Ref. Ares(2018)2076084 - 18/04/2018
COMMISSION EUROPÉENNE
Bruxelles, le 18 avril 2018
sj.a(2018)2167228
ORIG.: DE Documents de procédure juridictionnelle
À MONSIEUR LE PRESIDENT ET AUX MEMBRES
DE LA COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
OBSERVATIONS ECRITES
déposées, conformément à l’article 23, deuxième alinéa, du protocole sur le statut de la
Cour de justice de l’Union européenne,
dans l’affaire C-18/18
par la Commission européenne, représentée par M. Gerald Braun, son conseiller
juridique, et M. Folkert Wilman, membre de son service juridique,
ayant élu domicile
auprès du service juridique, Greffe contentieux, BERL 1/169, 1049 Bruxelles, et
consentant à la signification de tout acte de procédure via e-Curia,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle,
présentée, conformément à l’article 267 TFUE, par l'Oberster Gerichtshof (Cour
suprême, Autriche), dans le litige opposant
Eva Glawischnig-Piesczek
- partie requérante -
à
Facebook Ireland Limited
- partie défenderesse -
et portant sur l’interprétation de l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2000/31/CE du
Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des
services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le
marché intérieur («directive sur le commerce électronique»), JO L 178 du 17.7.2000,
p. 1.
TABLE DES MATIERES
A. CADRE JURIDIQUE
3
1. DROIT DE L’UNION
Directive 2000/31/CE
3
2.
CADRE JURIDIQUE NATIONAL
ABGB, article 1330
E-Commerce Gesetz, articles 16, 18
Urheberrechtsgesetz, article 78
B. FAITS AU PRINCIPAL
7
C. APPRECIATION JURIDIQUE
10
1. Introduction
11
2. La question préjudicielle
14
3. Sur les détails de l'affaire dont est saisie la juridiction de renvoi
19
D. CONCLUSION
21
2
La Commission a l’honneur de formuler les observations suivantes dans la présente
procédure préjudicielle.
A. LE CADRE JURIDIQUE
1. Droit de l’Union
Directive 2000/31/CE (Commerce électronique)1
1.
Aux termes des considérants 41, 45, 47 et 48 :
(41) La présente directive instaure un équilibre entre les différents intérêts en jeu
et établit des principes qui peuvent servir de base aux normes et aux accords
adoptés par les entreprises.
(45) Les limitations de responsabilité des prestataires de services intermédiaires
prévues dans la présente directive sont sans préjudice de la possibilité d’actions en
cessation de différents types. Ces actions en cessation peuvent notamment revêtir
la forme de décisions de tribunaux ou d’autorités administratives exigeant qu’il
soit mis un terme à toute violation ou que l’on prévienne toute violation, y compris
en retirant les informations illicites ou en rendant l’accès à ces dernières
impossible.
(47) L’interdiction pour les États membres d’imposer aux prestataires de services
une obligation de surveillance ne vaut que pour les obligations à caractère
général. Elle ne concerne pas les obligations de surveillance applicables à un cas
spécifique et, notamment, elle ne fait pas obstacle aux décisions des autorités
nationales prises conformément à la législation nationale.
(48) La présente directive n’affecte en rien la possibilité qu’ont les États membres
d’exiger des prestataires de services qui stockent des informations fournies par des
destinataires de leurs services qu’ils agissent avec les précautions que l’on peut
raisonnablement attendre d’eux et qui sont définies dans la législation nationale, et
ce afin de détecter et d’empêcher certains types d’activités illicites.
2.
L’article 14, paragraphes 1 et 3, et l’article 15, paragraphe 1, énoncent:
Article 14
Hébergement
1. Les États membres veillent à ce que, en cas de fourniture d’un service de la
société de l’information consistant à stocker des informations fournies par un
destinataire du service, le prestataire ne soit pas responsable des informations
stockées à la demande d’un destinataire du service à condition que:
a) le prestataire n’ait pas effectivement connaissance de l’activité ou de
l’information illicites et, en ce qui concerne une demande en dommages et intérêts,
1 Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects
juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le
marché intérieur («directive sur le commerce électronique») ( JO L 178 du 17.7.2000, p. 1).
3
n’ait pas connaissance de faits ou de circonstances selon lesquels l’activité ou
l’information illicite est apparente ou
b) le prestataire, dès le moment où il a de telles connaissances, agisse
promptement pour retirer les informations ou rendre l’accès à celles-ci impossible.
[...].
3. Le présent article n’affecte pas la possibilité, pour une juridiction ou une
autorité administrative, conformément aux systèmes juridiques des États membres,
d’exiger du prestataire qu’il mette un terme à une violation ou qu’il prévienne une
violation et n’affecte pas non plus la possibilité, pour les États membres,
d’instaurer des procédures régissant le retrait de ces informations ou les actions
pour en rendre l’accès impossible.
Article 15
Absence d’obligation générale en matière de surveillance
1. Les États membres ne doivent pas imposer aux prestataires, pour la fourniture
des services visée aux articles 12, 13 et 14, une obligation générale de surveiller
les informations qu’ils transmettent ou stockent, ou une obligation générale de
rechercher activement des faits ou des circonstances révélant des activités illicites.
2. CADRE JURIDIQUE NATIONAL
3.
La 5e section de la
E-Commerce-Gesetz (loi sur le commerce électronique)2
régit la responsabilité des prestataires de services dans différentes situations. Les
articles 16, 18 et 19 énoncent ce qui suit:
Article 16 - Exclusion de responsabilité en cas de stockage de contenus étrangers
(hébergement)
1. Un prestataire qui stocke des informations fournies par un destinataire du
service n’est pas responsable des informations stockées à la demande d’un
destinataire du service, à condition que
1) le prestataire n'ait pas effectivement connaissance de l’activité ou de
l’information illicites et, en ce qui concerne une demande en dommages et intérêts,
n’ait pas connaissance de faits ou de circonstances selon lesquels l’activité ou
l’information illicite est apparente ou
2) le prestataire, dès le moment où il a de telles connaissances, agisse
promptement pour retirer les informations ou rendre l’accès à celles-ci impossible.
2. Le paragraphe 1 ne s’applique pas lorsque le destinataire du service agit sous
l’autorité ou le contrôle du prestataire.
2 Bundesgesetz, mit dem bestimmte rechtliche Aspekte des elektronischen Geschäfts- und Rechtsverkehrs
geregelt werden (E-Commerce-Gesetz - ECG) (loi régissant certains aspects juridiques du commerce
électronique et des transactions juridiques électroniques; en abrégé, loi sur le commerce électronique,
ci-après «ECG»), BGBl. I nº 152/2001, dans la version du BGBl. I nº 34/2015
4
Article 18 – Étendue des obligations du prestataire
1. Les prestataires mentionnés aux articles 13 à 17 ne sont soumis à aucune
obligation générale de surveiller les informations qu'ils stockent, transmettent ou
rendent accessibles ni de rechercher de leur propre initiative des circonstances
révélant des activités illicites.
2. Les prestataires mentionnés aux articles 13 et 16 sont tenus, sur la base d’une
injonction d’une juridiction nationale légalement habilitée à cet effet, de
transmettre à celle-ci toutes les informations à l’aide desquelles les utilisateurs de
leur service avec lesquels ils ont conclu des conventions sur la transmission ou le
stockage d’informations peuvent faire l’objet d’une enquête à des fins de
prévention, de recherche, d’instruction et de poursuites d’agissements punissables.
3. Les prestataires mentionnés à l’article 16 sont tenus, sur la base d’une
injonction d’une autorité administrative, de transmettre à celle-ci le nom et les
adresses des utilisateurs de leur service avec lesquels ils ont conclu des
conventions sur le stockage d’informations dès lors que la connaissance de ces
informations est une condition essentielle à l’exercice des missions conférées à
ladite autorité.
4. Les prestataires mentionnés à l’article 16 sont tenus de transmettre les noms et
adresses des utilisateurs de leur service avec lesquels ils ont conclu des
conventions sur le stockage d’informations à la demande de tierces personnes dès
lors que celles-ci ont un intérêt juridique majeur à la constatation de l’identité
d’un utilisateur et de faits illicites déterminés et qu'elles font valoir de manière
crédible que la connaissance de ces informations est une condition essentielle à
l’exercice des poursuites juridiques.
5. Les autres obligations d’information et de collaboration des prestataires vis-à-
vis des autorités ou des juridictions restent inchangées.
Article 19
Dispositions supplémentaires
Article 19. 1. Les articles 13 à 18 laissent inchangées les dispositions légales en
vertu desquelles une juridiction ou une autorité peut enjoindre au prestataire la
cessation, l'élimination ou la prévention d’une infraction.
2. Le paragraphe 1 ainsi que les articles 13 à 18 s’appliquent également aux
prestataires qui proposent des services électroniques à titre gratuit.
5
4.
Aux termes de l’article 1330 de l’Allgemeines Bürgerliches Gesetzbuch (code civil
général, ci-après l’«
ABGB»
3):
3) à l’honneur;
Article 1330. 1. Quiconque a subi un préjudice réel ou un manque à gagner en
raison d’une atteinte portée à son honneur, est fondé à en demander réparation.
2. Il en va de même lorsqu’une personne rapporte des faits portant atteinte à la
réputation, à la situation matérielle et aux perspectives d’avenir de tiers, et dont
elle connaissait ou aurait dû connaître l’inexactitude. Dans ce cas, le démenti et la
publication de celui-ci peuvent être exigés. S’agissant d’une déclaration qui n’a
pas été faite en public, dont l’auteur ne connaît pas l’inexactitude, il n’est pas
responsable si lui-même ou le destinataire de la déclaration avait un intérêt
légitime à faire cette déclaration.
5.
L’article 78 de l’
Urheberrechtsgesetz (loi sur le droit d’auteur)4 dispose:
Protection de l’image
Article 78. 1. Les images représentant une personne ne doivent pas être exposées
publiquement ni diffusées d’une autre manière qui les rendraient accessibles au
public, si cela porte atteinte aux intérêts légitimes de la personne concernée ou, si
celle-ci est décédée sans en avoir autorisé ou ordonné la publication, à ceux d’un
parent proche.
B.
FAITS AU PRINCIPAL
6.
Selon l’exposé de la juridiction de renvoi, celle-ci doit statuer dans des recours en
«Revision» formés par les deux parties. La juridiction d’appel a autorisé les recours
en «Revision» au motif que la jurisprudence de l’Oberster Gerichtshof ne répond
pas à la question de savoir si l’injonction de cessation faite à un hébergeur qui
exploite un réseau social comptant un grand nombre d’utilisateurs quotidiens peut
également s’étendre à des expressions verbales et/ou de contenu équivalent
(messages d’accompagnement) dont il n’a pas eu connaissance.
3 Allgemeines bürgerliches Gesetzbuch für die gesammten deutschen Erbländer der Oesterreichischen
Monarchie (Code civil général pour l’ensemble des territoires héréditaires allemands de la monarchie
autrichienne), JGS nº 946/1811 dans la version du BGBl. I nº 161/2017
4 Bundesgesetz über das Urheberrecht an Werken der Literatur und der Kunst und über verwandte
Schutzrechte (loi fédérale relative au droit d’auteur sur les œuvres littéraires et artistiques et aux droits
voisins, en abrégé «Urheberrechtsgesetz»), BGBl. nº 111/1936 dans la version du BGBl. I nº 99/2015
6
7.
La requérante était députée au Nationalrat (Conseil national autrichien), présidente
du groupe parlementaire «les Verts» («die Grünen») et porte-parole fédérale de ce
parti. La défenderesse est une société immatriculée en Irlande, ayant son siège à
Dublin, et est une filiale de la société américaine Facebook Inc. Elle exploite un
réseau social qui permet aux utilisateurs de créer des pages de profil privées et de
publier des commentaires.
8.
Concernant les faits, la juridiction de renvoi explique ce qui suit: «
Le 3 avril 2016,
un destinataire privé, enregistré sous le nom de “Michaela Jaskova”, a publié, sur
sa page Facebook, un article provenant du site “oe24.at” - constitué d’une photo
de la requérante et du message d’accompagnement suivant:“Les Verts : en faveur
du maintien d’un revenu minimum pour les réfugiés”, ainsi que “Non aux plans de
la coalition noire-bleue : nous ferons tout pour nous y opposer aussi
juridiquement”, en postant le commentaire suivant: “
”. Cette contribution pouvait être consultée par chaque destinataire du
service de Facebook.
9.
Par lettre du 7 juillet 2016, la requérante a demandé à la défenderesse d’effacer le
message posté et de communiquer le vrai nom ainsi que les données du destinataire
du service “Michaela Jaskova”. Dans un premier temps, la défenderesse ne s’est
conformée à aucune de ces deux demandes. La défenderesse n’a retiré le message
posté à l’intérieur des frontières géographiques de l’Autriche qu’après la
signification de l’ordonnance de référé rendue par le tribunal de première instance
le 7 décembre 2016.
10. Pour ne pas compromettre son action en cessation, identique sur le fond – basée
sur l’article 78 de l’Urheberrechtsgesetz (loi autrichienne relative au droit
d’auteur, ci-après l’“UrhG”) –, la requérante a demandé au tribunal de rendre
une ordonnance de référé condamnant la défenderesse à cesser de publier et/ou de
diffuser des photos de la requérante dès lors que le message d’accompagnement
diffuse des allégations identiques et/ou de contenu équivalent, à savoir que la
requérante serait une “
”. La publication violerait le droit à l’image
7
de la requérante fondé sur l’article 78 de l’UrhG. Les injures et propos dégradants
proférés à l’encontre de sa personne dans le message posté porteraient atteinte à
ses intérêts légitimes car ils seraient très diffamants et déshonorants au sens de
l’article 1330, paragraphes 1 et 2, de l’Allgemeines Bürgerliches Gesetzbuch (code
civil général autrichien, ci-après l’“ABGB”). L’accusation de corruption sous-
entendrait des agissements délictueux de sa part. Étant donné que ce grief aurait
été inventé, il ne pourrait en aucun cas être justifié, en tant qu’allégation
mensongère, par le droit à la liberté expression. La publication aurait uniquement
pour objet de rabaisser la requérante aux yeux du public, de ternir sa réputation,
voire de la faire passer pour une délinquante. Cela pourrait nuire à sa situation
professionnelle, politique et/ou économique actuelle et future. La défenderesse
aurait pu s’en rendre compte facilement en procédant à un examen sommaire.
C’est pourquoi elle aurait dû supprimer la contribution en cause. Étant donné
qu’elle ne l’aurait pas retirée, elle ne pourrait pas non plus se prévaloir du
privilège de non-responsabilité de l’hébergeur prévu par l’article 16 de l’E-
Commerce- Gesetz (loi sur le commerce électronique).
11. La défenderesse a répliqué qu’elle n’était intervenue qu’en qualité d’hébergeur au
sens de la loi sur le commerce électronique. En tant qu’hébergeur, elle ne serait
pas tenue de surveiller les informations stockées, transmises ou fournies par les
destinataires du service, ni de rechercher par elle-même des faits ou des
circonstances révélant des activités illicites. Conformément à l’article 16 de la loi
sur le commerce électronique, elle ne serait tenue de réagir que si elle prenait
connaissance d’une activité illicite ou en était informée, et que l’illégalité était
identifiable par un non-spécialiste du droit. Ce ne serait pas le cas des trois
déclarations prétendument illicites figurant dans le message posté en cause
).
L’appréciation de la légalité du message posté, exclusivement constitué de
jugements de valeur, devrait avant tout tenir compte du fait qu’il aurait été publié
dans le cadre d’un débat politique portant sur la crise des réfugiés, qui ferait,
depuis des mois, l’objet d’une controverse en Autriche et dans d’autres pays
européens. Conformément au droit à la liberté d’expression, les déclarations
n’auraient pas manifestement dépassé les limites de la critique autorisée à l’égard
d’une personnalité politique dans le cadre d’un débat politique. Il conviendrait
d’admettre également une critique tendancieuse, blessante, voire choquante, en
8
particulier dans le dialogue politique. Les provocations verbales seraient
courantes dans le débat politique quotidien. La demande de la requérante tendant
à interdire à la défenderesse de publier et/ou de diffuser aussi les allégations de
contenu équivalent serait du reste excessive en ce qu’elle constituerait une
obligation générale de contrôle ex ante qui n’incomberait précisément pas aux
hébergeurs.
12. La juridiction de première instance a rendu l’ordonnance de référé demandée, et la
juridiction d’appel a enjoint à la défenderesse de cesser, immédiatement et jusqu’à
la clôture définitive de la procédure relative à l’action en cessation, la publication
et/ou la diffusion de photos de la requérante dès lors que le message
d’accompagnement contient les mêmes allégations ou des allégations de contenu
équivalent à celles qui ont été portées à la connaissance de la défenderesse par la
requérante, par des tiers ou d’une autre manière, à savoir que la requérante serait
une
. La juridiction d’appel a rejeté la demande au surplus de la
requérante d’interdire aussi à la défenderesse, d’une manière générale, de publier
et/ou de diffuser des photos de la requérante dès lors que le message
d’accompagnement contient des allégations de contenu équivalent à celles
reprochant à la requérante d’être une
“
”.
13. Les deux juridictions inférieures ont invoqué l’article 78 de l’UrhG et l’article
1330 de l’ABGB, et ont estimé que le message de haine posté contenait des
déclarations portant une atteinte excessive à l’honneur et laissait entendre, en
outre, que la requérante aurait eu un comportement délictueux sans en fournir la
moindre preuve. En matière de déclarations formulées à l’encontre d’une
personnalité politique, sans rapport avec un débat politique ou d’intérêt général, la
référence au droit à la liberté d’expression serait également inadmissible. Les
déclarations volontairement déshonorantes, qui ont essentiellement pour but de
diffamer la personne et non d’alimenter un débat de fond, ne seraient pas
protégées. Étant donné que la défenderesse n’aurait pas, sur demande,
promptement supprimé le message posté, alors que les violations auraient été
manifestes sans autre recherche complémentaire, y compris pour un non-
9
spécialiste, la défenderesse serait responsable, en tant que complice, du
destinataire du service “Michaela Jaskova”.
14. Concernant la portée de l’obligation de cessation de la défenderesse, la juridiction
d’appel a invoqué l’article 18, paragraphe 1, de la loi sur le commerce
électronique et la jurisprudence rendue par l’Oberster Gerichtshof en la matière,
selon laquelle l’hébergeur attaqué est soumis à une obligation de contrôle élargie
lorsque celui-ci a déjà enfreint une fois son obligation de contrôle en ne
supprimant pas promptement une entrée après avoir pris connaissance d’une
violation. La défenderesse aurait elle aussi la possibilité, à l’aide d’un support
technique tel qu’un dispositif de filtre automatisé, de filtrer et de supprimer les
publications de photos de la requérante accompagnées du même texte.
15. Toutefois, concernant les déclarations de contenu équivalent, cela reviendrait à
demander l’impossible à la défenderesse, puisque près d’1,1 million de
destinataires du service utiliseraient les pages Facebook régulièrement, ce qui
ferait obstacle à la mise en place d’un contrôle automatisé des entrées. En
l’occurrence, il appartiendrait plutôt à la requérante, dont l’attention sur ces
messages de contenu équivalent serait régulièrement attirée par des tiers, d’exiger
leur retrait auprès de la défenderesse.
16. Dans la procédure [devant la juridiction de renvoi], la requérante demande le
rétablissement des effets de l’ordonnance de référé rendue par la juridiction de
première instance. S’agissant d’une déclaration précise, le droit en cessation
opposé à l’hébergeur pourrait également s’étendre aux déclarations textuellement
identiques et/ou de contenu équivalent dont il n’a pas pris connaissance de
manière séparée.
17.
Si la défenderesse reconnaît à présent son obligation de ne pas (plus) publier et/ou
diffuser le message posté en cause jusqu’à la clôture définitive de la procédure
relative à l’action en cessation, elle estime toutefois que l’obligation de cesser la
publication d’allégations identiques et/ou de contenu équivalent représente une
obligation de surveillance proactive inadmissible».
10
18. Dans ces circonstances, la juridiction de renvoi pose les questions suivantes:
«
1. L’article 15, paragraphe 1, de la directive 2000/31/CE du Parlement
européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques
des services de la société de l’information, et notamment du commerce
électronique, dans le marché intérieur (“directive sur le commerce
électronique”) s’oppose-t-il, d’une manière générale, à ce que l’une des
obligations énumérées ci-après soit imposée à un hébergeur qui n’a pas
promptement retiré certaines informations illicites, à savoir non seulement ces
informations illicites elles-mêmes au sens de l’article 14, paragraphe 1, sous a),
de la directive, mais également d’autres informations identiques:
a.a. au niveau mondial?
a.b. dans l’État membre concerné?
a.c. du destinataire concerné du service au niveau mondial?
a.d. du destinataire concerné du service dans l’État membre concerné?
2. En cas de réponse négative à la première question: en va-t-il de même
concernant les informations de contenu équivalent?
3. En va-t-il de même concernant les informations de contenu équivalent dès le
moment où l’exploitant a connaissance de cette circonstance?
C. APPRECIATION JURIDIQUE
1. Introduction
19. La juridiction de renvoi a constaté que la défenderesse est un fournisseur de service
d’hébergement au sens de l’article 14, paragraphe 1, de la directive, et donc un
prestataire qui stocke des informations fournies par un destinataire du service.
L’article 15 est, conformément à son paragraphe 1, applicable à ces services. La
juridiction de renvoi a également constaté que l’information litigieuse est illicite au
regard du droit autrichien. Elle a expliqué en détail les infractions à l’article 1330
ABGB (atteinte à l’honneur) et à l’article 78 de la loi sur le droit d’auteur
(protection de l’image) et les a démontrées en s'appuyant sur la jurisprudence. La
juridiction de renvoi ne pose pas de questions concernant ces deux éléments et ne
fournit pas non plus d’informations suffisantes qui donneraient lieu à une
appréciation différente de la part de la Commission. Par conséquent, la
11
Commission prendra ces constatations factuelles de la juridiction de renvoi comme
point de départ de la suite de son analyse.
20. La Commission a publié une communication intitulée «
Lutter contre le contenu
illicite en ligne»5 ainsi qu’une recommandation «
sur les mesures destinées à lutter,
de manière efficace, contre les contenus illicites en ligne6», dans lesquelles les
plateformes en ligne et notamment des prestataires de service d’hébergement au
sens de l’article 14 sont encouragés «
à prendre, lorsque cela se justifie, des
mesures proactives proportionnées et spécifiques en matière de contenus illicites»
(18e recommandation). Ces mesures proactives pourraient comporter le recours à
des procédés automatisés de détection de contenus illicites uniquement lorsque
c’est «
approprié et proportionné» et sous réserve de mesures de sauvegarde
efficaces et adéquates. L’affaire au principal concerne en revanche le refus d’un
prestataire de service d’hébergement de retirer de la plateforme une information
constatée comme étant illégale, et l’étendue des mesures à prendre par la justice qui
peuvent être imposées au prestataire dans ce contexte.
21. L’ensemble des questions concerne l’interprétation de l’article 15 de la directive
2000/13/CE. La première et la troisième question se réfèrent au fait que la
défenderesse «
n’a pas promptement retiré certaines informations illicites» après
qu’elle «
a eu connaissance» de ces informations au sens de l’article 14,
paragraphe 1. Il ressort de l’exposé de la juridiction de renvoi que la défenderesse
ne partageait pas l’avis de la requérante selon lequel les griefs de corruption et de
fascisme pourraient constituer des infractions au droit et qu’elle n’a retiré ces
informations que cinq mois après l’ordonnance de référé rendue par le tribunal de
première instance. Cette circonstance n’est toutefois pas pertinente pour répondre
aux questions préjudicielles, pour deux motifs:
premièrement, le retrait immédiat
d’une information illicite après en avoir pris connaissance n’est pas un élément
constitutif de l’article 15, paragraphe 1, de la directive.
Deuxièmement, il s’agit en
l’espèce d’une ordonnance de référé d’un tribunal, à laquelle les limitations de
responsabilité visées à l’article 14 ne sont pas applicables. Selon son paragraphe 3,
5 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social
européen et au Comité des régions du 28 septembre 2017 – «Lutter contre le contenu illicite en ligne –
Pour une responsabilité accrue des plateformes en ligne», COM(2017)555 final
6 Recommandation de la Commission du 1er mars 2018 sur les mesures destinées à lutter, de manière
efficace, contre les contenus illicites en ligne, C(2018)1177 final
12
l’article 14 n’affecte pas la possibilité, «
pour une juridiction (...), conformément
aux systèmes juridiques des États membres, d’exiger du prestataire qu’il mette un
terme à une violation ou qu’il prévienne une violation.»
22. Par sa première question, la juridiction de renvoi voudrait savoir si l’article15 de la
directive 2000/31/CE s’oppose «
d’une manière générale» à l’une des obligations
énumérées imposées dans le cadre d’une ordonnance de référé. La procédure
préjudicielle ne vise pas à répondre à des questions générales, mais à des questions
spécifiques, non hypothétiques, soulevées dans le cadre de procédures nationales.
Précisément dans des affaires comme l’espèce, les détails et les particularités des
faits sont d’une importance décisive pour garantir une application correcte de
l’article 15. Indépendamment de cet aspect, et au regard de la signification de la
question préjudicielle et des incertitudes dans la pratique des juridictions, la
Commission complétera la réponse à la question en donnant une interprétation
générale de l’article 15 de la directive.
23. La juridiction de renvoi se concentre, dans ses questions préjudicielles, sur trois
caractéristiques choisies des obligations imposées dans le cadre d’une ordonnance
judiciaire adressée à un prestataire de service d’hébergement, à savoir:
a) le champ d’application
matériel de l’ordonnance, dans lequel la juridiction de
renvoi distingue entre une information illicite qui est identique à celle que le
fournisseur a rendue publique et qu’il a ensuite retirée en application d’une
première ordonnance judiciaire, d’une part, et des informations non entièrement
identiques, mais de contenu équivalent, d’autre part,
b) le champ d’application
géographique de l’ordonnance, dans lequel la juridiction
de renvoi distingue entre une application à l’intérieur de l’État membre concerné,
en l’occurrence l’Autriche, et une application au niveau mondial, et
c) le champ d’application
personnel de l’ordonnance, dans lequel la juridiction de
renvoi distingue entre la personne qui a posté à l’origine les informations illicites
entre-temps retirées, et tous les autres destinataires du service de la défenderesse.
13
24. Il convient de constater d’emblée que ni d’autres dispositions de la directive
2000/31/CE ni son article 15, paragraphe 1, ne régissent quand et à qui quelles
ordonnances peuvent être adressées. De même que les articles 12 à 14 de la
directive accordent simplement des
exclusions de la responsabilité, sans prescrire
de règles générales de responsabilité, l’article 15 ne prévoit pas de réglementation
générale sur les ordonnances judiciaires. Les règles générales de responsabilité
relèvent en principe de la législation nationale, même si elles sont aussi
déterminées potentiellement par le droit de l’Union là où celui-ci touche à des
questions de responsabilité – comme dans le domaine de la propriété intellectuelle.
En ce qui concerne les ordonnances de référé, ce principe est expressément établi à
l’article 14, paragraphe 3, qui renvoie aux «
systèmes juridiques des États
membres». L’article 15, paragraphe 1, restreint également les mesures qui peuvent
être infligées aux prestataires de service d’hébergement en ce qu’il exclut une
obligation générale de surveillance, sans toutefois établir quelles autres obligations
peuvent être imposées à ces prestataires et dans quelles situations.
25. La question centrale est donc de savoir quelles limites précises découlent de
l’interdiction d’une «obligation générale de surveillance» si, comme dans l’affaire
au principal, une juridiction nationale estime approprié d’adopter contre un
prestataire une ordonnance de référé en application du droit national, par laquelle
ce prestataire est mandaté pour rechercher et retirer des informations illégales dans
le futur, et ce, en particulier au regard des trois éléments, de nature matérielle,
géographique et personnelle, soulevés par la juridiction de renvoi. Même si la
demande préjudicielle ne développe pas beaucoup cet aspect, il semble évident que
chacune des ordonnances possibles évoquées par la juridiction de renvoi
impliquerait une obligation de surveillance à des degrés divers.
2. La question préjudicielle
26. Selon le libellé de l’article 15, paragraphe 1, les États membres ne peuvent imposer
aux prestataires aucune «
obligation générale» de surveiller les informations qu’ils
transmettent ou stockent, ou de rechercher activement des faits ou des
circonstances révélant des activités illicites. Cela
ne signifie pas toutefois pas que
14
toute obligation de surveillance et de recherche serait
d’office exclue. Le
considérant 47 souligne en ce sens que l’interdiction pour les États membres
d’imposer une obligation de surveillance aux prestataires ne vaut que «
pour les
obligations à caractère général». L’article 15, paragraphe 1, ne concerne
cependant pas les obligations de surveillance «
applicables à un cas spécifique et,
notamment, elle ne fait pas obstacle aux décisions des autorités nationales prises
conformément à la législation nationale».
27. Une analyse de l’économie générale de la directive souligne également ce point.
L’article 14, paragraphe 3, explique que l’injonction, contenue par exemple dans
une ordonnance de référé d’une juridiction ou d’une autorité, peut également
contenir l’obligation de
prévenir une violation dans le futur, et non simplement d’y
mettre un terme. Même si cette obligation ne peut aller jusqu’à une surveillance
«
générale», une telle mesure préventive implique logiquement une certaine forme
de surveillance dans le futur. L’efficacité de cette disposition ne saurait être
garantie autrement. Le considérant 48 également rappelle l’obligation pour les
prestataires de services d’hébergement d’agir «
avec les précautions que l’on peut
raisonnablement attendre d’eux et qui sont définies dans la législation nationale, et
ce afin de détecter et d’empêcher certains types d’activités illicites». Les
injonctions telles que celles qui ont été imposées dans l’affaire au principal à la
défenderesse sont l’expression d’une telle précaution.
28. L’un des objectifs de cette disposition réside sans aucun doute dans les efforts de la
directive pour instaurer «
un équilibre entre les différents intérêts en jeu», comme le
souligne le considérant 41. Les différents intérêts se reflètent en partie dans
différents droits fondamentaux protégés par l'ordre juridique communautaire,
comme par exemple la liberté d’entreprise, la propriété intellectuelle, le respect de
la vie privée et familiale, la protection des données à caractère personnel, la liberté
d’expression et la liberté d’information. À la lumière de ces différents intérêts et de
l'obligation d’assurer un juste équilibre, il convient, lors de l’interprétation des
dispositions, de tenir compte surtout du principe général de proportionnalité7.
7 Arrêt du 29 janvier 2008, Productores de Música de España (Promusicae)/Telefónica de España SAU, C-
275/06, EU:C:2008:54, point 68
15
29. Selon le point de vue de la Commission, l’article 15, paragraphe 1, de la directive
poursuit en outre trois objectifs principaux:
1. L’objectif
structurel est de compléter l’exonération de responsabilité prévue à
l’article 14, paragraphe 1: étant donné que cette exonération de responsabilité
s’applique aux prestataires qui n’ont pas connaissance des informations diffusées
par des tiers et qu’ils diffusent, ni de contrôle sur ces informations, aussi longtemps
qu’ils n’ont pas cette connaissance ni ce contrôle, ils ne devraient pas être
contraints de surveiller de manière générale les informations qui figurent sur leur
plateforme, puisqu’ils acquerraient sinon systématiquement de telles connaissances
et pourraient exercer un contrôle, ce qui rendrait l’exonération de responsabilité
inapplicable et viderait l’article 14, paragraphe 1 de son sens.
2. Les
prestataires doivent être protégés face à des contraintes disproportionnées et
à «
une atteinte caractérisée à la liberté d’entreprise»8 qui pourraient leur être
imposées du fait d’obligations générales de surveillance.
3. Les
destinataires du service d’hébergement doivent notamment bénéficier d'une
protection de leurs données à caractère personnel ainsi que de la liberté de recevoir
ou de communiquer des informations9.
30. À la lumière de ce qui précède, et particulièrement de la jurisprudence concernant
l’article 15 de la directive, citée en note 4, la Commission voudrait souligner avant
tout trois points qui lui semblent déterminants pour l’interprétation de la
disposition:
31. Premièrement, dans les affaires précitées10, la Cour a été amenée à interpréter
plusieurs instruments juridiques et dispositions différentes du droit de l’Union.
8 Arrêt du 24 novembre 2011,
Scarlet Extended SA/Société belge des auteurs, compositeurs et éditeurs
SCRL (SABAM), C-70/10, EU:C:2011:771, points 48 et suivants; du 16 février 2012,
Belgische
Vereniging van Auteurs, Componisten en Uitgevers CVBA (SABAM)/Netlog NV, EU:C:2012:85,
points 45 à 47; voir le devoir de précaution «
que l’on peut raisonnablement attendre» des prestataires,
comme indiqué au considérant 48.
9 Ibidem,
Scarlet, points 50 et 51, SABAM, points 48 à 50.
10 Tout comme dans d’autres affaires où l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2000/31/CE joue un rôle,
comme dans l’arrêt du 15 septembre 2016 dans l’affaire C-484/14,
Tobias McFadden, EU:C:2016:689.
16
Ainsi, par exemple, elle a dû interpréter la directive 2004/48/CE11 (directive relative
au respect des droits de propriété intellectuelle), et notamment ses dispositions sur
les mesures provisoires, les mesures conservatoires et les injonctions (articles 9 et
11) ainsi que sur l’obligation générale de prévoir des mesures, procédures et
réparations nécessaires pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle
(article 3). Dans l’affaire au principal, rien n’indique que cette directive est
applicable, dans la mesure où le droit à l’image, qui fait l’objet ici de la procédure
nationale en même temps que l’atteinte à l’honneur, n’est pas un droit de propriété
intellectuelle au sens de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2004/48/CE, sans
qu’il importe que la protection de l’image – déterminante en l’espèce, en parallèle à
l’atteinte à l’honneur – soit réglementée en Autriche par la loi sur le droit d’auteur.
La mesure exclusivement pertinente est l’article 15, paragraphe 1, de la directive
2000/31/CE, qui doit être interprété à la lumière du principe de proportionnalité et
des droits fondamentaux applicables. Il convient de garder cette différence à l’esprit
lorsque les conclusions et considérations des arrêts cités sont interprétées et
appliquées à des affaires qui, comme l’affaire au principal, ont exclusivement
l’article 15 pour objet.
32. Deuxièmement, la distinction opérée par la directive entre une obligation générale
de surveillance, qui est interdite conformément à l’article 15, paragraphe 1, et une
surveillance dans des cas spécifiques, qui n’est pas interdite selon le considérant
47, ne doit pas être confondue avec une distinction entre une surveillance ordonnée
par le législateur national, et devant donc être appliquée en principe de manière
générale, et une obligation imposée par les juridictions et, par nature, quelque peu
plus spécifique. Premièrement, le considérant 47 établit clairement que l’obligation
de surveillance ordonnée doit être de nature spécifique, indépendamment de savoir
par quelle institution et par quel instrument juridique (loi, règlement, arrêt,
ordonnance de référé, etc.) elle est ordonnée et imposée. Deuxièmement, la Cour a
dit pour droit, dans les deux affaires précitées (
Scarlet et
Sabam) que l’article 15,
paragraphe 1, avait été violé indépendamment du fait que l’obligation avait été
imposée par une ordonnance de référé. Ceci indique clairement que l’interdiction
visée à l’article 15, paragraphe 1, peut concerner non seulement des injonctions
contenues dans les lois, mais aussi des ordonnances d’une juridiction.
11 Directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des
droits de propriété intellectuelle (JO L 157 du 30.4.2004, p. 45).
17
33. Troisièmement, il convient dès lors d’évaluer au cas par cas si une obligation
ordonnée constitue une «
obligation générale en matière de surveillance» au sens
de l’article 15, paragraphe 1. Le fait de savoir si, dans le cas concret, il existe un
juste équilibre et quelle mesure est proportionnelle ne peut, bien entendu, être
déterminé qu’à la lumière de tous les éléments pertinents de l’affaire qui doit être
jugée. Cela signifie que c’est la juridiction nationale, qui connaît le mieux les
particularités de l’affaire en cause, qui est appelée à procéder à cette évaluation.
34. Néanmoins, la Cour peut apporter, même en l’espèce, une
orientation à la
juridiction de renvoi, en précisant quels sont les critères qui devraient au moins être
considérés lors d’une telle évaluation. Du point de vue de la Commission, ces
critères sont, en particulier, les cinq suivants:
1. Afin d’évaluer la proportionnalité d’une ordonnance judiciaire, il y a lieu
d’analyser le contenu précis et l’étendue de la mesure que le prestataire doit mettre
en œuvre pour respecter cette ordonnance, notamment en ce qui concerne le champ
d’application matériel, géographique et personnel de la mesure.
2. La situation du prestataire doit être analysée avant tout au regard des services
qu’il propose – et notamment selon qu’il s’agit plutôt de services de simple
transport, de forme de stockage dite «caching» ou d’hébergement au sens des
articles 12, 13 ou 14 de la directive –, et ensuite au regard des possibilités qu’il a,
en rapport avec ces services, de prendre les mesures prescrites pour la surveillance
des informations contestées12.
3. La nature des règles de droit enfreintes doit être prise en compte dans
l’évaluation, et notamment la mesure dans laquelle des considérations subjectives
et inhérentes au contexte jouent un rôle dans le constat de la présence d’une
infraction, ainsi que la clarté et l’évidence de la violation du droit, c’est-à-dire le
point de savoir si cette violation est manifeste ou non, et les conséquences de la
violation du droit, notamment le point de savoir si elle représente un danger pour la
vie et la sécurité de la personne concernée.
12 Arrêt C-484/14 McFadden, précité à la note 10, points 60 à 63
18
4. La juridiction doit également tenir compte des conséquences possibles des
mesures pour les destinataires autres que celui dont proviennent les informations
illégales, notamment au regard de la protection des données à caractère personnel
de ces destinataires et de leur droit fondamental à la liberté d’opinion et
d’information.
5. Enfin, il convient également d’intégrer une éventuelle limitation dans le temps
de l’ordonnance au moment d’évaluer si la mesure est de nature générale au sens de
l’article 15, paragraphe 1.
35. La Commission souligne que, de son point de vue, les critères susmentionnés
sont
interdépendants et liés les uns aux autres. Cela signifie qu’une mesure pourrait être
un peu plus étendue au regard du champ d’application personnel, dans la mesure où
elle concerne par exemple toute une catégorie de destinataires, ou tous les
destinataires, si, dans le même temps, cette circonstance est compensée par le fait
que la mesure ne concerne qu’un élément d’information matériel unique,
clairement défini, ou que l’ordonnance est soumise à une limitation dans le temps
appropriée. C’est l’évaluation globale de la situation dans son ensemble et
l’appréciation adéquate de tous les critères qui détermine, en fin de compte, si une
ordonnance respecte ou viole l’article 15, paragraphe 1, de la directive.
3. Sur les détails de l’affaire devant la juridiction de renvoi
36. Il ressort de ce qui précède que les trois critères envisagés par la juridiction de
renvoi, à savoir le champ d’application matériel, géographique et personnel de
l’ordonnance sont certainement pertinents afin d’apprécier si l’article 15,
paragraphe 1, de la directive a été violé ou non; cependant, ils ne sont pas suffisants
et, seuls, ils ne sont pas concluants. D’autres critères doivent également être
considérés afin de pouvoir décider dans le cadre d’une appréciation globale de
l’ensemble de la situation si l’article 15, paragraphe 1, exclut l’adoption des
mesures en cause.
19
37. Il ne ressort pas clairement de l’ordonnance de renvoi quelles mesures en détail
doivent être adoptées à l’encontre de la défenderesse. Deux points au moins
semblent incontestés:
38. Premièrement, la défenderesse est traitée en tant que prestataire d’un service
d’hébergement. Cela signifie qu’elle dispose de meilleures possibilités pour
prendre des mesures afin de rechercher et d’éliminer des informations illicites que
n’en a, par exemple, un prestataire proposant un service de simple transport au sens
de l’article 12 de la directive.
39. Deuxièmement, la disposition du droit violée concerne une atteinte à l’honneur.
Alors que ces dispositions ne peuvent pas être appréciées de manière entièrement
objective, il ne faut en général pas d’analyse nouvelle et détaillée du contexte et des
éléments subjectifs pour déterminer si cette disposition est violée lorsqu’une autre
personne réitère le même comportement contesté dans des circonstances
comparables. En l’espèce, la violation du droit semble être évidente. Il est donc
concevable que la nouvelle diffusion de la même information par d’autres
destinataires du service de la défenderesse constitue à son tour une violation du
droit.
40. Sans vouloir, ni pouvoir, préjuger des analyses complètes et détaillées nécessaires
de la juridiction nationale sur les faits en cause, les hypothèses suivantes semblent
a priori être valables:
41. L’article 15, paragraphe 1, de la directive n’exclut pas une ordonnance imposant à
la défenderesse de prendre des mesures dirigées également contre d’autres
destinataires que celui qui a initialement posté l’information illicite, en particulier
si la juridiction de renvoi a des motifs d’admettre que d’autres destinataires
posteront la même information sur la plateforme de la défenderesse. Il n’y a pas
d’autre moyen d’exclure le risque de l’inefficacité totale de l’ordonnance,
notamment au regard du fait que le même destinataire, en s’enregistrant à nouveau
sous un autre nom, pourrait réitérer le même comportement illicite.
42. Si la juridiction nationale a des motifs d’admettre que la violation pourrait être
également commise par des destinataires en dehors de l’Autriche, et qu’il existe
donc un risque qu’une ordonnance limitée à l’Autriche puisse être contournée et/ou
que, si la violation était commise dans certains autres pays en dehors de l’Autriche,
20
les intérêts de la requérante concernée par l’atteinte à l’honneur continuent d’être
affectés, l’article 15, paragraphe 1, de la directive n’interdirait pas d’étendre
l’ordonnance de manière telle que la défenderesse doive prendre des mesures
également dans d’autres pays, et pas uniquement en Autriche.
43. Toutefois, si les juridictions nationales imposent des mesures qui sont déjà plus
étendues au regard du champ d’application personnel et géographique, mais qui
chargent en outre la défenderesse de rechercher et de retirer des informations qui
ont un «
contenu similaire ou une signification similaire» à l’information illicite
posée initialement, il peut être conclu que l’obligation de surveillance est déjà une
obligation de nature générale, et qu’elle est donc interdite par l’article 15,
paragraphe 1. Cette obligation ne deviendrait pas seulement plus générale par sa
nature, elle serait aussi indéterminée et imprécise. Cela pourrait en outre générer
une insécurité importante sur le point de savoir si, concrètement, des informations
simplement similaires sont encore illicites ou ne le sont plus. À l’inverse, cela
pourrait avoir des conséquences négatives non seulement pour la défenderesse,
mais aussi pour les autres destinataires.
44. La Commission souligne également qu’une limitation dans le temps appropriée de
l’ordonnance sera généralement essentielle pour garantir que la surveillance ne soit
pas une obligation générale au sens de l’article 15, paragraphe 1. Cet élément est, à
son tour, particulièrement important dès lors que la juridiction nationale estime
nécessaire de concevoir l’ordonnance dans un sens large du point de vue personnel
et géographique.
D. CONCLUSION
45. La Commission est d’avis que la réponse à la question préjudicielle devrait dès lors
être la suivante:
L’article 15, paragraphe 1, de la directive 2000/31/CE devrait être interprété en ce
sens qu’il exclut une ordonnance adoptée en conformité avec le droit national si
l’obligation imposée au prestataire de service d’hébergement concerné doit être
considérée, à la lumière d’une appréciation globale tenant compte de toutes les
circonstances pertinences du cas d’espèce, comme une obligation générale de
surveillance. Il appartient à la juridiction nationale de procéder à cette
appréciation globale, en tenant compte en particulier des critères suivants:
21
1. le contenu précis et l’étendue de la mesure que le prestataire doit mettre en
œuvre pour respecter cette obligation, notamment en ce qui concerne le champ
d’application matériel, géographique et personnel de la mesure;
2. la situation du prestataire au regard des services qu’il propose (simple
transport, forme de stockage dite «caching» ou hébergement au sens des
articles 12, 13 et 14 de la directive), et ses possibilités de prendre certaines
mesures en fonction de ces services;
3. la nature de la règle de droit enfreinte, ainsi que la clarté de la violation du
droit et ses conséquences pour la personne lésée;
4. les conséquences possibles des mesures pour les destinataires autres que celui
dont proviennent les informations illégales, notamment au regard de la protection
de leurs droits fondamentaux à la protection des données et à la liberté d’opinion
et d’information;
5. les éventuelles limitations dans le temps de l’ordonnance.
Sans vouloir anticiper l’évaluation détaillée et complète des circonstances
pertinentes par la juridiction compétente, il apparaît à première vue que, dans une
situation comme celle au principal, qui se caractérise avant tout par le fait que le
prestataire exploite un service d’hébergement, où l’infraction est manifeste et où la
diffamation et l’atteinte à la protection de l’image sont établies, l’article 15,
paragraphe 1, de la directive n’exclut pas une ordonnance qui impose à
l'hébergeur de prendre certaines mesures vis-à-vis d’autres destinataires, qui ne
sont pas le destinataire initial qui a posté l’information que la juridiction a déjà
considérée comme illicite, mesures s’appliquant également à d’autres pays que
celui où la juridiction a son siège, notamment lorsqu’une telle ordonnance est
assortie d’une limitation dans le temps adéquate. Une telle ordonnance devrait
sinon être probablement considérée comme étant une obligation générale de
surveillance interdite par l’article 15, paragraphe 1, si elle visait également des
informations qui ont une signification simplement de contenu équivalent à celui de
l’information que la juridiction a déjà considérée comme illicite.
Folkert Wilman
Gerald Braun
Agents de la Commission
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