauffeur» ainsi qu'à l'article 101 de la loi espagnole 16/1987 du 30 juillet 1987 relative à l'aménagement
des transports terrestres, en vertu duquel «Les transports privés particuliers ne sont pas soumis à
autorisation administrative».
28
68. Cette question est de nature factuelle et il appartient à la juridiction de
renvoi de la clarifier. La description contenue dans l'ordonnance de renvoi
ne fait référence qu'aux activités d'intermédiaire électronique. Ainsi que la
Commission l'a d'ores et déjà relevé dans la réponse à la première question,
les prestations telles que décrites dans l'ordonnance de renvoi constituent,
sans l'ombre d'un doute, un service de la société de l'information régi par la
directive 2000/31. Aucun élément suffisant ne permet d'affirmer qu'UBER
agit par ailleurs comme prestataire du service consécutif de transport.
69. Dans la mesure où la directive «services» s'appliquerait au cas d'espèce,
son article
9 précise, qu'en principe, les États membres ne peuvent
subordonner l'accès à une activité de prestation de services à un régime
d'autorisation préalable. Ils ne peuvent le faire que si les conditions
suivantes sont réunies:
a) le régime d'autorisation n'est pas discriminatoire à l'égard du
prestataire visé;
b) la nécessité d'un régime d'autorisation est justifiée par une raison
impérieuse d'intérêt général;
c) l'objectif poursuivi ne peut pas être réalisé par une mesure moins
contraignante, notamment parce qu'un contrôle a posteriori interviendrait
trop tardivement pour avoir une efficacité réelle.
70. L'ordonnance de renvoi ne contient pas suffisamment d'informations pour
comprendre quelle est l'activité d'UBER qui serait prétendument
subordonnée à une autorisation préalable. La Commission n'a trouvé
aucune trace d'un régime d'autorisation préalable pour les services
d'intermédiaire comme ceux décrits dans l'ordonnance de renvoi. Le
règlement métropolitain de taxi de Barcelone33 ne contient aucune condition
de licence relative à une activité d'intermédiaire. En fait, il semble évident
que différents services d'intermédiaire avec des prestataires de services de
transport urbain exercent sans obligation d'être en possession d'une
quelconque licence spécifique pour leur activité d'intermédiaire (les
33
Annexe 1
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29
prestataires déjà cités: Hailo, myTaxi, ByTaxi, Radio-Taxi, Micocar, etc.).34
Si, selon la juridiction nationale, l'exigence de licence applicable à l'activité
de taxi est aussi applicable aux activités d'UBER, il ne pourrait en être ainsi
que si elle considère que c’est UBER qui est le prestataire du service de
transport. La directive «services» ne serait pas applicable, ainsi qu'il a été
indiqué précédemment.
71. S'il existait une condition spécifique de licence ou d'autorisation préalable
pour les activités d'intermédiaire, la Commission considère, ainsi qu’il a déjà
été précisé, qu'elle serait soumise à la directive sur le commerce
électronique (voir les points 38 à 51 et 53 des présentes observations).
6. Le droit primaire
72. Il convient enfin de rappeler que le droit primaire peut s'appliquer dans la
mesure où les activités auxquelles se réfère la juridiction de renvoi n'entrent
pas dans le champ d'application des directives précédemment examinées.35
73. Plus concrètement, en ce qui concerne l'article 56 TFUE relatif à la libre
prestation de services, il conviendrait d'examiner si la réglementation
nationale contient une quelconque restriction à la libre prestation de
services et, si tel était le cas, d'apprécier si ladite restriction n'est pas
discriminatoire, si elle est justifiée par une raison impérieuse d'intérêt
général et si elle est adaptée et proportionnée au regard de ladite
justification.
74. Selon l'article 58 TFUE, la libre circulation des services en matière de
transports est régie par le titre VI TFUE relatif aux transports, ce qui signifie
que la libre circulation des services ne peut pas être invoquée devant une
juridiction nationale tant que le service en question n'a pas été libéralisé par
un acte du législateur de l'Union.36 Si une partie de l'activité d'UBER devait
34 Voir la note de bas de page 29 des présentes observations.
35 En partant du principe que la situation n'est pas purement interne ou qu'il est fait application de la
jurisprudence à laquelle se réfère l'avocat général Wahl dans ses conclusions citées dans la note 10 des
présentes observations.
36 Voir par exemple arrêt du 7 novembre 1991, Pinaud Wieger Spedition, C-17/90, ECLI:EU:C:1991:416,
points 10 à 14.
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30
être considérée comme la prestation d'un service de transport urbain (voir
les points 65 à 68 des présentes observations), il semble que l'article 56 ne
pourrait pas être invoqué directement, car il n'existe aucun acte du droit de
l'Union qui libéralise les activités de transport urbain de passagers.
75. L'article 49 TFUE sur la liberté d'établissement continuerait toutefois d'être
applicable.
IV. CONCLUSION
76. Dans le litige pendant devant la juridiction de renvoi, la Commission
considère que les services d'intermédiaire de la défenderesse constituent un
service de la société de l'information, tels qu'ils sont définis à l'article 2,
point a), de la directive 2000/31/CE (par renvoi à la directive 98/34/CE). Par
conséquent et au vu de la règle de conflit de l'article 3, paragraphe 1, de la
directive 2006/123/CE et du caractère subsidiaire des dispositions de droit
primaire (notamment l'article 56 TFUE), lesdits services d'intermédiaire et
les restrictions qui peuvent leur être opposées sont soumis au régime prévu
aux articles 3 et 4 de la directive 2000/31/CE.
77. D'après la situation factuelle décrite dans l'ordonnance de renvoi, il ne fait
aucun doute qu'il existe un service de transport consécutif aux services
d'intermédiaire d'UBER. Ledit service de transport n'entre pas dans le
champ d'application de la directive 2006/123/CE au sens de l'article 2,
paragraphe 2, point d), et l'article 56 TFUE ne leur est pas applicable
conformément aux dispositions de l'article 58 TFUE (l'article 49 TFUE
pourrait être applicable au service de transport). Il appartient à la juridiction
nationale de déterminer si UBER est le prestataire du service de transport
ou si, au contraire, UBER propose uniquement le premier service (celui
d'intermédiaire électronique) qui facilite la fourniture d'un second service
consécutif, fourni par un tiers.
78. Eu égard aux considérations qui précèdent, la Commission a l’honneur de
proposer d’apporter les réponses suivantes aux questions posées par le
Juzgado de lo Mercantil n° 3 de Barcelona:
31
1. La directive 2000/31/CE est applicable à une activité consistant en
un service d'intermédiaire entre les propriétaires de véhicules et
les personnes qui ont besoin d’effectuer des déplacements dans
une ville, dans le cadre de laquelle l’entreprise qui fournit ce
service gère les moyens informatiques – interface et application
de logiciels – permettant à ces personnes d’entrer en relation.
2. Ni la directive
2000/31/CE, ni la directive
2006/123/CE ne
s'appliquent à une activité consistant dans le transport urbain de
personnes. Dans le cas d'espèce, il appartient à la juridiction
nationale de déterminer, au vu des éléments factuels à sa
disposition si, outre une activité d'intermédiaire électronique
soumise aux dispositions de la directive 2000/31/CE, une partie
des activités d'une entreprise doit être qualifiée de prestation d'un
service de transport urbain; l'article
49 TFUE sur la liberté
d'établissement s'applique à la partie de l'activité susceptible
d'être qualifiée de transport.
Eric GIPPINI FOURNIER
Helene TSEREPA-LACOMBE
Joanna HOTTIAUX
Folkert WILMAN
Agents de la Commission
32
Liste des annexes
Annexe 1
Règlement métropolitain des taxis (Reglamento Metropolitano del
Taxi)
(http://www.bcn.cat/taxi/normativacast/Reglamentocastellano.pdf),
(cité dans les présentes observations: point 7, note n° 2; point 70,
note n° 34).
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