Traduction
C-18/18 - 8
Observations du Portugal
Affaire C-18/18 *
Pièce déposée par :
République portugaise
Nom usuel de l’affaire :
Glawischnig-Piesczek
Date de dépôt :
22 mars 2018 (original)
Cour de justice de l’Union européenne
Affaire C-18/18
Glawischnig-Piesczek
OBSERVATIONS DE LA RÉPUBLIQUE PORTUGAISE
présentées dans le cadre de la demande de décision préjudicielle introduite par
l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche) et portant sur l’interprétation de
la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000,
relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et
notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le
commerce électronique »), en ce qui concerne les obligations imposées à un
hébergeur qui n’a pas retiré certaines informations illicites, à savoir non seulement
ces informations illicites elles-mêmes, mais également d’autres informations
identiques. [
Or. 2]
Lisbonne, le 16 mars 2018
À MONSIEUR LE PRÉSIDENT ET À MESDAMES ET MESSIEURS LES
MEMBRES DE LA COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPÉENNE
Le
gouvernement portugais, représenté par M. Luís Inez Fernandes et M. Miguel
Figueiredo, en qualité d’agents, assistés du professeur Tito Rendas, de la faculté
de droit de l’Université catholique portugaise, en qualité de consultant juridique,
qui élisent domicile auprès du ministère des Affaires étrangères, Palácio Cova da
* Langue de procédure : l’allemand.
FR
AFFAIRE C-18/18 – 8
Moura, Rua Cova da Moura no 1, P-1350-115 Lisbonne et acceptent toutes
significations via e-Curia, ayant reçu notification de la demande de décision
préjudicielle présentée par l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche) dans
l’affaire
C-18/18, a l’honneur de présenter ses observations écrites conformément
à l’article 23 du protocole sur le statut de la Cour de justice, dans les termes et sur
le fondement des considérations qui suivent.
I.
Antécédents de fait et déroulement de la procédure
1
Il ressort des éléments du dossier que la présente affaire concerne l’interprétation
de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000,
relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et
notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le
commerce électronique ») (ci-après la « directive 2000/31 » ou la « directive »).
Dans la procédure au principal, l’interrogation soulevée vise à déterminer si la
directive s’oppose à des obligations faites à un hébergeur qui n’a pas retiré
certaines informations illicites, à savoir [
Or. 3] non seulement ces informations
illicites elles-mêmes, mais également d’autres informations identiques.
2
En effet, il ressort des éléments communiqués dans la décision de renvoi qu’en
l’espèce, la requérante était députée au Nationalrat (Conseil national autrichien),
présidente du groupe parlementaire « les Verts » (« die Grünen »), porte-parole
fédérale de ce parti, et que la défenderesse est la société Facebook Ireland Ltd, une
filiale de la société américaine Facebook Inc., qui exploite la plateforme
électronique « Facebook » et qui agit, en tant que telle, en qualité d’hébergeur, à
savoir comme prestataire d’un service de la société de l’information consistant
dans le stockage d’informations fournies par des destinataires du service.
3
Dans l’affaire au principal, un destinataire privé de cette plateforme électronique a
publié sur sa page un article provenant du site « oe24.at », intitulé «
Les Verts : en
faveur du maintien d’un revenu minimum pour les réfugiés » et illustré par une
photographie de la requérante. La publication du destinataire contenait un
commentaire, dont il était l’auteur, ayant la teneur suivante : «
». Cette contribution pouvait être consultée par chaque
destinataire du service de Facebook.
4
La requérante a demandé à la défenderesse d’effacer de la plateforme électronique
Facebook cette contribution du destinataire et de communiquer les données de ce
dernier. La défenderesse a choisi de ne pas se conformer aux demandes de la
requérante, laquelle, en conséquence, a demandé au tribunal de première instance
de rendre une ordonnance de référé condamnant la défenderesse, d’une part, à
retirer la contribution en cause et, d’autre part, à cesser de publier des photos de la
requérante accompagnées d’un message formulant [
Or. 4] des allégations
2
GLAWISCHNIG-PIESCZEK
identiques et/ou de contenu équivalent, à savoir que la requérante serait une «
».
5
La requérante a fait valoir que la contribution violait son droit à l’image consacré
à l’article 78 de l’Urheberrechtsgesetz (loi autrichienne relative au droit d’auteur)
et qu’elle était diffamante et déshonorante au sens de l’article 1330, paragraphes 1
et 2, de l’Allgemeines Bürgerliches Gesetzbuch (code civil général autrichien).
Elle a également soutenu que les griefs étant injustifiés, la contribution litigieuse
n’était pas protégée par la liberté d’expression et que la défenderesse aurait pu se
rendre compte facilement du caractère mensonger des allégations du destinataire
concerné en procédant à un examen sommaire.
6
Dans son mémoire en défense, la défenderesse a fait valoir que, bien que les
hébergeurs soient tenus d’agir lorsqu’ils prennent effectivement connaissance
d’une activité ou d’une information illicites et que l’illégalité puisse être
identifiable par un non-spécialiste du droit, conformément à l’article 16 de
l’E-Commerce-Gesetz (loi sur le commerce électronique), cette obligation ne
concernait pas les trois déclarations prétendument illicites figurant dans la
contribution en cause («
», «
», «
»), car il s’agit de jugements de valeur formulés dans le cadre d’un
débat politique faisant l’objet d’une vive polémique.
7
La défenderesse soutient également qu’en qualité d’hébergeur, elle n’est pas tenue
de surveiller les contenus stockés, transmis ou fournis par les destinataires du
service, ni de rechercher activement par elle-même des faits ou des circonstances
révélant des activités ou des informations illicites. L’obligation de filtrer et de
supprimer les déclarations identiques et/ou de contenu équivalent serait contraire à
l’interdiction d’imposer des obligations générales de surveillance aux hébergeurs,
prévue à l’article 18 de la loi sur le commerce électronique, qui transpose dans
l’ordre juridique autrichien l’article 15 de la directive sur le commerce
électronique.
8
Le tribunal de première instance a rendu l’ordonnance de référé demandée,
laquelle enjoint à la défenderesse de cesser la publication en cause jusqu’à la
clôture définitive de la [
Or. 5] procédure relative à l’action en cessation, en
rendant cette publication inaccessible au niveau mondial et, en outre, de filtrer les
futures publications contenant des photos de la requérante accompagnées d’un
message formulant des allégations
identiques et/ou de contenu
équivalent à celui
des commentaires initiaux. En application de l’ordonnance de référé, la
défenderesse a retiré l’accès au message initial à l’intérieur des frontières
géographiques de l’Autriche et a interjeté appel de cette décision.
9
La juridiction d’appel a partiellement confirmé la décision de première instance et
enjoint à la défenderesse de cesser, immédiatement et jusqu’à la clôture définitive
de la procédure, la publication ou la diffusion de photos dont elle aurait
effectivement connaissance, notamment après en avoir été informée par la
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AFFAIRE C-18/18 – 8
requérante. Elle a également considéré qu’il ne serait pas raisonnable d’imposer à
la défenderesse une obligation de filtrage proactif de déclarations de contenu
équivalent.
10 Chacune des parties a introduit un recours en « Revision » auprès de l’Oberster
Gerichtshof, la juridiction de renvoi en l’espèce. Les recours ont été admis [par la
juridiction d’appel] au motif qu’il n’existerait pas de jurisprudence de l’Oberster
Gerichtshof sur la question de savoir si l’injonction de cessation, délivrée à
l’encontre d’un hébergeur qui exploite un réseau social comptant de nombreux
destinataires quotidiens du service, peut aussi être étendue aux déclarations
textuellement identiques ou de contenu équivalent dont ledit hébergeur n’a pas
connaissance.
11 Il s’agit par conséquent d’interpréter la directive 2000/31/CE du Parlement
européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des
services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique,
dans le marché intérieur en ce qui concerne la question de savoir si la directive
s’oppose à des obligations faites à un hébergeur qui n’a pas retiré certaines
informations illicites, à savoir non seulement ces informations illicites
elles-mêmes, mais également d’autres informations identiques.
II.
Les questions posées par la juridiction de renvoi
[
Or. 6]
12 Pour trancher le litige dont elle est saisie, la juridiction de renvoi juge utile que la
Cour se prononce à titre préjudiciel sur les questions suivantes :
1
.
L’article 15, paragraphe 1, de la directive 2000/31/CE du Parlement
européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques
des services de la société de l’information, et notamment du commerce
électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce
électronique ») s’oppose-t-il, d’une manière générale, à ce que l’une des
obligations énumérées ci-après soit imposée à un hébergeur qui n’a pas
promptement retiré certaines informations illicites, à savoir non seulement
ces informations illicites elles-mêmes au sens de l’article 14, paragraphe 1,
sous a), de la directive, mais également d’autres informations identiques :
a.
au niveau mondial ?
b.
dans l’État membre concerné ?
c.
du destinataire concerné du service au niveau mondial ?
d.
du destinataire concerné du service dans l’État membre
concerné ?
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GLAWISCHNIG-PIESCZEK
2.
En cas de réponse négative à la première question : en va-t-il de même
concernant les informations de contenu équivalent ?
3.
En va-t-il de même concernant les informations de contenu équivalent
dès le moment où l’exploitant a connaissance de cette circonstance ?
III. Appréciation juridique
Sur la première et la deuxième questions
13 Par sa première question, la juridiction de renvoi souhaite savoir en premier lieu si
l’article 15, paragraphe 1, de la directive s’oppose à une ordonnance de référé qui
enjoint à l’hébergeur de retirer des informations illicites dont il a pris
connaissance, au sens de l’article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive.
14 Il convient de rappeler avant tout que, dans la procédure au principal, il est
constant que la défenderesse est un hébergeur au sens et aux fins de l’article 14 de
la directive, qui bénéficie du traitement privilégié en matière de responsabilité
prévu dans cette disposition. [
Or. 7] Par conséquent, elle n’est pas responsable
des contenus étrangers, pour autant que deux conditions connexes soient réunies :
i) elle ne doit pas avoir effectivement connaissance de l’activité ou de
l’information illicites et, en ce qui concerne une demande en dommages et
intérêts, ne doit pas avoir connaissance de faits ou de circonstances selon lesquels
l’activité ou l’information illicite est apparente ; et ii) dès le moment où elle a de
telles connaissances, elle doit agir promptement pour retirer les informations ou
rendre l’accès à celles-ci impossible.
15 Toutefois, comme il est précisé au considérant 45 de la directive, cette exonération
de responsabilité est «
sans préjudice de la possibilité d’actions en cessation de
différents types. Ces actions en cessation peuvent notamment revêtir la forme de
décisions de tribunaux ou d’autorités administratives exigeant qu’il soit mis un
terme à toute violation ou que l’on prévienne toute violation, y compris en retirant
les informations illicites ou en rendant l’accès à ces dernières impossible ». En
particulier, aux termes de l’article 14, paragraphe 3, de la directive, le traitement
prévu en son paragraphe 1 «
n’affecte pas la possibilité, pour une juridiction ou
une autorité administrative, conformément aux systèmes juridiques des États
membres, d’exiger du prestataire qu’il mette un terme à une violation ou qu’il
prévienne une violation ».
16 Au vu de ce cadre législatif, rien ne fait obstacle à ce que cette première obligation
soit imposée à l’hébergeur, pour autant que l’information qui a été portée à sa
connaissance et dont le retrait est demandé soit effectivement illicite, ce qu’il
appartient à la juridiction nationale de vérifier.
17 En ce qui concerne l’obligation de retrait de l’information illicite, la juridiction de
renvoi souhaite également voir clarifiées les deux sous-questions visant à savoir si
l’obligation peut être imposée :
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AFFAIRE C-18/18 – 8
i)
à l’égard de l’information diffusée par tout destinataire ou si elle doit
se limiter à l’information diffusée par le destinataire en cause dans
l’affaire au principal ;
ii) au niveau mondial ou si ses effets doivent être limités à l’État membre
concerné. [
Or. 8]
18 S’appliquent mutatis mutandis à l’analyse de la première sous-question les
arguments développés ci-après aux points 23 à 37, auxquels nous renvoyons. Le
gouvernement portugais indique d’ores et déjà qu’il considère que l’obligation en
cause ne peut avoir pour objet que l’information diffusée par un
destinataire
déterminé et non par tout destinataire du réseau social.
19 L’analyse de la seconde sous-question, relative à la portée territoriale de
l’injonction de cessation, exige la mise en balance de deux catégories d’intérêts ou
de droits. D’une part, il est incontestable que l’obligation de retrait de
l’information au niveau mondial, c’est-à-dire dans toutes les versions nationales
du réseau social en cause, protège plus efficacement le droit à l’image et le droit à
l’honneur de la personne visée qu’une obligation dont les effets seraient limités à
un État membre. D’autre part, le retrait au niveau mondial soulève des
préoccupations liées au respect de la liberté d’expression et d’information ainsi
que du principe de la courtoisie internationale (comitas gentium).
20 Dans une situation telle que celle en cause au principal, le gouvernement portugais
considère que la seconde catégorie d’intérêts doit prévaloir, et ce pour deux
raisons essentielles. En premier lieu parce que la protection des droits à l’image et
à l’honneur fait l’objet d’un traitement distinct dans les différents ordres
juridiques. Il n’est pas certain que les intérêts d’une personne confrontée à une
situation identique à celle de la requérante soient considérés comme dignes de
protection dans tous les ordres juridiques, en particulier si l’on tient compte du
niveau de polémique et de sensibilité politique sous-tendant la question de fond
qui a motivé les déclarations concernées. Il est possible, voire probable, que les
déclarations telles que celles du destinataire en cause au principal ne soient pas
considérées comme illicites dans d’autres ordres juridiques et, partant, que
l’ordonnance de référé ne soit pas rendue. S’il en était ainsi, l’imposition de
l’obligation de retrait d’une contribution contenant de telles déclarations au niveau
mondial serait contraire aux dispositions de ces ordres juridiques. [
Or. 9]
21 En outre, l’importance des considérations liées à l’efficacité résultant de la portée
territoriale de l’ordonnance de référé doit être relativisée dans une situation telle
que celle de la procédure au principal. Étant donné que les déclarations en cause
visaient une prise de position d’une ressortissante d’un État membre dans un débat
politique interne, la probabilité qu’elles suscitent un intérêt à l’échelle mondiale
est réduite. Une obligation imposée dans le seul État membre concerné ne
porterait donc pas un préjudice que l’on pourrait considérer comme intolérable
aux intérêts de la requérante. Cette portée territoriale limitée suffirait à protéger de
manière appropriée l’image et l’honneur de la requérante, ce qui permettrait
6
GLAWISCHNIG-PIESCZEK
d’assurer un juste équilibre entre ces droits, d’une part, et la liberté d’expression et
d’information et le principe de courtoisie internationale, d’autre part.
22 Au vu de ce qui précède, le résultat de la pondération des deux catégories
d’intérêts et de droits susmentionnés conduit à considérer que la portée de
l’obligation imposée à l’hébergeur doit être limitée au territoire de l’État membre
concerné.
23 Toutefois, la première question de la juridiction nationale, de même que la
deuxième, vise à savoir s’il est admissible d’imposer à un hébergeur non
seulement une obligation de retrait d’informations illicites dont il aurait pris
connaissance, mais également une obligation spécifique de surveillance. La
juridiction de renvoi souhaite savoir si l’article 15, paragraphe 1, de la directive
fait obstacle à ce qu’il soit enjoint à un hébergeur de s’abstenir de diffuser des
informations de contenu
identique ou
équivalent à celui d’informations réputées
illicites, mais dont il n’aurait
pas pris connaissance. Comme nous le verrons plus
loin, la distinction entre contenu «
identique » et «
équivalent » est indifférente
aux fins de la réponse à la présente question.
24 L’article 15, paragraphe 1, de la directive interdit aux États membres d’imposer
aux fournisseurs de services de la société de l’information visés aux [
Or. 10]
articles 12 à 14 de la directive, au rang desquels figurent les hébergeurs, une
obligation générale de surveiller les informations qu’ils transmettent ou stockent,
ou une obligation générale de rechercher activement des faits ou des circonstances
révélant des activités illicites.
25 Il convient de noter tout d’abord que l’interdiction pour les États membres
d’imposer aux prestataires de services de la société de l’information une
obligation de surveillance ne vaut que pour les obligations de surveillance
à
caractère général, aux termes du considérant 47 de la directive. Par conséquent,
l’interdiction ne concerne pas les obligations de surveillance
applicables à un cas
spécifique. Il s’ensuit qu’il n’apparaît pas contraire à la directive, et en particulier
à son article 15, paragraphe 1, d’imposer une obligation de surveillance et de
retrait de déclarations de contenu identique ou équivalent à celui de déclarations
illicites d’un
destinataire spécifique. Cette conclusion est également confortée par
le considérant 48, selon lequel la directive n’affecte en rien la possibilité qu’ont
les États membres d’exiger des hébergeurs qu’ils agissent avec les précautions que
l’on peut raisonnablement attendre d’eux et qui sont définies dans la législation
nationale, et ce afin de détecter et d’empêcher certains types d’activités illicites.
26 En revanche, tout autre est la situation caractérisée par l’imposition d’une
obligation de cesser la diffusion de déclarations de contenu identique ou
équivalent de
tout destinataire du réseau social. L’exécution d’une obligation
présentant de telles caractéristiques impliquerait certainement le recours, de la part
de l’hébergeur qui exploite le réseau, à des technologies de filtrage automatique.
C’est ce qu’admet la juridiction de renvoi elle-même lorsqu’elle se réfère à la
possibilité pour la défenderesse, «
à l’aide d’un support technique tel qu’un
7
AFFAIRE C-18/18 – 8
dispositif de filtre automatisé, de filtrer et de supprimer les publications de photos
de la requérante accompagnées du même texte ».
27 L’objectif qui préside à l’imposition de cette obligation consiste à renforcer
l’efficacité de la première obligation, à savoir le retrait des informations [
Or. 11]
considérées comme illicites portées à la connaissance de l’hébergeur, en
empêchant que l’injonction de cessation ne soit contournée et que ne soient
publiées des déclarations identiques ou équivalentes, soit par d’autres
destinataires, soit par l’auteur de l’infraction lui-même.
28 Malgré la pertinence de l’objectif énoncé, exiger d’un hébergeur tel que la
défenderesse qu’il identifie de manière proactive toutes les contributions futures
de contenu illicite, que celui-ci soit identique ou équivalent aux déclarations
initiales, revient à imposer à cet hébergeur une obligation générale de surveillance
vis-à-vis des informations qu’il stocke. Pour détecter certaines informations, il est
nécessaire de les rechercher, étant entendu que cette activité de recherche
présuppose une vérification généralisée, bien qu’automatisée, de toutes les
informations se trouvant sur le réseau ou la recherche active de faits ou de
circonstances révélant des activités illicites. En fin de compte, le bon grain ne peut
être séparé de l’ivraie sans que tout le champ ne soit moissonné auparavant, selon
l’expression de Christina Angelopoulos,
On Online Platforms and the
Commission’s New Proposal for a Directive on Copyright in the Digital Single
Market,
p. 36,
article
disponible
à
l’adresse
suivante :
https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2947800.
29 La juridiction de renvoi reconnaît que l’inclusion des atteintes de contenu
«
équivalent » ou «
en substance similaires » dans l’injonction de cessation est
incompatible avec l’échelle de valeurs de la directive car elle imposerait à
l’hébergeur de mettre en place un «
contrôle préalable général ». Toutefois, force
est de considérer que cette conclusion est également applicable à l’inclusion
d’atteintes de contenu
identique. Dans les deux cas, l’hébergeur est tenu de
procéder au filtrage qu’implique l’identification des contenus.
30 Dans l’arrêt du 15 septembre 2016, Mc Fadden (C-484/14, EU:C:2016:689), la
Cour a déclaré sans détours que l’obligation imposée à un fournisseur d’accès à un
réseau de communication de surveiller toutes les informations transmises au
moyen d’une connexion à Internet est contraire à l’article 15, paragraphe 1, de la
directive. Le fait que cet arrêt concerne un fournisseur d’accès et [
Or. 12] non un
hébergeur est dépourvu de pertinence à cet effet. Cet arrêt s’applique de la même
façon au présent cas d’espèce.
31 Dans un sens analogue, la Cour a considéré que l’article 15, paragraphe 1, de la
directive interdit aux autorités nationales d’adopter des mesures qui obligeraient
un prestataire de services d’hébergement à procéder à une surveillance active et
générale des informations qu’il stocke, selon la jurisprudence établie par les arrêts
du 16 février 2012, SABAM (C-360/10, EU:C:2012:85, points 33 et 34) et, par
8
GLAWISCHNIG-PIESCZEK
analogie, du 24 novembre 2011, Scarlet Extended (C-70/10, EU:C:2011:771,
points 35 et 36).
32 Dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, les autorités
nationales doivent assurer un juste équilibre entre, d’une part, la protection du
droit à l’image et du droit à l’honneur, dont jouissent les personnes visées par des
déclarations diffamatoires et, d’autre part, celle de la liberté d’entreprise dont
bénéficient les hébergeurs en vertu de l’article 16 de la Charte des droits
fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») ainsi que celle du
droit à la protection des données à caractère personnel et de la liberté d’expression
et d’information dont bénéficient les destinataires du réseau, conformément aux
articles 8 et 11 de la Charte ainsi que selon la jurisprudence issue des arrêts
du 16 février
2012,
SABAM
(C-360/10,
EU:C:2012:85,
point 44),
et
du 24 novembre 2011, Scarlet Extended (C-70/10, EU:C:2011:771, point 46).
33 L’imposition d’une injonction de cesser la diffusion d’informations de contenu
identique ou équivalent à des informations réputées illicites, en ayant recours à
des systèmes de filtrage automatique de contenus, entraînerait une atteinte à la
liberté d’entreprise, selon les arrêts du 16 février 2012, SABAM (C-360/10,
EU:C:2012:85, points 45 et 46), et, par analogie, du 24 novembre 2011, Scarlet
Extended (C-70/10, EU:C:2011:771, points 47 et 48). L’obligation, bien
qu’indirecte, d’appliquer et d’utiliser ces systèmes de filtrage constitue une
barrière excessivement coûteuse à l’entrée d’hébergeurs sur le marché.
L’existence d’une obligation de filtrage proactive à charge des hébergeurs
découragerait l’investissement dans ce type de services, avec le risque inhérent
d’une perpétuation du pouvoir de marché des hébergeurs existants. La
préservation d’un marché libre et [
Or. 13] concurrentiel pour les prestataires de
services de la société de l’information serait, de ce fait, incompatible avec une
telle obligation.
34 De plus, les effets de ladite obligation ne se limiteraient pas à l’hébergeur. Cette
obligation serait également susceptible de porter atteinte aux droits fondamentaux
des utilisateurs des services de cet hébergeur, en particulier à leur droit à la
protection des données à caractère personnel ainsi qu’à leur liberté d’expression et
d’information, aux termes de l’arrêt du 16 février 2012, SABAM (C-360/10,
EU:C:2012:85, point 48).
35 En effet, dans la mesure où elle dépend du filtrage automatique des informations
stockées sur le réseau, l’obligation litigieuse impliquerait l’identification,
l’analyse systématique et le traitement des informations relatives aux profils créés
sur le réseau par les utilisateurs de ce dernier, les informations relatives à ces
profils étant des données protégées à caractère personnel, car elles permettent, en
principe, l’identification desdits utilisateurs, comme la Cour l’a déclaré dans les
arrêts du 16 février 2012, SABAM (C-360/10, EU:C:2012:85, point 49), et, par
analogie, du 24 novembre 2011, Scarlet Extended (C-70/10, EU:C:2011:771,
point 51).
9
AFFAIRE C-18/18 – 8
36 Ladite obligation risquerait également de porter atteinte à la liberté d’expression et
d’information, puisque ce système de filtrage risquerait de ne pas distinguer avec
suffisamment de rigueur entre une contribution illicite et une contribution licite,
de sorte que son déploiement pourrait avoir pour effet d’entraîner le retrait de
contributions licites, comme la Cour l’a indiqué dans les arrêts du 16 février 2012,
SABAM
(C-360/10,
EU:C:2012:85,
point 50),
et,
par
analogie,
du 24 novembre 2011, Scarlet Extended (C-70/10, EU:C:2011:771, point 52).
37 Par conséquent, l’imposition d’une injonction généralisée de cesser la diffusion
d’informations de contenu identique ou équivalent à celui d’informations
considérées comme illicites ne respecterait pas l’exigence visant à assurer un juste
équilibre entre le droit à l’honneur et le droit à l’image de la personne visée, d’une
part, et la liberté d’entreprise, le droit à la protection des données à caractère
personnel et la liberté d’expression et d’information, d’autre part. [
Or. 14]
38 Au vu de ce qui précède, le gouvernement portugais estime que l’article 15,
paragraphe 1, de la directive ne s’oppose pas à une ordonnance de référé qui
enjoint à l’hébergeur de retirer, dans un État membre déterminé, des informations
considérées comme illicites dont il a pris connaissance, diffusées par un
destinataire spécifique, mais s’oppose à une ordonnance de référé qui enjoint à
l’hébergeur de s’abstenir de diffuser des informations dont il n’a pas pris
connaissance, de contenu identique ou équivalent à des informations illicites,
mises à disposition par tout destinataire du réseau.
Sur la troisième question
39 Par sa troisième question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si l’article 15,
paragraphe 1, de la directive fait obstacle à ce qu’il soit enjoint à un hébergeur de
retirer des informations de contenu équivalent, lorsqu’il a eu connaissance de cette
circonstance.
40 Il ressort de l’article 14, paragraphe 1, sous b), de la directive que l’hébergeur ne
peut bénéficier de l’exonération de responsabilité que si, dès le moment où il a
connaissance de l’illégalité, il agit promptement pour retirer les informations
illicites ou rend l’accès à celles-ci impossible. S’il a pris connaissance de la mise à
disposition, sur la plateforme qu’il exploite, d’informations de contenu équivalent
et, partant, réputées illicites, l’hébergeur doit procéder de la même manière.
41 Il s’ensuit que l’obligation en question n’apparaît pas contraire à l’article 15,
paragraphe 1, de la directive, dès lors qu’elle n’implique pas de surveillance
généralisée et proactive des informations stockées sur le réseau, mais découle, par
exemple, d’une prise de connaissance résultant de la notification effectuée par la
personne visée.
42 Le gouvernement portugais considère donc, en résumé, que l’article 15,
paragraphe 1, de la directive ne fait pas obstacle à ce qu’il soit enjoint à un
hébergeur de retirer des informations de contenu équivalent, lorsqu’il a eu
10
GLAWISCHNIG-PIESCZEK
connaissance de cette circonstance, dès lors que ladite obligation [
Or. 15]
n’implique pas de surveillance généralisée et proactive des informations stockées
sur le réseau, mais découle, par exemple, d’une prise de connaissance résultant de
la notification effectuée par la personne visée.
IV. Conclusion
43 Eu égard à ce qui précède et par ces motifs, le gouvernement portugais propose à
la Cour de répondre aux questions soumises par l’Oberster Gerichtshof (Cour
suprême, Autriche) de la manière suivante :
–
la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil,
du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la
société de l’information, et notamment du commerce électronique,
dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique »),
et en particulier son article 15, paragraphe 1, doit être interprétée en
ce sens qu’elle ne s’oppose pas à une ordonnance de référé qui, dans
les circonstances de la procédure au principal, enjoint à un hébergeur
de retirer, dans l’État membre de la juridiction saisie, des
informations considérées comme illicites dont il a pris connaissance,
diffusées par un destinataire spécifique ;
–
l’article 15, paragraphe 1, de la directive sur le commerce
électronique doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce
qu’il soit enjoint à un hébergeur de retirer des informations de
contenu équivalent à des informations illicites, lorsqu’il a eu
connaissance de cette circonstance et que ladite obligation n’implique
pas de surveillance généralisée et proactive des informations stockées
sur le réseau, mais découle, par exemple, d’une prise de connaissance
résultant de la notification effectuée par l’intéressé ;
–
l’article 15, paragraphe 1, de la directive sur le commerce
électronique doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une
ordonnance de référé qui enjoint à l’hébergeur de s’abstenir de
diffuser [
Or. 16]
des informations dont il n’a pas pris connaissance,
de contenu identique ou équivalent à des informations illicites, mises à
disposition par tout destinataire du réseau.
Les agents de la République portugaise :
Luís Inez Fernandes (signature électronique)
et Miguel Figueiredo,
assistés de Tito Rendas, consultant juridique
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