Ref. Ares(2016)153903 - 12/01/2016
Traduction C-601/15
-
29
Observations des Pays-Bas
Affaire C-601/15*
Pièce déposée par:
les Pays-Bas
Nom usuel de l’affaire:
J. N.
Date de dépôt:
21 décembre 2015
OBSERVATIONS ÉCRITES
du gouvernement néerlandais, présentées au titre de l’article 23, deuxième
alinéa, du protocole sur le statut de la Cour de justice des Communautés
européennes,
dans l’affaire C-601/15 (PPU),
J.N.
Dans l’affaire susmentionnée, le gouvernement néerlandais, représenté par Mielle
Bulterman et Marlies Noort, respectivement directrice et collaboratrice de la
section Droit européen de la direction Affaires juridiques du ministère des
Affaires étrangères à La Haye, a l’honneur de présenter les observations suivantes
à la Cour.
[Or. 2]
I. Introduction
1
Par décision de renvoi du 17 novembre 2015, l’Afdeling bestuursrechtspraak van
de Raad van State (Conseil d’État, section du contentieux administratif, Pays-Bas,
ci-après la «juridiction de renvoi») a soumis à la Cour une question préjudicielle
portant sur l’article 8, paragraphe 3, initio et sous e), de la directive 2013/33/UE
du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant des normes
pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (JO L 180,
p. 96, ci-après la «directive sur l’accueil»).
* Langue de procédure: le néerlandais.
FR
AFFAIRE C-601/15 - 29
2
La question de la juridiction de renvoi a été soulevée dans le cadre d’un litige
opposant M. J.N., ressortissant étranger, (ci-après l’«intéressé») au staatssecretaris
van Veiligheid en Justitie (secrétaire d’État néerlandais à la Sécurité et à la
Justice, ci-après le «staatssecretaris»).
3
L’intéressé a interjeté appel devant la juridiction de renvoi [dans une procédure]
contre une décision du 14 septembre 2015 le plaçant en rétention sur la base de
l’article 8, paragraphe 3, initio et sous e), de la directive sur l’accueil.
4
La juridiction de renvoi demande si l’article 8, paragraphe 3, initio et sous e), de la
directive sur l’accueil, sur la base duquel l’intéressé a été placé en rétention, est
conforme à l’article 6 de la Charte.
5
Dans les présentes observations, le gouvernement néerlandais répond à la question
de la juridiction de renvoi, ainsi qu’aux questions pour réponse écrite de la Cour.
6
Il sera répondu à la première branche de la première question de la Cour aux
points 8 à 18, à la deuxième branche de la première question aux points 20 à 24, à
la première branche de la deuxième question aux points 56 à 64, à la deuxième
branche de la deuxième question aux points 25 et 26, à la troisième branche de la
deuxième question aux points 43 et 44, et enfin à la quatrième branche de la
deuxième question aux points 65 à·68
[Or. 3].
II. Cadre factuel
7
Le gouvernement néerlandais se réfère, pour une description du cadre factuel de
l’affaire, à la décision de renvoi.
8
En complément, le gouvernement néerlandais répond à la première branche de la
première question de la Cour, qui demande de préciser la nature des différentes
périodes de rétention et de détention de l’intéressé en 2015 ainsi que les motifs
précis ayant conduit les autorités néerlandaises à prendre ces mesures. La réponse
à cette question est apportée ci-après.
9
L’intéressé est arrêté le 28 janvier 2015 pour avoir commis un vol et ne pas s’être
conformé à l’interdiction de se trouver sur le territoire de l’Union. Pour ces deux
faits, il est condamné le 11 février 2015 à deux mois d’emprisonnement. Cette
peine prend fin le 27 mars 2015.
10 L’intéressé introduit le 23 février 2015, pendant sa détention, une nouvelle
demande de délivrance d’un permis de séjour temporaire (asile). Lorsque la peine
d’emprisonnement prend fin le 27 mars 2015, aucune décision n’a encore été prise
sur cette nouvelle demande. Certes, une tentative a été entreprise d’entendre
l’intéressé le 11 mars 2015 à propos de sa demande, mais il n’était pas en mesure
de communiquer.
2
J. N.
11 L’intéressé est placé en rétention le 27 mars 2015 en tant que demandeur d’asile,
pour apprécier durant cette période s’il est possible de l’entendre. Le même jour,
l’intéressé refuse la communication de l’avis médical de l’expert en médecine
légale à l’IND. En effet, un étranger doit toujours donner son accord à la
communication de ses données médicales, et il peut refuser. Le 9 avril 2015, il est
mis fin à la rétention en raison du risque de dépassement du délai maximal 1.
[Or. 4]
12 Le 11 mai 2015, le représentant de l’intéressé communique par téléphone qu’il n’a
plus de contact avec son client. Il lui est accordé un délai de 14 jours pour faire
connaître le lieu de résidence de son client, afin qu’une audition puisse avoir lieu.
Le 29 mai 2015, le représentant fait savoir qu’il n’a toujours aucun contact avec
son client. Le même jour, l’IND indique son intention de rejeter la demande
d’asile, étant donné que l’intéressé semble être parti pour une destination inconnue
et qu’il a refusé la communication de l’avis médical à l’IND. L’intéressé ou son
représentant se voient accorder un délai de quatre semaines pour présenter leurs
observations sur cette intention.
13 Cette intention de rejeter une demande d’asile a pour fondement l’article 39 de la
loi de 2000 sur les étrangers (Vreemdelingenwet 2000). Conformément audit
article 39, paragraphe 1, si le ministre a l’intention de rejeter une demande de
permis de séjour ou de refuser la prolongation de sa durée de validité, l’étranger
en est informé de manière motivée et par écrit. Sur la base de l’article 39,
paragraphe 2 de la même loi, l’étranger fait part de ses observations (...) par écrit,
dans le délai raisonnable fixé par le ministre.
14 Le 16 juin 2015, l’intéressé est à nouveau arrêté pour vol. Le 1er juillet 2015, il est
condamné à un emprisonnement de trois mois pour ce vol et en raison du fait qu’il
se trouvait sur le territoire de l’Union en violation d’une interdiction d’entrée.
Cette peine prend fin le 14 septembre 2015.
15 Le 25 juin 2015, le représentant fait savoir que le contact avec son client est
rétabli. L’intéressé est convoqué le 25 juillet 2015 à une audition. Le représentant
est encore mis en mesure de présenter avant le 10 juillet 2015 des observations sur
l’intention de rejeter la demande d’asile. À ce jour, ces observations n’ont pas
encore été présentées.
1 –
Conformément à la législation actuellement en vigueur aux Pays-Bas, il est possible – sur la
base de l’article 59b, paragraphe 4 et paragraphe 1, initio et sous d) de la loi néerlandaise de
2000 sur les étrangers (Vreemdelingenwet 2000) – de retenir [Ndt: les termes employés
dans l’original se traduisent littéralement par «retenir en détention», le droit néerlandais ne
distinguant pas comme le droit français entre «détention» et «rétention»] pour une période
qui n’excède pas six mois un étranger qui représente une menace pour la sécurité nationale
ou l’ordre public. Jusqu’à la modification législative du 20 juillet 2015, il n’était pas
possible de retenir un étranger [Ndt: voir la note du traducteur précédente] plus de six
semaines. Si, pour quelque raison que ce soit, il ne pouvait pas être statué sur la demande
dans un délai de six semaines, la mesure de rétention devait cesser.
3
AFFAIRE C-601/15 - 29
16 Le 23 juillet 2015, l’expert en médecine légale fait savoir qu’il n’est toujours pas
possible d’entendre l’intéressé. Il conseille de demander à nouveau un avis
médical après quatre à six semaines.
17 Étant donné qu’il n’a pas encore été statué sur sa demande d’asile, l’intéressé est à
nouveau placé en rétention comme demandeur d’asile le 14 septembre 2015 sur la
base de l’article 59b,
[Or. 5] paragraphe 1, initio et sous d), de la loi de 2000 sur
les étrangers (Vreemdelingenwet 2000) qui transpose l’article 8, paragraphe 3,
sous e), de la directive sur l’accueil. Le 28 septembre 2015, l’expert en médecine
légale fait savoir que l’intéressé ne peut pas encore être entendu. Par lettre du
9 octobre 2015, l’IND met ensuite le représentant en mesure de communiquer des
informations à propos du motif de sa demande. Le 31 octobre 2015, le
représentant demande le report du délai. Le 21 novembre 2015, un nouveau délai
de quatre semaines est accordé pour la communication d’informations. Le
27 novembre 2015, l’expert en médecine légale fait savoir que l’intéressé ne peut
toujours pas être entendu et qu’une information complémentaire du thérapeute est
demandée afin de dresser un tableau plus complet.
18 Le 20 octobre 2015, il s’avère que l’intéressé doit encore subir une peine en raison
de délits antérieurs. Par conséquent, son placement en rétention comme étranger
est suspendu et il est transféré dans une prison à Ter Appel. Le 1er décembre 2015,
cette détention pénale prend fin et l’intéressé est à nouveau placé en rétention au
titre de l’article 59b, paragraphe 1, initio et sous d), de la loi de 2000 sur les
étrangers (Vreemdelingenwet).
III. Cadre juridique
19 Le gouvernement néerlandais se réfère, pour une description du cadre juridique, à
la décision de renvoi.
20 En complément, le gouvernement néerlandais répond à la deuxième branche de la
première question de la Cour, qui demande au gouvernement néerlandais
d’expliquer les effets juridiques, en droit national, d’une nouvelle demande d’asile
au regard de la décision de quitter le territoire. La réponse à cette question est
apportée ci-après.
21 Les demandeurs d’asile ont en principe le droit de rester sur le territoire jusqu’à ce
qu’il ait été statué sur leur demande. Cela ne leur ouvre toutefois pas les mêmes
droits qu’un titre de séjour: il s’agit plutôt d’une interdiction pour l’État membre
d’éloigner le demandeur d’asile pendant la procédure. Ce droit de rester découle
de l’article 8, sous f), de la loi sur les étrangers (Vreemdelingenwet) et de l’article
3.1 de l’arrêté sur les étrangers (Vreemdelingenbesluit):
[Or. 6] l’étranger se
trouve en situation de séjour régulier aux Pays-Bas dans l’attente de la décision
sur une demande d’asile et il convient de ne pas éloigner l’étranger,
conformément à la loi ou à une disposition adoptée en vertu de celle-ci ou bien à
une décision de justice, tant qu’il n’aura pas été statué sur la demande.
4
J. N.
22 L’article 3.1, paragraphe 2, de l’arrêté sur les étrangers (Vreemdelingenbesluit)
pose le principe qu’il ne peut pas être procédé à l’éloignement – et que le
demandeur a donc le droit de rester – tant qu’il n’a pas été statué sur la demande.
Ce principe connaît quelques exceptions. L’exception suivante est pertinente en
l’espèce: si l’étranger a introduit une [nouvelle] demande ultérieure après qu’une
précédente demande ultérieure a été rejetée, pour autant qu’il ne soit pas apparu
d’éléments ou faits nouveaux susceptibles d’être pertinents pour l’appréciation de
la demande [voir article 3.1, paragraphe 2, sous a), de l’arrêté sur les étrangers
(Vreemdelingenbesluit)]. L’éloignement ne peut pas non plus aboutir à une
violation de la convention relative au statut des réfugiés, d’obligations de droit de
l’Union, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme ou de la
convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants [cela découle de l’article 3.1, paragraphe 3, de l’arrêté sur les étrangers
(Vreemdelingenbesluit)].
23 En l’espèce, la demande n’a pas encore pu être évaluée au sens de l’article 3.1,
paragraphe 2, sous a), et paragraphe 3 de l’arrêté sur les étrangers
(Vreemdelingenbesluit). Pour des raisons médicales, l’expert en médecine légale
de l’IND n’a pas encore peu entendre l’intéressé à propos d’éléments ou faits
nouveaux susceptibles d’être pertinents pour savoir si l’intéressé peut être éloigné
sur la base de l’article 3.1, paragraphe 2, sous a), et paragraphe 3, de l’arrêté de
2000 sur les étrangers (Vreemdelingenbesluit 2000). Cela signifie que, sur la base
de l’article 8, sous f), de la loi sur les étrangers (Vreemdelingenwet), l’intéressé
bénéficie encore provisoirement du droit de rester sur le territoire néerlandais dans
l’attente d’une décision sur sa demande.
24 En l’espèce, la juridiction de renvoi a constaté au point 3.4.1. de la décision de
renvoi que la décision de retour antérieure est devenue caduque de plein droit, en
raison de l’introduction de la demande d’asile, à compter du jour où l’étranger a
de nouveau obtenu le droit de rester sur le territoire, de sorte que la procédure de
retour ne pouvait plus se poursuivre. Selon la jurisprudence citée par la juridiction
de renvoi, cela signifie que le staatssecretaris est, en cas de décision de rejet de la
demande d’asile de l’étranger, tenu d’adopter une nouvelle décision de retour.
[Or. 7]
25 Concernant la deuxième branche de la deuxième question de la Cour, le
gouvernement néerlandais observe ce qui suit. En droit national, l’effet de
l’interdiction d’entrée est suspendu durant le traitement de la (nouvelle) demande
d’asile. Cependant, l’interdiction d’entrée motivée par le fait que l’intéressé
représente une grave menace pour l’ordre public est reconnue en droit néerlandais
des étrangers comme base permettant d’admettre un risque de fuite [article 5.1b,
paragraphe 3, sous h), de l’arrêté sur les étrangers (Vreemdelingenbesluit)]. Dans
certaines circonstances, l’existence d’une telle interdiction d’entrée peut
également contribuer à considérer qu’il est nécessaire pour l’ordre public que le
demandeur d’asile soit placé en rétention. C’est ce qui a été le cas en l’espèce.
5
AFFAIRE C-601/15 - 29
26 La violation d’une interdiction d’entrée est également un fait punissable en droit
néerlandais. Si l’interdiction d’entrée a été imposée parce que l’étranger
représente une grave menace pour l’ordre public, comme cela est admis en
l’espèce, la violation de cette interdiction est punissable comme délit [article 197
du code pénal néerlandais (Wetboek van Strafrecht)]. L’intéressé a été condamné
pour ce fait à un emprisonnement de trois mois (voir point 14 ci-dessus). Cette
peine a pris fin le 14 septembre 2015. Cette détention découle donc du droit pénal
et non de la loi de 2000 sur les étrangers (Vreemdelingenwet 2000).
IV. Position du gouvernement néerlandais
27 La juridiction de renvoi pose la question de savoir si l’article 8, paragraphe 3,
initio et sous e), de la directive sur l’accueil est conforme à l’article 6 de la charte
des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «Charte»).
28 Selon le gouvernement néerlandais, il convient de répondre par l’affirmative à
cette question, pour les motifs exposés ci-après.
29 Le gouvernement néerlandais examinera tout d’abord la directive sur l’accueil.
Ensuite, il considérera la protection offerte par l’article 6 de la Charte de même
que la pertinence de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l’homme relative à l’article 5 de la convention européenne de sauvegarde des
droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la «CEDH») et la
justification tirée de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte. Enfin, le
gouvernement néerlandais étudiera le champ d’application matériel de l’article 8,
paragraphe 3, initio et sous e), de la directive sur l’accueil, en soutenant que cette
disposition peut fonder
[Or. 8] une mesure de placement en détention infligée
pour des motifs de sécurité nationale ou d’ordre public.
La directive sur l’accueil
30 L’article 1er de la directive sur l’accueil décrit l’objectif de la directive. Il s’agit
d’établir des normes pour l’accueil dans les États membres des personnes
demandant la protection internationale (ci-après les «demandeurs»).
31 Cette notion de «demandeur» est définie à l’article 2, sous b), de la directive sur
l’accueil. On entend par «demandeur», tout ressortissant de pays tiers ou tout
apatride ayant présenté une demande de protection internationale sur laquelle il
n’a pas encore été statué définitivement.
32 L’article 8, paragraphe 1, de la directive sur l’accueil pose le principe qu’une
personne ne peut être placée en rétention au seul motif qu’elle est un demandeur.
L’article 8, paragraphe 2, prévoit toutefois qu’un demandeur peut être placé en
rétention si d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être efficacement
appliquées. L’article 8, paragraphe 3, points a) à f), contient une liste exhaustive
6
J. N.
des motifs pour lesquels le placement en rétention d’un demandeur d’asile peut
être imposé.
33 Il ressort du considérant 15 que les demandeurs ne peuvent être placés en
rétention que dans ces circonstances exceptionnelles définies de manière très
claire et dans le respect des principes de nécessité et de proportionnalité en ce qui
concerne tant la forme que la finalité de ce placement en rétention.
34 L’article 8, paragraphe 3, précise que ces motifs sont définis par le droit national.
Le droit national fixe également les règles relatives aux alternatives au placement
en rétention, telles que l’obligation de se présenter régulièrement aux autorités, le
dépôt d’une garantie financière ou l’obligation de demeurer dans un lieu
déterminé (article 8, paragraphe 4, de la directive sur l’accueil).
[Or. 9]
35 L’article 9 de la directive sur l’accueil prévoit ensuite les garanties procédurales
nécessaires offertes aux demandeurs placés en rétention, telles qu’un droit de
recours auprès d’une autorité judiciaire nationale.
36 Conformément à l’article 8, paragraphe 3, initio et sous e), de la directive sur
l’accueil, un demandeur peut être placé en rétention lorsque la protection de la
sécurité nationale ou de l’ordre public l’exige. Il est important de comprendre
cette disposition dans son contexte.
37 La directive sur l’accueil est applicable aux étrangers qui n’ont pas (encore) été
admis sur le territoire d’un État membre de l’Union, qui n’ont pas encore de droit
de séjour, mais qui l’ont demandé. L’objectif de l’article 8, paragraphe 3, initio et
sous e), de la directive sur l’accueil est d’assurer que ces étrangers qui n’ont pas
encore de droit de séjour, mais qui l’ont demandé puissent être placés en rétention
lorsque la protection de la sécurité nationale ou l’ordre public l’exigent.
38 Cependant, le placement en rétention doit concerner effectivement un
comportement individuel qui représente une menace réelle et suffisamment grave
pour l’ordre ou la sécurité publics. Par ailleurs, cette mesure doit respecter le
principe de proportionnalité. Cela signifie qu’elle doit être propre à garantir la
réalisation de l’objectif poursuivi et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire
pour atteindre cet objectif. (voir considérant 15).
39 En outre, il y a lieu de tenir compte, pour interpréter l’article 8, paragraphe 3,
initio et sous e), de la directive sur l’accueil, de l’obligation de respecter les droits
fondamentaux et les principes fondamentaux du droit, consacrés à l’article 6 TUE
et exprimés dans la Charte.
40 Il convient donc d’interpréter l’article 8, paragraphe 3, initio et sous e), de la
directive sur l’accueil en se conformant à l’article 6 de la Charte, qui dispose que
toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Le gouvernement néerlandais
examine ci-après l’interprétation de cette disposition.
[Or. 10]
7
AFFAIRE C-601/15 - 29
L’article 6 de la Charte
41 Il ressort de l’article 52, paragraphe 3, de la Charte que, dans la mesure où celle-ci
contient des droits correspondant à des droits garantis par la CEDH, leur sens et
leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère cette convention. À cet
égard, l’article 53 de la Charte ajoute qu’aucune de ses dispositions ne doit être
interprétée comme limitant ou portant atteinte aux droits reconnus, notamment,
par la CEDH (arrêt Volker und Markus Schecke et Eifert, C-92/09 et C‑93/09,
EU:C:2010:662, point 51).
42 Selon l’explication de l’article 6 de la Charte, les droits prévus dans cette
disposition correspondent à ceux qui sont garantis par l’article 5 CEDH et ils ont,
conformément à l’article 52, paragraphe 3 de la Charte, le même sens et la même
portée. Il en résulte, selon cette explication, que les limitations qui peuvent
légitimement leur être apportées ne peuvent excéder les limites permises par la
CEDH dans le libellé même de l’article 5 CEDH.
43 Cela répond également à la troisième branche de la deuxième question de la Cour,
relative à la pertinence de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l’homme (ci-après également la «Cour des droits de l’homme») rendue au sujet de
l’article 5, paragraphe 1, de la CEDH, notamment celle issue de l’arrêt Nabil e.a.
c. Hongrie (ECLI:CE:ECHR:2015:0922JUD006211612), aux fins de
l’interprétation de l’article 6 de la charte des droits fondamentaux de l’Union
européenne.
44 Cette jurisprudence est extrêmement pertinente en l’espèce, comme l’explique le
gouvernement néerlandais ci-après.
L’article 5 CEDH
45 L’article 5 CEDH consacre le droit de toute personne à la liberté et à la sûreté. Le
même article mentionne expressément un certain nombre de circonstances dans
lesquelles une personne peut être légalement privée de sa liberté. L’article 5,
paragraphe 1, sous f), est particulièrement pertinent en l’espèce, étant donné qu’il
limite le droit à la liberté en
[Or. 11] cas d’arrestation ou de détention régulières
eu égard, entre autres, à la réglementation de l’entrée sur le territoire et de
l’éloignement.
46 L’article 5, paragraphe 1, initio et sous f), CEDH est libellé comme suit:
«Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa
liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales:
[…]
8
J. N.
f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour
l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une
procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours».
47 Il ressort de la jurisprudence de la Cour des droits de l’homme relative à
l’article 5, paragraphe 1, sous f), CEDH que cette disposition comprend deux
situations pertinentes en l’espèce, dans lesquelles la détention est permise. La
première partie de la disposition concerne la détention régulière d’une personne
pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire (c’est-à-dire la
réglementation de l’entrée et du séjour de l’étranger). La deuxième partie
concerne la détention régulière d’une personne contre laquelle une procédure
d’expulsion ou d’extradition est en cours (c’est-à-dire le placement en rétention en
vue d’un éloignement).
48 Le gouvernement néerlandais examinera ci-après la première et la deuxième
parties de l’article 5, paragraphe 1, sous f), CEDH.
L’article 5, paragraphe 1, sous f), première partie, CEDH
49 Il ressort de la jurisprudence relative à l’article 5, paragraphe 1, sous f), première
partie, CEDH que la privation de liberté au titre de cet article peut non seulement
être justifiée pour les étrangers qui veulent entrer irrégulièrement sur le territoire
mais est également autorisée durant la procédure de demande de titre de séjour
(voir Cour eur. D. H., Saadi c. Royaume-Uni, requête n°
13229/03,
29 janvier 2008). Les points 64 et 65 dudit arrêt sont libellés comme suit:
[Or. 12]
«64. Si la règle générale exposée à l’article 5 § 1 est que toute personne a droit à
la liberté, l’alinéa f) de cette disposition prévoit une exception en permettant aux
États de restreindre la liberté des étrangers dans le cadre du contrôle de
l’immigration. Ainsi que la Cour l’a déjà observé, sous réserve de leurs
obligations en vertu de la Convention, les États jouissent du ‘droit indéniable de
contrôler souverainement l’entrée et le séjour des étrangers sur leur territoire’
(Amuur, précité, § 41, Chahal, précité, § 73, Abdulaziz, Cabales et Balkandali
c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, §§ 67-68, série A n° 94). La faculté pour les États
de placer en détention des candidats à l’immigration ayant sollicité – par le biais
d’une demande d’asile ou non – l’autorisation d’entrer dans le pays est un
corollaire indispensable de ce droit. Il ressort de la teneur de l’arrêt Amuur que
la détention d’immigrés potentiels, notamment de demandeurs d’asile, peut se
concilier avec l’article 5 § 1 f).
65. Sur ce point, la Grande Chambre souscrit à la position de la Cour d’appel, de
la Chambre des lords et de la chambre consistant à dire que, tant qu’un État n’a
pas ‘autorisé’ l’entrée sur son territoire, celle-ci est ‘irrégulière’, et que la
détention d’un individu souhaitant entrer dans le pays mais ayant pour cela
besoin d’une autorisation dont il ne dispose pas encore peut viser – sans que la
formule soit dénaturée – à ‘empêcher [l’intéressé] de pénétrer irrégulièrement’.
9
AFFAIRE C-601/15 - 29
La Grande Chambre rejette l’idée que, si un demandeur d’asile se présente de
lui-même aux services de l’immigration, cela signifie qu’il cherche à pénétrer
‘régulièrement’ dans le pays, avec cette conséquence que la détention ne peut se
justifier sous l’angle de la première partie de l’article 5 § 1 f). Lire celle-ci
comme autorisant uniquement la détention d’une personne dont il est établi
qu’elle tente de se soustraire aux restrictions à l’entrée reviendrait à interpréter
de manière trop étroite les termes de la disposition ainsi que le pouvoir de l’État
d’exercer l’indéniable droit de contrôle évoqué plus haut. De plus, pareille
interprétation cadrerait mal avec la conclusion n° 44 du Comité exécutif du
Programme du Haut Commissaire des Nations unies pour les réfugiés, les
Principes directeurs du HCR et la Recommandation du Comité des Ministres
(paragraphes 34, 35 et 37 ci-dessus), textes qui envisagent tous la détention des
demandeurs d’asile dans certaines circonstances, par exemple lors de
vérifications d’identité ou quand il faut déterminer des éléments fondant la
demande d’asile».
[Or. 13]
L’article 5, paragraphe 1, sous f), deuxième partie, CEDH
50 La jurisprudence de la Cour des droits de l’homme relative à l’article 5,
paragraphe 1, sous f), deuxième partie, CEDH concerne la détention régulière
d’une personne contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en
cours.
51 À propos de l’article 5, paragraphe 1, sous f), deuxième partie, CEDH, la Cour des
droits de l’homme a jugé que cette disposition n’exige pas que la détention d’une
personne contre laquelle une procédure d’expulsion est en cours soit considérée
comme raisonnablement nécessaire, par exemple pour l’empêcher de commettre
une infraction ou de s’enfuir. Elle exige seulement qu’
«une procédure d’expulsion
[soit] en cours» 2.
52 Selon la Cour des droits de l’homme, la privation de liberté au titre de cet article
n’est justifiée que pour autant que la procédure d’expulsion soit en cours, qu’elle
soit poursuivie avec diligence et rapidité, et qu’elle ait pour objectif
l’éloignement 3.
L’article 5, paragraphe 1, sous f), première et deuxième parties, CEDH
53 Concernant tant la première que la deuxième partie de l’article 5, paragraphe 1,
sous f), CEDH, la Cour des droits de l’homme a expressément jugé qu’en matière
de privation de liberté au titre de l’article 5, paragraphe 1, sous f), CEDH, les
2
– Voir Cour eur. D.H., arrêts Chahal c. Royaume-Uni, Requête n°
22414/93,
15 novembre 1996, point 112; lsmoïlov e.a. c. Russie, requête n° 2947/06, 24 avril 2008,
point 135, et Lokpo et Toure c. Hongrie, requête n° 10816/10, 20 septembre 2011, point 16;
voir également conclusions de l’avocat général Sharpston dans l’affaire Radu, C‑396/11,
EU:C:2012:648, point 56.
3 –
Nabil e.a. c. Hongrie, requête n° 62116/12, 22 septembre 2015, points 29 et 38.
10
J. N.
normes de fond comme de procédure de la législation nationale doivent être
observées. Voir Cour eur. D. H., arrêt A. e.a. c. Royaume-Uni, requête
n° 3455/05, 19 février 2009, point 164; voir également arrêts Suso Musa c. Malte,
requête n° 42337/12, 23 juillet 2013, points 90 à 93, et Mahamed Jama c. Malte,
requête n° 10290/13, 26 novembre 2015, points 136 à 140.
54 L’article 5, paragraphe 1, sous f), CEDH exige de surcroît la conformité de toute
privation de liberté au but consistant à protéger l’individu contre l’arbitraire. Pour
ne pas être taxée d’arbitraire, une mesure privative de liberté prise sur le
fondement de l’article 5, paragraphe 1, sous f), doit être mise en œuvre de bonne
foi; elle doit aussi être étroitement liée au motif de détention invoqué par les
autorités nationales; le lieu et les
[Or. 14] conditions de détention doivent être
appropriés, et la durée de cette mesure ne doit pas excéder le délai raisonnable
nécessaire pour atteindre le but poursuivi. Voir Cour eur. D. H., arrêt
A. e.a./Royaume-Uni du 19 février 2009, requête n° 3455/05, point 164.
Le champ d’application matériel de l’article 8, paragraphe 3, initio et sous e), de
la directive sur l’accueil
55 Le cadre qui a été esquissé ci-dessus est celui qui, selon le gouvernement
néerlandais, doit être pris en considération pour apprécier le champ d’application
matériel de l’article 8, paragraphe 3, initio et sous e), de la directive sur l’accueil.
56 Concernant la première branche de la deuxième question de la Cour, portant sur le
champ d’application matériel de l’article 8, paragraphe 3, sous e), de la directive
sur l’accueil et notamment sur le point de savoir si cette disposition peut servir de
justification en cas de rétention de nature préventive, infligée pour des raisons de
sécurité nationale ou d’ordre public, le gouvernement néerlandais observe ce qui
suit.
57 Le gouvernement néerlandais considère, à la lumière de l’article 5 CEDH et de
l’article 6 de la Charte, que la rétention de nature préventive sur le seul fondement
de l’ordre public ou de la sécurité nationale [article 8, paragraphe 3, sous e), de la
directive sur l’accueil] n’est pas possible: l’énumération exhaustive à l’article
5 CEDH des situations dans lesquelles la privation de liberté est possible ne
prévoit pas ce cas.
58 Le gouvernement néerlandais estime néanmoins que le placement en rétention
d’un demandeur d’asile ressortissant d’un pays tiers pour des raisons de sécurité
nationale ou d’ordre public, comme le prévoit l’article 8, paragraphe 3, sous e), de
la directive sur l’accueil, est autorisé s’il est nécessaire dans le cadre de
l’évaluation de la demande d’asile [conformément à l’article 5, paragraphe 1, sous
f), première partie, CEDH] et/ou s’il a pour objectif l’éloignement [conformément
à l’article 5, paragraphe 1, sous f), deuxième partie, CEDH].
11
AFFAIRE C-601/15 - 29
L’accès et le séjour de ressortissants de pays tiers [article 5, paragraphe 1, sous
f), première partie, CEDH]
59 Conformément à l’article 8 de la directive sur l’accueil, les États membres ont la
faculté de placer en rétention pour l’un des motifs énumérés à l’article 8,
paragraphe 3, sous a) à f), des ressortissants de pays tiers qui peuvent rester dans
l’État membre pendant que leur demande d’asile est en attente. Il ressort de la
portée desdits motifs qu’ils sont également liés à la question de la
[Or. 15] recevabilité de la demande d’asile. En d’autres termes, ces motifs sont directement
liés à la réglementation de l’entrée et du séjour des ressortissants de pays tiers.
Cela vaut non seulement pour les motifs d’emblée plus évidents, notamment ceux
énumérés sous a), b) ou c), mais également pour le motif mentionné sous e), à
savoir le fait de constituer une menace pour la sécurité nationale ou l’ordre public.
Une telle situation peut en effet amener l’État membre à rejeter la demande. Aux
Pays-Bas, une demande d’asile peut être rejetée s’il existe des motifs sérieux de
croire que l’étranger représente une menace pour l’ordre public ou la sécurité
nationale [article 30b, paragraphe 1, initio et sous j), de la loi de 2000 sur les
étrangers (Vreemdelingenwet 2000)]. Par conséquent, ce motif ne saurait être
examiné hors du contexte de l’autorisation. Le placement en rétention prononcé
pour ce motif est conforme à l’article 5, paragraphe 1, sous f), première partie,
CEDH.
60 Le fait que l’étranger peut attendre, sur la base de l’article 8, sous f), de la loi sur
les étrangers (Vreemdelingenwet) (voir aussi article 9, paragraphe 1, de la
directive relative aux procédures d’asile), le traitement de la demande d’asile,
n’enlève rien à la régularité de son placement en rétention dans le cadre de la
réglementation de l’entrée et du séjour. L’article 9 de la directive relative aux
procédures d’asile énonce expressément que ce droit de rester ne constitue pas un
droit à un titre de séjour. Le droit de rester qui est automatiquement applicable à
tout ressortissant de pays tiers qui introduit une demande d’asile doit être
interprété, comme l’a jugé la Cour des droits de l’homme dans l’arrêt Suso Musa
c. Malte, à la lumière de l’interdiction générale découlant des normes de droit
international d’expulser un demandeur d’asile tant qu’il n’a pas été statué sur sa
demande.
L’éloignement d’un ressortissant de pays tiers [article 5, paragraphe 1, sous f),
deuxième partie, CEDH]
61 Par ailleurs, le gouvernement néerlandais estime que, si le placement en rétention
est également opéré en vue de l’éloignement, il est aussi justifié par l’article 5,
[paragraphe 1, sous f)], deuxième partie, CEDH. Le placement d’un étranger en
rétention en vue de son éloignement est autorisé aux termes de cette disposition
pour autant que la procédure d’expulsion soit en cours, qu’elle soit poursuivie
avec diligence et rapidité, et qu’elle ait pour objectif l’éloignement. L’objectif de
l’éloignement ne disparaît pas du seul fait de l’introduction d’une demande d’asile
dont le ressortissant d’un pays tiers peut attendre qu’elle soit tranchée, aux termes
12
J. N.
de l’article 8, sous f), de la loi sur les étrangers (Vreemdelingenwet) (voir
également article 9, paragraphe 1, de la directive relative aux procédures d’asile et
article 9 de la directive retour).
[Or. 16]
62 Cela ressort de l’arrêt Arslan (C-534/11, EU:C:2013:343). La Cour a jugé au
point 60 de cet arrêt que:
«[…] si la directive 2008/115 est inapplicable pendant le déroulement de la
procédure d’examen de la demande d’asile, cela ne signifie nullement qu’il serait,
de ce fait, mis définitivement fin à la procédure de retour, celle-ci pouvant se
poursuivre dans l’hypothèse où la demande d’asile serait rejetée. Or, ainsi que
l’ont observé les gouvernements tchèque, allemand, français et slovaque, il serait
porté atteinte à l’objectif de cette directive, à savoir le retour efficace des
ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, s’il était impossible pour les États
membres d’éviter, dans des conditions telles que celles exposées au point 57 du
présent arrêt, que l’intéressé puisse, par l’introduction d’une demande d’asile,
obtenir automatiquement sa remise en liberté (voir, par analogie, arrêt du 6
décembre 2011, Achughbabian, C-329/11, Rec. p. I-12695, point 30)».
63 Cela ressort également de l’arrêt Nabil e.a. c. Hongrie * de la Cour des droits de
l’homme, point 38:
«[…] For the Court, the pending asylum case does not as such imply that the
detention was no longer ‘with a view to deportation’ – since an eventual dismissal
of the asylum applications could have opened the way to the execution of the
deportation orders. The detention nevertheless had to be in compliance with the
national law and free of arbitrariness». [Pour la Cour, le fait que la procédure de
demande d’asile était en cours n’implique pas automatiquement que la rétention
n’avait plus pour objectif l’éloignement, étant donné qu’un éventuel rejet de la
demande d’asile pouvait à nouveau permettre l’exécution des mesures
d’éloignement. Cependant, la rétention devait être conforme au droit national et ne
pas être arbitraire].
64 Par conséquent, l’article 8, paragraphe 3, initio et sous e), de la directive sur
l’accueil peut servir de justification en cas de placement en rétention imposé pour
des raisons de sécurité nationale ou d’ordre public, à condition que la mesure de
rétention soit nécessaire dans le cadre de l’appréciation de la recevabilité de la
demande d’asile [conformément à l’article 5, paragraphe 1, sous f), première
partie, CEDH] et/ou qu’elle ait pour objectif l’éloignement [conformément à
l’article 5, paragraphe 1, sous f), deuxième partie,
CEDH]. Dans ces
circonstances, une mesure de rétention n’est pas contraire, selon le gouvernement
néerlandais, à l’article 6 de la Charte.
[Or. 17]
* –
Ndt: arrêt du 22 septembre 2015, requête n° 62116/12, seule version officielle en anglais.
13
AFFAIRE C-601/15 - 29
L’article 52, paragraphe 1, de la Charte
65 Il est pertinent d’examiner à ce stade la quatrième branche de la deuxième
question de la Cour. Celle-ci porte sur la possibilité de justifier, en vertu de
l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, des ingérences aux droits garantis à
l’article 6 de celle-ci par des circonstances tout à fait singulières ayant trait à la
sécurité nationale ou à l’ordre public, étant entendu que la Charte ne prévoit pas
de dérogations en cas de danger public menaçant la vie d’une société
démocratique.
66 L’article 52, paragraphe 1, de la Charte admet que l’exercice des droits [et
libertés] tels que ceux reconnus par l’article 6 de la Charte peut être soumis à des
limitations, pour autant que celles-ci soient prévues par la loi, qu’elles respectent
le contenu essentiel desdits droits et libertés ainsi que le principe de
proportionnalité, qu’elles soient nécessaires et qu’elles répondent effectivement à
des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des
droits et libertés d’autrui (voir en ce sens arrêt Volker und Markus Schecke et
Eifert, C-92/09 et C-93/09, EU:C:2010:662, point 50).
67 Selon le gouvernement néerlandais, la faculté décrite au point 64 des présentes
observations de prendre une mesure de rétention pour des raisons de sécurité
nationale ou d’ordre public sur la base de l’article 8, paragraphe 3, initio et
sous e), de la directive sur l’accueil répond aux exigences de l’article 52,
paragraphe 1, de la Charte.
68 Il n’importe pas en l’espèce que la Charte ne prévoie pas de disposition
concernant l’urgence comme l’article 15 CEDH. En effet, la jurisprudence de la
Cour des droits de l’homme citée ci-dessus qui précise le contenu de l’article 8,
paragraphe 3, sous e), de la directive sur l’accueil n’a aucun lien avec l’existence
d’une situation d’urgence menaçant la vie d’une société démocratique. Par cette
observation, le gouvernement néerlandais a également répondu à la quatrième
branche de la deuxième question.
[Or. 18]
L’application en l’espèce
69 Il s’agit en l’espèce d’un étranger qui a introduit une nouvelle demande d’asile et
a été placé en rétention parce qu’il représentait une menace pour l’ordre public.
L’intéressé a été condamné pour plusieurs infractions. Par ailleurs, il a introduit
plusieurs demandes d’asile et de titre de séjour régulier aux Pays-Bas (voir point 1
de la décision de renvoi). Ces demandes ont toutes été rejetées. L’intéressé a par
conséquent été sommé (par décision du 8 janvier 2014) de quitter le territoire de
l’Union, mesure assortie d’une interdiction d’entrée de dix ans. En dépit de la
décision de retour et de l’interdiction d’entrée, l’intéressé n’a pas quitté les
Pays-Bas de sa propre initiative. Il ne dispose d’aucun moyen de subsistance et
n’a pas de domicile ou résidence fixe.
14
J. N.
L’objectif d’éloignement [article 5, paragraphe 1, sous f), CEDH]
70 Le gouvernement néerlandais a exposé ci-dessus que l’intéressé, ayant introduit
une demande de délivrance d’un permis de séjour temporaire, bénéficie sur la base
de l’article 8, sous f), de la loi sur les étrangers (Vreemdelingenwet) et de l’article
3.1, paragraphe 2 de l’arrêté sur les étrangers (Vreemdelingenbesluit) du droit de
rester aux Pays-Bas en attendant qu’il soit statué sur sa demande. Cela a pour
conséquence que l’éloignement est provisoirement suspendu. La procédure de
retour est toutefois encore en cours et le placement en rétention a pour objectif
l’éloignement.
71 Pour des raisons médicales, l’expert en médecine légale de l’IND n’a pas encore
pu entendre l’intéressé à propos d’éléments ou faits nouveaux susceptibles d’être
pertinents pour savoir si l’intéressé peut être éloigné sur la base de l’article 3.1 ,
paragraphe 2, sous a), et paragraphe 3, de l’arrêté de 2000 sur les étrangers
(Vreemdelingenbesluit 2000). Cela signifie que l’intéressé bénéficie encore
provisoirement, sur la base de l’article 8, sous f), de la loi sur les étrangers
(Vreemdelingenwet), du droit de rester aux Pays-Bas en attendant qu’il soit statué
sur sa demande. Dès que l’IND pourra entendre l’intéressé, et s’il s’avère qu’il n’y
a pas d’éléments ou faits nouveaux susceptibles d’être pertinents pour
l’appréciation de la demande d’asile, celle-ci pourra être définitivement rejetée.
Actuellement, l’intention existe déjà de rejeter la demande d’asile, selon ce qu’a
indiqué l’IND le 29 mai 2015. Le rejet de la demande d’asile vaut d’office
décision de retour, ce qui a pour conséquence que l’intéressé doit retourner en
Tunisie et qu’il peut, si nécessaire, être expulsé.
[Or. 19]
72 Étant donné qu’en l’espèce, l’objectif est l’éloignement, le gouvernement
néerlandais estime que l’article 8, paragraphe 3, initio et sous e), de la directive
sur l’accueil peut fonder une mesure de placement en rétention infligée pour des
raisons de sécurité nationale ou d’ordre public.
L’entrée et le séjour [article 5, paragraphe 1, sous f), première partie, CEDH]
73 En l’espèce, le placement en rétention est également directement lié à la
réglementation de l’entrée et du séjour des ressortissants de pays tiers. En effet,
l’existence d’une menace pour l’ordre public peut entraîner le rejet de la demande
d’asile. Étant donné qu’en l’espèce, il existe une menace pour l’ordre public dans
le cadre de l’autorisation d’un étranger, l’article 8, paragraphe 3, initio et sous e),
de la directive sur l’accueil peut, selon le gouvernement néerlandais, fonder une
mesure de placement en rétention infligée pour des raisons de sécurité nationale
ou d’ordre public.
V. Conclusion
74 Eu égard aux considérations qui précèdent, le gouvernement néerlandais propose à
la Cour de répondre comme suit à la question préjudicielle:
15
AFFAIRE C-601/15 - 29
«L’article 8, paragraphe 3, initio et sous e), de la directive 2013/33/UE du
Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant des normes pour
l’accueil des personnes demandant la protection internationale est conforme à
l’article 6 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne».
(sé)
(sé)
Mielle
Bulterman
Marlies
Noort
Agents
La Haye, le 21 décembre 2015
16