Ref. Ares(2019)7368867 - 29/11/2019
COMMISSION EUROPÉENNE
SERVICE JURIDIQUE
Bruxelles, le 29 novembre 2019
sj.h(2019)8227406
Documents de procédure juridictionnelle
OR. : DE
À MONSIEUR LE PRÉSIDENT ET AUX MEMBRES DE LA COUR DE JUSTICE DE
L’UNION EUROPÉENNE
OBSERVATIONS ÉCRITES
déposées, conformément à l’article 23, deuxième alinéa, du protocole sur le statut de la Cour
de justice de l’Union européenne, par la
COMMISSION EUROPÉENNE, représentée par MM. Giacomo GATTINARA et Magnus
NOLL-EHLERS, membres de son service juridique, en qualité d’agents, ayant élu domicile
auprès du Service juridique, Greffe contentieux, BERL 1/169, 1049 Bruxelles, et consentant à
la signification de tout acte de procédure via e‑ Curia,
dans l’affaire C-619/19
D.R.
contre
Land Baden-Württemberg
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle présentée, conformément à l’article
267 TFUE, par le Bundesverwaltungsgericht (Allemagne), et portant sur l’interprétation de la
directive 2003/4/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 concernant
l'accès du public à l'information en matière d'environnement, publiée au Journal officiel de
l’Union européenne L 41 du 14.2.2003, p. 26.
2
La Commission a l’honneur de formuler les observations ci-après dans la présente affaire.
La demande de décision préjudicielle a pour objet la portée des dérogations à l’accès du
public à l’information en matière d’environnement et, plus précisément, sur celle de
l’article 4, paragraphe 1, point e), de la directive 2003/4, qui prévoit la possibilité de refuser
l’accès à l’information en matière d’environnement lorsque la demande concerne des
«communications internes».
1 – Cadre juridique
Droit de l’Union
1. L'article 4, paragraphe 1, point e), de la directive 2003/4 dispose:
«
Dérogations
Les États membres peuvent prévoir qu’une demande d’information environnementale
peut être rejetée dans les cas où:
[…]
e) la demande concerne des communications internes, en tenant compte de l’intérêt que
la divulgation des informations demandées présenterait pour le public.»
Droit national
2. L’article 28, paragraphe 2, point 2, de l’Umweltverwaltungsgesetz Baden-Württemberg
(loi du Land de Bade-Wurtemberg relative à l’administration en matière
d’environnement) du 25 novembre 2014 (Gesetzblatt, p. 592), modifiée en dernier lieu
par l’article 1er de la loi du 28 novembre 2018 (Gesetzblatt, p. 439) est libellé comme
suit:
«
Toute demande est rejetée si elle vise des communications internes des autorités tenues
de mettre des informations à disposition au sens de l’article 23, paragraphe 1, sauf si
l’intérêt que présenterait la divulgation de l’information pour le public l’emporte.»
2 - Faits et question préjudicielle
3.
Le requérant demande l’accès à des documents du Staatsministerium Baden-
Württemberg (ministère d’État du Land de Bade-Wurtemberg), l'administration du
3
Ministerpräsident (ministre-président) de ce Land. Il s’agit plus particulièrement
d’informations des instances dirigeantes de ce ministère au sujet d’une commission
d’enquête du Landtag (assemblée parlementaire) de Bade-Wurtemberg ainsi que de
notes relatives à une procédure de conciliation. Ces deux documents sont relatifs à des
abattages d’arbres à Stuttgart.
4.
Le recours a été rejeté en première instance par le Verwaltungsgericht (tribunal
administratif). À la suite de l’appel interjeté devant le Verwaltungsgerichtshof Baden-
Württemberg (tribunal administratif supérieur), le ministère d’État a été tenu de
donner accès aux documents. De l’avis du Verwaltungsgerichtshof, ces documents
concernaient des informations environnementales. L’accès à ceux-ci ne pouvait pas
être refusé, étant donné que le motif de refus lié aux «communications internes»
n’existe que pendant la durée du processus décisionnel de l’autorité publique. Par son
pourvoi, le Land de Baden-Wurtemberg demande le rétablissement du jugement rendu
en première instance.
5.
Le Bundesverwaltungsgericht a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
1.
Convient-il d’interpréter l’article 4, paragraphe 1, premier alinéa,
sous e), de la directive 2003/4/CE du Parlement européen et du
Conseil du 28 janvier 2003, concernant l’accès du public à
l’information en matière d’environnement et abrogeant la directive
90/313/ CEE du Conseil, en ce sens que la notion de
«communications internes» inclut toutes les communications qui ne
quittent pas le domaine interne d’une autorité tenue de mettre des
informations à disposition?
2.
La protection des «communications internes» au sens de
l’article 4, paragraphe 1, premier alinéa, sous e), de la directive
2003/4 est-elle illimitée dans le temps?
3.
En cas de réponse négative à la deuxième question: la protection
des «communications internes» au sens de l’article 4,
paragraphe 1, premier alinéa, sous e), de la directive 2003/4 ne
s’applique-t-elle que jusqu’à l’adoption d’une décision par
4
l’autorité tenue de mettre des informations à disposition ou
jusqu’à l’achèvement d’un autre processus administratif?
3 - Appréciation juridique
Remarque liminaire
6.
Le droit d’accès visé à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2003/4 ne vaut que
pour autant que les informations demandées relèvent des prescriptions relatives à
l’accès du public prévues par cette directive, ce qui suppose notamment qu’elles
constituent des «informations environnementales» au sens de l’article 2, point 1, de
ladite directive, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier en ce qui
concerne le litige au principal1.
7.
En l’espèce, la juridiction de l'instance précédente part du principe que les
informations litigieuses relèvent du champ d’application de la définition figurant à
l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2003/4; voir point 3 de l’ordonnance de
renvoi.
8.
Les présentes observations de la Commission reposent donc sur la prémisse selon
laquelle la juridiction de renvoi conclut que la demande d'accès à des informations
porte sur des informations environnementales au sens de l’article 2, paragraphe 1, de
la directive 2003/4.
Sur la première question
9.
La juridiction de renvoi demande, en substance, si les «communications internes» au
sens de l'article 4, paragraphe 1, point e), de la directive 2003/4 couvrent toutes les
communications qui ne quittent pas le domaine interne d’une autorité tenue de mettre
des informations à disposition.
10.
La notion de «communication interne» de la directive 2003/4 n’est pas seulement
reprise dans le droit national applicable (article 28, paragraphe 2, point 2, de
1 Arrêt Flachglas Torgau, C-204/09, EU:C:2012:71, point 32.
5
l’Umweltverwaltungsgesetz Baden-Württemberg); elle est utilisée en des termes
identiques à l’article 4, paragraphe 3, point c), de la convention d’Aarhus2.
11.
En ce qui concerne l’importance de la convention d’Aarhus pour l’interprétation de la
directive 2003/4, la Cour a jugé que, en souscrivant à la convention d’Aarhus, l’Union
s’est engagée à assurer, dans le champ d’application du droit de l’Union, un accès de
principe aux informations sur l’environnement détenues par les autorités publiques.
L’adoption de la directive 2003/4 visait à garantir que toute personne physique ou
morale d’un État membre de l’Union ait un droit d’accès aux informations
environnementales détenues par les autorités publiques sans que cette personne soit
obligée de faire valoir un intérêt3.
12.
En outre, en ce qui concerne la relation entre la directive 2003/4 et la convention
d’Aarhus, la Cour a indiqué ce qui suit:
«
En adoptant la directive 2003/4, le législateur de l’Union a entendu assurer
la compatibilité du droit de l’Union avec cette convention en vue de sa
conclusion par la Communauté en prévoyant un régime général […]»
4
13.
Étant donné que la directive 2003/4 vise à garantir l’accès à l’information prévu par la
convention d’Aarhus, il y a lieu de se référer à cette dernière pour interpréter la
directive.
14.
À cet égard, le guide d'application de la convention d’Aarhus5 contient des
explications sur la notion de «communication interne» dans le cadre de l’article 4,
paragraphe 3, point c), de la convention.
15.
Certes, ce guide n’est pas contraignant et n’a pas la portée normative qui s'attache aux
stipulations de la convention d’Aarhus. La Cour a toutefois constaté qu’il pouvait être
considéré comme un document explicatif, susceptible, le cas échéant, d’être pris en
2 Voir décision 2005/370/CE du Conseil du 17 février 2005 relative à la conclusion, au nom de la Communauté
européenne, de la convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et
l’accès à la justice en matière d’environnement (JO L 124 du 17.5.2005, p. 1).
3 Arrêt Ville de Lyon, C-524/09‚ EU:C:2010:822, points 35 et 36.
4 Arrêt Flachglas Torgau, C-204/09, EU:C:2012:71, point 31; voir également le considérant 5 de la
directive 2003/4.
5 Commission économique pour l’Europe des Nations Unies, La Convention d’Aarhus: Guide d'application (2ème
édition, 2014).
6
considération, parmi d’autres éléments pertinents, aux fins d’interpréter la
convention6.
16.
Le guide indique que l’exception à ce titre peut par exemple être utilisée pour protéger
les opinions personnelles des fonctionnaires des autorités publiques. En revanche, il
considère que l’exception ne s'applique pas lorsqu’une autorité s’exprime comme
prévu dans le cadre d’un processus décisionnel ou lorsque des études sont
commandées à une autre autorité7.
17.
Dans ce contexte, la notion ne peut pas être entendue comme couvrant toutes les
communications qui ne quittent pas le domaine interne d’une autorité tenue de mettre
des informations à disposition.
18.
Premièrement, la notion d’«autorité publique» au sens de l’article 2, paragraphe 2, de
la convention d’Arhus doit être interprétée de manière large8. Ce n’est que dans la
mesure où une autorité agit dans l’exercice de pouvoirs judiciaires ou législatifs
qu’elle peut être exclue de cette définition en vertu de l’article 2, paragraphe 2,
deuxième alinéa, de la directive 2003/4 et de l’article 2, paragraphe 2, deuxième
alinéa, de la convention d’Aarhus.
19.
Deuxièmement, conformément à la convention d’Aarhus, il convient de garantir une
interprétation large du droit d’accès à l’information en matière d’environnement,
tandis que les exceptions doivent être interprétées de manière restrictive. En
conséquence, les avis exprimés par une autorité publique ne peuvent pas en principe
être exclus du principe de l’accès à l’information en matière d’environnement.
20.
Troisièmement, la limitation des «communications internes» aux opinions
personnelles des fonctionnaires de l’autorité publique, mentionnée dans le guide, peut
6 Arrêt Solvay e.a., C-182/10, EU:C:2012:82, point 27; Arrêt Fish Legal et Shirley, C-279/12, EU:C:2013:853,
point 38.
7 Guide d'application, p. 85: «
Dans certains pays, l’exception à ce titre a pour but de protéger les opinions
personnelles des fonctionnaires. Elle ne s’applique pas normalement à des documents factuels, même lorsqu’ils
sont encore à l’état de version préliminaire ou provisoire. Les opinions exprimées ou déclarations formulées par
les autorités publiques agissant en qualité d’entités légales consultées dans le cadre d’un processus décisionnel
ne peuvent être considérées comme des “communications internes”. Il en va de même pour les études
commandées par les autorités publiques auprès d’entités apparentées mais indépendantes. De plus, dès lors
qu’une information particulière a été divulguée par l’autorité publique à un tiers, cette information ne peut plus
être considérée comme une “communication interne”.»
8 Conclusions de l’avocat général Pedro Cruz Villalón dans l’affaire Fish Legal et Shirley, C-279/12,
EU:C:2013:539, point 75 et jurisprudence citée.
7
être comprise en ce sens que l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 3, point c), de
la convention d’Arhus vise à assurer un échange de vues libre et ouvert entre les
membres du personnel au sein d’une autorité (voir, en ce sens, affaire
ACCC/C/2013/93 Norvège, du 19 juin 2017, point 71)9.
21.
La Commission part donc du principe, sous réserve de vérification par la juridiction de
renvoi, que les deux documents litigieux (informations aux instances dirigeantes et
notes) ont été adoptés au sein d’une hiérarchie administrative et ne relèvent donc plus
de la phase de l’échange de vues ouvert entre collaborateurs. Il ne s’agirait alors plus
de «communications internes».
22.
La Commission propose dès lors de répondre à la première question que l’article 4,
paragraphe 1, point e), de la directive 2003/4 doit être interprété en ce sens qu’une
«communication interne» ne couvre que les avis personnels exprimés par les
collaborateurs au sein d’une autorité dans la mesure nécessaire à un échange de vues
libre et ouvert entre les membres du personnel au sein de cette autorité.
Sur la deuxième question
23.
Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande si la possibilité d’une
dérogation au titre de l’article 4, paragraphe 1, premier alinéa, point e), de la
directive 2003/4 est limitée dans le temps.
24.
La Commission estime que tel n’est pas le cas en principe. La directive 2003/4 ne
mentionne pas une telle limitation. En outre, ainsi que la juridiction de renvoi
l’indique à juste titre au point 21 de son ordonnance de renvoi, ni le guide ni la
pratique du comité d’examen du respect des dispositions de la convention d’Aarhus ne
contiennent d’indication allant dans le sens d’une limitation dans le temps.
25.
Compte tenu de l’esprit et de la finalité de la dérogation, qui est d’assurer un échange
de vues libre et ouvert entre les membres du personnel au sein d’une autorité, cette
conclusion apparaît d'ailleurs logique. La possibilité que les échanges de vues soient
rendus publics au bout d’un certain temps peut également contribuer à les entraver.
9
https://www.unece.org/fileadmin/DAM/env/pp/compliance/CC-58/ece.mp.pp.c.1.2017.16.f.pdf :«
[le Comité]
estime que le but implicite d’une telle exception est de donner aux responsables de l’autorité publique la
possibilité de procéder à un échange de vues librement. En conséquence, les documents communiqués en interne
ne peuvent pas tous être considérés comme des “communications internes”.»
8
26.
Certes, l’article 4, paragraphe 1, premier alinéa, point e), de la directive 2003/4 se
distingue à cet égard de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 3, lu en
combinaison avec le paragraphe 7, du règlement n° 1049/2001 du Parlement européen
et du Conseil du 30 mai 2001 relatif à l'accès du public aux documents du Parlement
européen, du Conseil et de la Commission10, selon lequel l’accès à un document établi
pour un usage interne peut être refusé pendant une période maximale de 30 ans. Cette
exception peut, en principe, également s’appliquer aux déclarations personnelles des
fonctionnaires11.
27.
Toutefois, le règlement n° 1049/2001 ne constitue pas un critère de comparaison
approprié, étant donné que la notion de «documents destinés à l’utilisation interne»
visée à son article 4, paragraphe 3, deuxième alinéa, n’est pas identique à la notion de
«communication interne» visée à l’article 4, paragraphe 1, premier alinéa, point e), de
la directive 2003/4. En effet, la première de ces notions, contrairement à la seconde,
vise également les documents reçus de tiers ou transmis à ceux-ci12. En outre,
l’article 4, paragraphe 3, deuxième alinéa, du règlement n° 1049/2001 concerne les
documents dans le cadre de délibérations et de consultations préliminaires au sein de
l’institution concernée.
28.
Néanmoins la possibilité de dérogation, en principe illimitée dans le temps, pour les
«communications internes» ne signifie pas que l’accès aux informations
environnementales ne doit pas être accordé dans certains cas. Comme indiqué à
l’article 4, paragraphe 1, point e), seconde partie de la phrase, de la directive 2003/4, il
faut également tenir compte de l'intérêt que la divulgation des informations demandées
présenterait pour le public. Dans le cadre de l’application de cette dérogation, les
autorités doivent donc mettre en balance l’objet de celle-ci et l’intérêt public à la
divulgation.
29.
La Commission propose dès lors de répondre à la deuxième question que la dérogation
prévue à l’article 4, paragraphe 1, point e), de la directive 2003/4 pour les
10 Règlement (CE) nº 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2001 relatif à l'accès du public
aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission, JO L 145 du 31.5.2001, p. 43.
11 Arrêt Suède/MyTravel et Commission, C-506/08 P, EU:C:2011:496, point 94. Arrêt Philip Morris Ltd., T-
18/15, EU:T:2016:487‚ points 84 à 87; Arrêt Strack/Kommission‚ T-221/08, EU:T:2016:242, points 152 à 161.
12 Arrêt Suède/MyTravel et Commission, C-506/08 P, EU:C:2011:496, point 93. Arrêt Strack/Commission, T-
221/08, EU:T:2016:242, point 165.
9
«communications internes» s’applique sans limitation dans le temps, sous réserve de
la prise en compte de l’intérêt public à la divulgation de ces informations.
Sur la troisième question
30.
Eu égard à la réponse positive apportée à la deuxième question, il n’y a pas lieu de
répondre à la troisième question.
4 - Proposition de réponse
31.
La Commission a par conséquent l'honneur de proposer à la Cour de répondre aux
questions posées par le Bundesverwaltungsgericht de la manière suivante:
1. L’article 4, paragraphe 1, point e), de la directive 2003/4 doit être interprété en ce sens
qu’une «communication interne» ne couvre que les avis personnels exprimés par les
collaborateurs au sein d’une autorité dans la mesure nécessaire à un échange de vues
libre et ouvert entre les membres du personnel au sein de cette autorité.
2. L’article 4, paragraphe 1, point e), de la directive 2003/4 doit être interprété en ce sens
que la dérogation prévue pour les «communications internes» s’applique sans
limitation dans le temps, sous réserve de la prise en compte de l’intérêt public à la
divulgation de ces informations.
Giacomo GATTINARA
Magnus NOLL-EHLERS
Agents de la Commission