Ref. Ares(2016)276402 - 19/01/2016
CONFIDENTIEL
Partenariat Transatlantique de Commerce et d’Investissement :
Vers un nouveau modèle
de production de viande bovine en Europe ?
Le Partenariat Transatlantique de Commerce et d’Investissement (
PTCI ou TTIP), en cours de négociations,
devrait comprendre une libéralisation – selon des règles qui restent à définir, spécifiques aux produits dits
« sensibles » – des échanges commerciaux de viandes bovines entre l’Union européenne et les Etats-Unis.
Une telle libéralisation, qu’elle soit progressive ou se traduise par un contingentement,
aura des
conséquences majeures sur le secteur bovin viande européen, tant sur le plan économique et social que
sociétal.
En effet, alors même que les systèmes d’élevage et, plus largement, les pratiques mises en œuvre par les
producteurs de viande bovine répondent à des standards radicalement opposés, d’un côté et de l’autre de
l’océan atlantique1
, une interrogation peut être légitimement soulevée :
quel modèle d’élevage l’Europe
souhaite-t-elle privilégier, demain ?
Comment continuer à prôner – à travers la Politique Agricole Commune et l’ensemble du paquet
règlementaire européen encadrant la production de viande bovine – un modèle d’élevage familial,
largement basé sur l’herbe, créateur d’emploi, garant du dynamisme des territoires ruraux, respectueux
de l’environnement et du bien-être animal, quand dans le même temps, la politique commerciale de
l’Union européenne impose aux principaux acteurs de ce modèle une concurrence déloyale
insoutenable?
L’ouverture massive du marché européen de la viande bovine aux viandes américaines et la
préservation en Europe de systèmes d’élevage bovin « vertueux » à l’origine de nombreux services
rendus aux populations, aux territoires et à l’environnement, tels qu’encouragés par la PAC2, sont
économiquement inconciliables: un choix politique majeur devra donc être effectué dans le cadre de ces
négociations.
1 Stéphane LE FOLL, Ministre de l’Agriculture français, déclarait le 20 avril 2015 lors d’une interview radiophonique au
sujet des négociations du TTIP : «
Sur les questions alimentaires et agricoles un océan nous (la France et les Etats-Unis)
sépare ».
2 Avec un financement global à hauteur de 408,31 milliards d’euros (Source : Présentation de la Réforme de la PAC
2014-2020, Direction Générale Agriculture et Développement rural de la Commission européenne, Brief « Les
perspectives de la politique agricole », n°5 / Décembre 2013).
1
CONFIDENTIEL
I – « L’avant TTIP » : l’élevage bovin et la production de viande en
Europe, aujourd’hui.
I – A : De nombreux atouts et « services rendus » aux populations, aux
territoires et à l’environnement
La production de viande bovine est une activité économique et sociale majeure qui contribue à alimenter
les populations mais participe également directement à l’aménagement et l’animation des territoires, à la
protection de l’environnement et au rayonnement culturel de l’Union européenne.
Outre les centaines de milliers d’emplois qu’il représente – éleveurs, abatteurs, transformateurs,
bouchers… - et qu’il génère3 (travail des coproduits de l’élevage, tourisme …), ce secteur est à l’origine de
«
services rendus », directement liés au modèle d’élevage et alimentaire européen.
Source :
Atlas de l’élevage herbivore en France – Filières innovantes, territoires vivants. Editions Autrement.
3 En France, selon une étude récente du CIV, près de 200 000 emplois, directs et indirects, dépendent de la filière
viande bovine. En moyenne, 1000 tonnes équivalent carcasse de viande bovine produites en France nécessitent 114
emplois. Il faut ajouter à cela les emplois induits, ceux résultants de l’attractivité économique des régions d’élevage.
2
CONFIDENTIEL
I – A-1 : Un élevage bovin viande européen majoritairement familial et herbager
L’élevage bovin européen est caractérisé par :
-
Une alimentation basée sur l’herbe et une forte autonomie alimentaire des troupeaux.
A titre d’exemple, en France,
80% de la ration moyenne d’un bovin de race à viande est composée
d’herbe, sous forme pâturée ou de foin, accompagnée de maïs, céréales et protéines végétales. Au total, ce
sont 90% des aliments du troupeau qui sont produits sur l’exploitation.
Cette valorisation de l’herbe par l’élevage de ruminants permet d’entretenir près de 67 millions d’hectares
de prairies sur le territoire de l’Union.
-
Des exploitations familiales et une faible concentration des animaux.
80% des exploitations européennes spécialisées bovin-viande comptent au maximum 2 animaux par
hectare de surface fourragère et constituent donc des systèmes extensifs. Dans certains Etats membres
comme l’Irlande, la Finlande ou la France, ce pourcentage est encore plus élevé, variant entre 87% et 95%
des exploitations spécialisées
(élaboration AND d’après RICA, DG Agri, octobre 2010).
Le modèle d’élevage bovin européen n’a pas été rattrapé par l’industrialisation : les petites exploitations
familiales sont très largement majoritaires au sein de l’Union :
La moyenne européenne4 est de 61 UGB par exploitation ; l’Autriche, la Grèce, la Suède, la
Finlande, le Portugal, le Danemark, l’Irlande, l’Italie, l’Espagne et les Pays-Bas présentant des
moyennes nationales inférieures à celle européenne.
En Europe, les grands élevages, ceux comportant plus de 100 UGB (soit plus 180 animaux en
moyenne5), comptent pour 15.3% des exploitations européennes.
En France, sur 56 000 élevages de plus de 20 vaches allaitantes, seulement 6 000 comptent plus de
100 vaches, 1 400 plus de 150 et 400 plus de 200.
En Allemagne de l’Est, la taille moyenne des 900 exploitations est de 161 UGB soit, avec les suites
(veaux de moins de 6 mois) et en modérant le nombre d’animaux de moins de deux ans compris
dans le comptage UGB, un total de 300 animaux en moyenne par exploitation6.
Répartition des exploitations françaises détenant des vaches allaitantes
en fonction de la taille de l'étable :
Source : Atlas de l’élevage herbivore en France – Filières innovantes, territoires vivants. Editions Autrement.
4 UE 15. Source : RICA UE 2002, Commission européenne DG AGRI-A3 / Traitement INRA-SAE2 Nantes.
5 En considérant que dans les UGB sont compris les Vaches allaitantes (comptant pour 1UGB) et les animaux entre 6
mois et 2 ans (comptant pour 0.6 UGB), et ne comprenant pas les veaux de moins de 6 mois, pour 100UGB on a 120
animaux de plus de 120 mois et 60 de moins de six mois.
6
Idem.
3
CONFIDENTIEL
L’agrandissement des exploitations, véritable « sujet de crispation », en France
En France, les projets de regroupement d’éleveurs concernent en général 2 à 4 éleveurs. Ils leur
permettent de mutualiser leurs compétences et de se partager les astreintes. Quelques projets ponctuels
visant la création d’élevages de plusieurs centaines de bovins suscitent de vives réactions et inquiétudes
au sein de la société civile.
Dans la Creuse, par exemple, de nombreuses manifestations sont organisées depuis plusieurs mois pour
protester contre un projet de « ferme de 1000 veaux », répondant pourtant à un besoin d’engraissement
sur le territoire national et à un niveau d’exigences très élevé sur le plan environnemental… et n’ayant
aucune commune mesure avec une exploitation d’engraissement industriel tel que pratiqué sur le
territoire américain.
I – A-2 : Un élevage bovin viande européen respectueux du bien-être animal et acteur de la
protection de l’environnement
Le respect du bien-être animal constitue un devoir et un gage de qualité pour les éleveurs européens, qui
ont la volonté de protéger les animaux et de les préserver de toute douleur ou situation de stress évitables.
Leurs pratiques (ex. suivi sanitaire, conditions d’hébergement, ration alimentaire, transport) sont
strictement encadrées par la réglementation européenne (
voir chapitre I-C-2), enrichie par les législations
nationales et des Chartes de bonnes pratiques d’élevage mises en œuvre, notamment dans certains pays
comme la France, dans le cadre d’organisations professionnelles ou interprofessionnelles.
Sur le plan environnemental, le modèle d’élevage bovin viande européen, tel que promu par la PAC,
possède de nombreux atouts : en matière de lutte contre le réchauffement climatique, compte tenu par
exemple de la place occupée en Europe par les herbages dans la conduite et l’alimentation des animaux, la
fixation du carbone par les prairies compense approximativement l’intégralité des émissions du méthane
entérique. Toute intensification reviendrait par contre à dégrader ce bilan. On ajoutera que la présence de
ces prairies
contribue fortement à la protection de la biodiversité et de la qualité de l’eau.
4
CONFIDENTIEL
Atouts et services rendus par l’élevage bovin sur le plan environnemental
•
Un cycle de production respectueux de l’environnement
Une alimentation peu « coûteuse » sur le plan énergétique.
Telle qu’actuellement pratiqué, l’élevage bovin des races à viande mobilise d’importantes quantités d’herbe,
u
n peu de fourrages cultivés et des céréales de façon marginale. Très peu mécanisé ce système fourrager
repose fondamentalement sur la valorisation de l’énergie solaire qui (grâce à la photosynthèse) fait croître
la matière végétale, notamment des prairies. Il diffère en cela, des systèmes intensifs très mécanisés qui
m
obilisent en plus d’importantes quantités d’énergie fossile, tant pour le gasoil des moteurs que pour la
fabrication des engrais chimiques.
Des déjections animales (fumiers et lisiers) recyclées sur l’exploitation
Suppléant aux engrais chimiques, l’utilisation des déjections animales permet en France d’éviter la
production industrielle et la consommation de 660 000 tonnes d’azote minéral, 500 000 tonnes de
p
hosphate et 1,6 million de tonnes de potasse. Ces volumes correspondent à une économie de 1,2 million de
to
nnes équivalent de CO2, soit 40% des émissions actuelles liées à la fabrication des engrais chimiques.
Source
: Atlas de l’élevage herbivore en France – Filières innovantes, territoires vivants. Editions Autrement.
Un atout de taille : le stockage de carbone dans le sol des prairies
En entretenant 67 millions d’hectares de prairies en Europe (soit 20% du territoire de l’Union), dont 85% de
prairies permanentes, le cheptel de ruminants européen contribue à « stocker du carbone » et lutter, ainsi,
contre le réchauffement climatique.
Selon une étude du Joint Research Center (
Evaluation of the livestock sector's contribution to the EU
gr eenhouse gas emissions, GGELS 2013), les prairies permanentes et temporaires à l’échelle européenne
compenseraient une large part des émissions de méthane produites par l’élevage :
-
93 % des émissions totales de méthane provenant des activités agricoles,
-
95 % des émissions totales de méthane liées aux herbivores (méthane entérique + autres sources de
méthane, telles que celles liées aux déjections),
L’élevage bovin, contributeur direct à la protection de la biodiversité
Les prairies, les haies et l’ensemble des infrastructures agroécologiques entretenues par l’élevage
constituent des écosystèmes où vivent de nombreux organismes vivants. On retrouve dans un hectare de
p
rairie une biodiversité du sol équivalente au poids de 6 vaches !
5
CONFIDENTIEL
I – A-3 : Un élevage bovin viande européen garant du dynamisme et de l’attractivité des
territoires ruraux
La production de viande bovine demeure la principale activité économique qui garantisse l’animation et
empêche la désertification de certaines régions rurales européennes, comme par exemple dans le centre
de la France, en Irlande, ou dans le Pays de Galle.
L’agrotourisme, ou tourisme à la ferme, s’est essentiellement développé, en Europe, dans les exploitations
d’élevage de ruminants. Historiquement, en Europe de l’Ouest, dans les régions défavorisées dont les
paysages étaient entretenus par cette seule activité économique : Autriche, Angleterre, centre de la France,
Irlande, etc. En Europe de l’Est, cette activité complémentaire pour les éleveurs est non négligeable pour
l’économie locale. Grâce à l’entretien du paysage par les éleveurs et du fait d’une volonté croissante des
consommateurs de se « rapprocher de la nature », l’agrotourisme se développe depuis les années 1980
dans les régions défavorisées et leur permet de conserver, voire développer, l’économie locale.
La Commission européenne d’ailleurs a fait du maintien de l’élevage sur ces territoires l’une des priorités
de la PAC :
« Les activités agricoles qui ont donné dans le passé leur caractère particulier à ces paysages sont
aujourd'hui souvent devenues moins compétitives. La politique agricole commune (PAC) considère qu'il est
essentiel de préserver les paysages cultivés dans la mesure où:
-
les paysages agricoles traditionnels font partie intégrante du patrimoine culturel et naturel ;
-
l'intégrité écologique et la beauté des paysages des zones rurales attirent les entreprises,
notamment du secteur touristique et des loisirs, ainsi que de nombreuses personnes qui viennent s'y
établir. »7
I - A-4 : Une filière bovine européenne « référence » sur le plan de la traçabilité
A la suite à la crise de l’ESB, les viandes bovines européennes sont aujourd’hui soumises au système de
traçabilité le plus évolué au monde. Ce système repose sur une identification des animaux qui garantit un
transfert ininterrompu d’informations de nature réglementaire ou volontaire destinées au consommateur,
depuis la naissance de l’animal et jusqu’au lieu de distribution.
La traçabilité des viandes bovines européennes fait l’objet de contrôles permanents, diligentés par la
Commission européenne et les administrations nationales. Elle est en permanente évolution, pour
répondre de façon toujours plus précise aux attentes des consommateurs.
Appliqué à des produits biologiques, ce système de traçabilité est aujourd’hui beaucoup plus performant
que celui appliqué à la plupart des biens industriels inertes produits par les secteurs de la mécanique ou de
l’électronique.
7 Source : « Agriculture et paysages », « Domaines d’action », dans « Agriculture et environnement »,
Domaines
d’action, page de la Direction générale de l’Agriculture et du Développement rural, Commission européenne.
http://ec.europa.eu/agriculture/envir/landscape/index_fr.htm
6
CONFIDENTIEL
I - B : Des atouts et « services » correspondant aux attentes des
consommateurs européens
Les consommateurs européens sont soucieux de ce qu’ils mangent. En ce qui concerne la viande : l’origine
(lieu de naissance, d’élevage, d’abattage de l’animal), les conditions d’élevage et le respect de
l’environnement constituent leurs principales préoccupations.
I - B-1 : L’origine de la viande : 1er critère plébiscité par les consommateurs
Source : Baromètre Ethicity, Les Français et la consommation responsable, 2013.
Campagne BEUC « D’où vient ma viande ? » -
Septembre 2014
Cette préoccupation des européens relative à
l’origine de la viande qu’ils consomment a été
fortement
amplifiée
par
l’affaire
du
«
Horsegate » du début d’année 2013 : les
associations de consommateurs, réunies au sein
du BEUC (Bureau Européen des Unions de
Consommateurs), n’ont depuis cessé de réitérer
leur demande de renforcement de la traçabilité
des viandes bovines européennes
à travers
l’instauration d’un étiquetage obligatoire du
pays d’origine des viandes utilisées comme
ingrédient dans les plats préparés.
7
CONFIDENTIEL
I - B-2 : Une attention grandissante portée aux conditions d’élevage, notamment sur le plan
environnemental et du bien-être animal
L’institut pour la politique environnementale européenne, dans son rapport «
The Provision of Public Goods
Through Agriculture in the European », publié en 2009, affirme que « […]
le public européen attribue une
haute valeur à l’environnement. Les enquêtes d’attitudes indiquent que les préoccupations d’ordre
environnemental sont répandues – particulièrement en ce qui concerne la perte de biodiversité,
l’atténuation du changement climatique, la pollution de l’eau et de l’air et la diminution des ressources
naturelles, y compris les sols. »
En ce qui concerne le bien-être animal, un débat de grande ampleur sur le bien-être des animaux
d’élevage, largement impulsé par la société civile, a récemment abouti, en France, à la modification du
statut de l’animal dans le Code Civil qui prévoit que les animaux, « êtres vivants doués de sensibilité », ne
sont plus des « biens » en soit. Au niveau européen, ce statut est reconnu depuis 1997 (protocole attaché
au traité d’Amsterdam) et est désormais inscrit dans le traité de Lisbonne de 2007 (« sentient being »). Tel
est également le cas en Allemagne et en Autriche depuis 2002 et en Angleterre depuis le
Animal Welfare
Act de 2007.
Ainsi, la reconnaissance des droits des animaux d’élevage fait partie de l’acquis communautaire et ne peut
être dissociée de la Politique Agricole Commune, qui tend à davantage de respect de l’environnement et
des animaux.
I - C : Des atouts et « services » fortement encouragés par la Politique
Agricole Commune et encadrés par la législation européenne
I - C-1 : Un « modèle » d’élevage européen façonné par la Politique Agricole Commune (PAC)
La PAC a, au cours des vingt dernières années,
accordé une place toujours plus importante aux enjeux
sociétaux de l’agriculture et aux attentes des consommateurs sur le plan environnemental et du bien-être
animal. Cette tendance est particulièrement marquée dans la nouvelle PAC 2014-2020: comme le souligne
la Commission européenne, cette nouvelle PAC représente «
une nouvelle étape dans l’histoire de la PAC en
accordant une attention particulière à la fourniture conjointe de biens publics et privés. Les agriculteurs
devraient être récompensés pour les biens publics environnementaux qu'ils fournissent (tels que les
paysages, la biodiversité́ des terres agricoles, la stabilité́ climatique) même s’ils n’ont pas de valeur
marchande »8.
C’est ainsi que les réformes successives de la PAC ont mis en place, outre le découplage
, la conditionnalité
des aides : les agriculteurs, pour bénéficier des aides européennes, doivent désormais respecter de
nombreuses exigences réglementaires visant la protection de l’environnement (ex : le « paiement vert »,
mesures visant à la protection des eaux, des sols et de la biodiversité), de la santé (ex :non utilisation de
certaines substances visant à stimuler la croissance des animaux) et du bien-être animal (ex : exigences
relatives aux bâtiments d’élevage, à la prévention des blessures, aux méthode d’abreuvement et
d’alimentation).
Au-delà de ces aides conditionnées,
le second pilier de la PAC – renforcé depuis les années 2000 – est
désormais entièrement dédié au développement rural, à l’aménagement du territoire et à la préservation
de l’environnement à travers, notamment, le maintien d’un élevage familial herbager – et des paysages
qu’il entretient - dans les zones « difficiles » (ex. Indemnité de Compensation de Handicap Naturel, Prime à
l’Herbe).
8 Présentation de la Réforme de la PAC 2014-2020, Direction Générale Agriculture et Développement rural de la
Commission européenne, Brief « Les perspectives de la politique agricole », n°5 / Décembre 2013.
8
CONFIDENTIEL
En 2015, la production bovine européenne permet une
autosuffisance de la région avoisinant les 95% :
les importations, qui viennent compléter la production des élevages européens, sont actuellement
d’environ 330 000 tonnes équivalent carcasse (téc) et sont susceptibles d’augmenter de façon
conséquente dans les prochaines années, compte tenu des contingents accordés aux pays tiers, comme
le Canada notamment. Accorder un contingent additionnel aux Etats-Unis ne pourra avoir pour effet que
de déstabiliser le marché européen.
I - C-2 : Au-delà de la PAC, un paquet réglementaire européen apportant de nombreuses
garanties au consommateur
De la protection des animaux dans les élevages9, aux obligations encadrant leur transport10, leur abattage11,
à la traçabilité des viandes bovines12 et leur qualité sanitaire13, tous les maillons de la chaîne de production
de viande en Europe sont rigoureusement encadrés.
Ce cadre réglementaire communautaire permet d’assurer au consommateur une viande répondant à ses
attentes sur le plan de la sécurité sanitaire comme sur celui de la transparence et de l’information relative
aux conditions de production de cette viande.
9 Directive n° 98/58/CE du Conseil du 20 juillet 1998 concernant la protection des animaux dans les élevages.
10 Règlement n°1/2005 du Conseil du 22 décembre 2004 relatif à la protection des animaux pendant le transport et les
opérations annexes.
11 Règlement n° 1099/2009 du 24 septembre 2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort.
12 Règlement n° 1760/2000 du Parlement européen et du Conseil du 17 juillet 2000 établissant un système
d’identification et d’enregistrement des bovins et concernant l’étiquetage de la viande bovine et des produits à base
de viande bovine.
13 Par exemple : Directive n° 96/23/CE du Conseil, du 29 avril 1996, relative aux mesures de contrôle à mettre en
œuvre à l'égard de certaines substances et de leurs résidus dans les animaux vivants et leurs produits.
9
CONFIDENTIEL
II – « L’après TTIP » : quel modèle de production de viande bovine
pour demain ?
Alors même qu’un contingent à droits de douane nuls de 64 500 tonnes14 a d’ores et déjà été accordé aux
producteurs de viande bovine canadiens dans le cadre du CETA, ce sont des quotas beaucoup plus
importants qui devraient être exigés, au travers du TTIP, par les Etats-Unis
, produisant 10 fois plus et
exportant 25 fois plus de viandes bovines vers l’Union européenne que le Canada.
En multipliant de tels accords commerciaux bilatéraux (Canada, U.S, voire Mexique),
l’Union européenne
accepte de mettre en concurrence des opérateurs produisant dans des conditions d’élevage totalement
opposées. Cette confrontation directe crée mécaniquement une
concurrence déloyale en faveur des
éleveurs américains,
de nature à remettre en cause la viabilité même des exploitations d’élevage
européennes.
II - A : Le système d’élevage américain : la rentabilité poussée à l’extrême
Aux Etats-Unis, le modèle d’élevage se caractérise par une recherche permanente de la rentabilité, dans un
cadre législatif moins contraignant, qui s’oppose fondamentalement au modèle européen :
Un élevage essentiellement au sein de « feedlots »
2/3 des bovins sont engraissés (phase de « finition »)
au sein de « feedlots ». Si la majorité des feedlots
comptent moins de 1000 bêtes (95% des centres d’engraissement), la quasi-totalité (80% à 90%) des
animaux engraissés aux États-Unis le sont dans des structures égales ou supérieures à 1000 têtes de bétail
(structures représentant moins de 5% des centres d’engraissement)15.
Aux États-Unis, 40% des animaux engraissés le sont dans des structures comptant 32 000 têtes ou plus16.
Le modèle d’engraissement américain – y compris quand il s’agit de produire des viandes destinées à
l’exportation vers l’Union européenne - se caractérise par :
Une extrême concentration des animaux : ces feedlots sont des espaces artificiels de production
surchargés, pouvant contenir jusqu’à 100 000 bêtes. Ils sont généralement liés à de grands groupes
industriels (ex. abattoirs, usines d’éthanol).
Une alimentation sans herbe, à base de maïs OGM et d’additifs alimentaires (ex. farines de sang,
farines de monogastriques, litières de volailles).
Plusieurs antibiotiques sont également utilisés de
façon routinière dans la ration des bovins alors même que leur usage est strictement restreint à
titre curatif, en Europe pour lutter contre le développement de l’antibiorésistance.
L’objectif de cet engraissement industriel est d’accélérer au maximum la prise de poids de l’animal
pour limiter les coûts.
Une mécanisation extrêmement importante, favorisée par la concentration des animaux, qui
permet de limiter au maximum les coûts de main d’œuvre au niveau de l’élevage.
14 45 840 Tonnes (Poids équivalent Carcasse) issues de nouveaux contingents créés dans le cadre du CETA; 4 160
Tonnes (Poids équivalent Carcasse) issues du quote-part canadien du contingent “Hormones” et 14 500 Tonnes (Poids
équivalent Carcasse) du contingent Hilton.
15 Source: USDA, “Cattle & Beef”. http://www.ers.usda.gov/topics/animal-products/cattle-beef/background.aspx.
16
Idem
10
CONFIDENTIEL
II – B : Au détriment du bien-être animal et de l’environnement
Aux Etats-Unis
, il n’existe à notre connaissance aucune loi reconnaissant le droit des animaux d’élevage à
être bien traités (accès à l’alimentation, à l’eau, aux soins) ou
fixant des seuils de densité de chargement
de ces parcs d’engraissement.
Il existerait aujourd’hui seulement deux législations visant à protéger les animaux dans des cas très
particuliers, mais aucune ne propose de mesure assurant leur bien-être tout au long de la vie :
L’
Animal Welfare Act américain (1966), contrairement à son homonyme britannique, ne concerne
pas les animaux d’élevage et ne reconnaît, en aucun cas, les animaux comme êtres doués de
sensibilité.
Le
Human methods of Livestock slaughter house (2001), quant à lui, impose que les animaux, à
l’abattoir, doivent avoir accès à l’eau dans tous les enclos, et « si détenus plus de 24h, accès à la
nourriture »17. L’espace doit être suffisant pour que les animaux détenus pendant la nuit pour se
coucher. A titre comparatif, les animaux abattus dans l’Union européenne disposent de l’eau
potable, sont nourris s’ils n’ont pas été abattus dans les 12 heures puis affouragés à intervalles
appropriés, et disposent d’espace pour se coucher, de nuit comme de jour18.
Les conditions d’abattage et de transport ont également fait l’objet de lois fédérales (en 1873 et en 1958)
mais celles-ci restent beaucoup moins contraignantes qu’en Europe
. A titre d’exemple : la durée maximale
de transport du bétail avant pause est de 28 heures aux Etats-Unis, contre 14 heures, en Europe.
Sur le plan environnemental, c’est également l’extrême concentration des animaux qui pose le plus de
problèmes :
une concentration impactant directement la qualité des sols et de l’eau, du fait d’un excédent
d’azote vers le sol et les nappes phréatiques.
II – C : Sur le plan sanitaire : une logique entièrement curative
Alors même que la réglementation sanitaire européenne est entièrement construite selon un principe
préventif, c’est la logique curative qui prime, au sein de la filière viande bovine américaine.
L’utilisation d’hormones et d’antibiotiques comme activateurs de croissance sont en effet des pratiques
interdites en Europe. A contrario, aux États-Unis, ces produits sont autorisés et utilisés dans l’alimentation
des bovins.
L’absence de soins pendant la période d’élevage et l’embryonnaire traçabilité mise en œuvre au sein des
filières d’exportation vers l’Union européennes sont compensées par des pratiques de « sécurisation
sanitaire » a posteriori, tel que le douchage systématique des carcasses à l’acide lactique.
Dans le cadre d’une Politique Agricole Commune et d’une législation européenne à juste titre
exigeante et privilégiant une agriculture et un modèle d’élevage garant de la préservation de biens
publics (environnement, développement rural) et privés (créer et maintenir les emplois dans le
secteur), les éleveurs bovins viande européens ne pourront combler l’écart considérable de
compétitivité qui existe actuellement avec les éleveurs américains.
Plusieurs milliers d’exploitations familiales en Europe seraient donc amenées à disparaître sous le
poids de cette concurrence du seul modèle de production de viande bovine « rentable », dans ce
nouveau contexte : celui du « feedlot » américain ou d’un élevage toujours plus intensif.
17
En anglais dans le texte : « […] if held longer than 24 hours, access to feed”.
18 Source : Directive 93/119/CE du Conseil, du 22 décembre 1993, sur la protection des animaux au moment de leur
abattage ou de leur mise à mort
11
CONFIDENTIEL
En conclusion…
Les «
dommages collatéraux » d’une utilisation de la viande bovine comme monnaie
d’échange au sein des négociations du TTIP :
Des consommateurs ignorés et une PAC désavouée ?
La viande bovine représente un intérêt extrêmement offensif pour les Etats-Unis et, en dépit de son classement
parmi les produits sensibles de l’accord, devra obligatoirement faire l’objet de « concessions » de la part de la
Commission européenne : telle est la règle des négociations commerciales.
La question est donc la suivante
: jusqu’où ces concessions commerciales pourront-elles être poussées,
sans
mettre à mal les objectifs de la Politique Agricole Commune - réformée en 2013 pour encourager les
producteurs à répondre davantage aux attentes « sociétales » des consommateurs – et nier le fondement
même de l’identité de l’Union européenne ?
Le Traité sur l’Union européenne (article 3, paragraphes 4 et 5) dispose que «
dans ses relations avec le reste
du monde, l'Union
affirme et promeut ses valeurs et ses intérêts et
contribue à la protection de ses
citoyens ». Pour le marché intérieur, l’Union « œuvre pour le développement durable de l'Europe fondé sur une
croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement
compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social, et un
niveau élevé de protection et d'amélioration
de la qualité de l'environnement. »
Or, en ouvrant massivement - y compris dans le cadre de contingents - le marché européen de la viande bovine
aux viandes américaines, c’est un secteur économique tout entier, source d’emploi et garant de ce
développement harmonieux des activités et des territoires prôné par l’Union européenne, qui pourrait être
menacé de disparition… Et ce sont ainsi 58 années de travail en faveur de la croissance durable de la production
agricole européenne qui pourraient être balayées.
Ce risque est réel : le modèle actuel de production de viande bovine en Europe ne pourra, en aucun cas,
résister à la compétitivité des viandes américaines, produites au sein de systèmes entièrement tournés vers
le productivisme et la recherche de rentabilité.
L’Europe se trouve donc, dans le cadre des négociations du TTIP, face à une double possibilité : assumer cette
confrontation de deux modèles sociétaux, préserver son élevage et assurer la légitimité de sa politique
agricole en protégeant fortement son marché de la viande bovine… ou renoncer à son identité et ignorer les
attentes des consommateurs en transformant son élevage en une industrie capable de lutter, à armes égales,
contre le « feedlot » américain.
Le Parlement européen, dans ses recommandations à la Commission européenne adoptées le 8 juillet 2015, a
ainsi bien saisi les enjeux en affirmant que le futur accord doit être mutuellement avantageux afin de
permettre à l’Europe de jouer un rôle de premier plan sur le marché mondial
, « sans remettre en question les
normes actuelles de qualité des produits agricoles européens ou leur amélioration future, tout en
préservant le modèle agricole européen et en garantissant sa viabilité économique et sociale ».
La Commission européenne, les Etats membres et le Parlement européen doivent jouer leur rôle de gardien de
ces valeurs, de ce modèle agricole et d’élevage et de la société civile qui en dépend.
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